Acte III - Scène XVIII



Le Général, Gabrielle, puis La Môme, puis Mongicourt

Le Général (du seuil de la porte, aussitôt la sortie des témoins, tout en gagnant à larges enjambées jusqu'au canapé )
Ah ! je comprends tout, maintenant ! Madame est ta maîtresse !

Petypon
Hein ?

Gabrielle
Qu'est-ce que vous dites ?…

Petypon (passant au n° 2 )
Mais, mon oncle !…

Le Général
Laisse-moi tranquille !
(Il remonte jusqu'à la porte de gauche.)

Gabrielle
Moi, moi, sa maîtresse !

Petypon (à Gabrielle )
Hein ? Oui ! non ! ne te mêle pas ! ne te mêle pas !
(Il gagne à droite.)

Gabrielle
Qu'est-ce que ça veut dire ?

Le Général (qui est sorti de scène une seconde, reparaissant avec la Môme et descendant entre Gabrielle et Petypon )
Venez, pauvre enfant, et apprenez à connaître ce que vaut celle que vous appelez votre amie !… Elle vous trompe avec votre mari !

La Môme (à part )
Aïe !

Gabrielle
Moi ! moi ! Mais je suis sa femme !

Le Général (un peu au-dessus avec la Môme )
Vous !

Petypon (au général )
Je vous expliquerai !

Le Général
Laisse-moi tranquille ! (Désignant la Môme.)
Ta femme, la voici !

Gabrielle
Elle ? mais c'est votre femme !

Petypon (vivement, se précipitant vers Gabrielle et la poussant vers la gauche devant le canapé )
Hein ! oui, chut !…

La Môme (s'écartant prudemment vers le fond )
(à part)
Fichtre ! ça se gâte !

Le Général
Ma femme, elle ! (Courbé par le rire et se laissant tomber dans le fauteuil extatique.)
Ah ! ah ! laissez-moi rire !

Petypon (à qui ce jeu de scène du général n'a pas échappé )
Le fauteuil !
(Il se précipite derrière le fauteuil pour presser le bouton, mais au moment où il fait fonctionner la bobine, le général se relève.)

Le Général (redescendant, toujours en riant, jusque devant la table )
Ah ! Ah ! Ah !

Petypon (avec désespoir en redescendant à gauche du fauteuil )
Raté !

Gabrielle (gagnant le milieu de la scène)
Ah ! çà, général ! expliquez-vous !

Petypon (énergiquement, s'interposant )
Non, non ! pas d'explications !

Mongicourt (qui est entré de gauche, descendant extrême gauche )
Ah !… Vous, général ! Il faut que je vous parle !

Petypon (à part, en pleine détresse )
Mongicourt à présent !… Ah ! tout est perdu !
(Il se laisse tomber dans le fauteuil sans réfléchir que la bobine est en mouvement. Immédiatement, il reçoit le choc ; un hoquet : "Youpp ! " et le voilà figé dans son attitude dernière, les yeux ouverts, le sourire aux lèvres.)

Le Général (gagnant le milieu de la scène )
Non, monsieur, non ! pas d'explications !

Mongicourt
Mais, permettez !…

Le Général
Inutile, monsieur ! après ce qu'a fait votre femme !…
(Il remonte un peu.)

Mongicourt
Où ça, ma femme ? Qui ça, ma femme ?

Le Général (désignant Gabrielle )
Mais… Madame !

Gabrielle
Moi !

Mongicourt
Mais ça n'est pas ma femme !

Gabrielle
Je suis la femme du docteur Petypon !

La Môme (qui pendant ce qui précède s'est peu à peu rapprochée de la sortie )
V'là le grabuge, caltons !
(Elle s'esquive par la porte droite.)

Le Général
Oui ? eh ! bien, ça ne prend pas ! vous pensez bien que je la connais ! Je la connais la femme de mon neveu ! puisqu'il l'a amenée à La Membrole avec lui.

Gabrielle
Hein ! il l'a amenée, lui !

Le Général
Mais parfaitement ! De même que je sais bien que vous êtes la femme de M. Chose, là, Machincourt.

Gabrielle et Mongicourt
Quoi ?

Le Général
Mais c'est le genre, ici, de toujours prétendre que vos femmes ne sont pas vos femmes !… à ce point que vous en arrivez à vouloir me faire croire que la femme de mon neveu est ma femme ! vous comprenez que cela dépasse les bornes !

Gabrielle (se prenant la tête à deux mains )
Mais qu'est-ce qu'il dit ?

Le Général
Allons, assez de blagues comme ça !… Non, me persuader qu'elle est ma femme, elle !… Eh bien ! où est-elle donc ? (Appelant en remontant.)
Ma nièce !… ma nièce !
(Ensemble)

Gabrielle (emboîtant le pas au général )
Mais enfin, général !…

Mongicourt (à la suite de Gabrielle )
Général, voyons !…

Le Général
Allez, rompez ! (Il sort de droite en appelant.)
Ma nièce ! ma nièce !
(Mongicourt, descendant à droite au-dessus de la table.)
(— Ah ! non, par exemple, celle-là…)

Gabrielle (descendant à gauche du fauteuil )
Ah ! c'est trop fort ! (A Petypon endormi.)
Ah ! gredin, tu avais une maîtresse et tu la faisais passer pour ta femme !… Ah ! tu !… (A Mongicourt.)
Non, mais regardez-le !… et il ose sourire !… Ah ! bien, attends un peu !…
(Elle s'élance sur lui pour le souffleter.)

Mongicourt (vivement )
Prenez garde ! Vous n'avez pas de gants !

Gabrielle (allant au-dessus de la table )
Vous avez raison. Où sont-ils les gants ?

Mongicourt (s'interposant )
Mais non ! Mais non ! , voyons !

Gabrielle (écartant Mongicourt et farfouillant sur la table, prenant la boîte et en tirant les gants )
Si ! Si ! Où sont-ils les gants ? Ah ! les voilà ! (Elle prend le gant de la main droite et l'enfile tout en redescendant à gauche du fauteuil.)
Ah ! tu m'as trompée ! Ah ! tu as abusé de ma confiance ! Eh ! bien, tiens ! (Ayant pris un peu de champ, elle soufflette son mari du revers de la main droite. La figure de Petypon reste souriante et immobile.)
Ah ! tu as une maîtresse ! Eh bien ! tiens ! (Nouveau soufflet du revers de la main droite.)
Ah ! tu fais la fête ! Eh bien ! tiens ! tiens ! tiens !
(Un soufflet, toujours du revers, à chaque "Tiens ! ".)

Mongicourt (se précipitant au-dessus du fauteuil et appuyant sur le bouton de droite )
Assez ! assez ! grâce pour lui !
(Il redescend jusqu'au canapé. A la pression du bouton Petypon a reçu le choc du réveil. Il se lève, descend de biais, en trois pas de théâtre, jusque devant le trou du souffleur, puis )

Petypon (la main sur le cœur, chantant)
Il pleut des baisers
Piou ! Piou !

Gabrielle
Quoi ?

Petypon
Il pleut des caresses…

Gabrielle
Ah ! je vais t'en donner, moi, des caresses ! Tiens !
(Elle lui envoie une maîtresse gifle.)

Petypon (complètement réveillé par la douleur )
Oh !

Gabrielle
Tu l'as sentie, celle-là !
(Elle quitte le gant et le remet sur la table.)

Petypon
Gabrielle !…

Gabrielle
Arrière, monsieur ! Le Général m'a tout dit !… Désormais, tout est fini entre nous ! Je reprends ma vie de jeune fille !

Petypon
Gabrielle, voyons !

Gabrielle (descendant vers lui )
Il n'y a pas de "Gabrielle, voyons" ! Je vous dicte mes volontés ; vous n'avez qu'à vous soumettre !
(Petypon, jouant la résignation. C'est bien !)

Gabrielle
Je quitte cette maison !

Petypon (même jeu )
Bon !

Gabrielle
Nous divorçons !

Petypon (même jeu )
Bon !

Gabrielle
Je reprends ma fortune !

Petypon (même jeu )
Bon ! (Relevant la tête.)
Oh ! tout, alors ?

Gabrielle (d'un geste large )
Tout ! (Remontant pour lui faire la place et lui indiquant la porte.)
Et maintenant, sortez ! que je ne vous voie plus !

Petypon (avec une résignation comique )
Bon ! (L'échine pliée, d'un pas lourd, il gagne théâtralement la porte de droite. Arrivé sur le seuil, il se retourne et mélodramatiquement.)
Je retourne chez ma nourrice !
(Il sort.)

Mongicourt (qui était assis sur le canapé, se levant, et allant à Gabrielle )
Ce pauvre Petypon ! vous avez été dure pour lui !

Gabrielle
Jamais trop ! Si vous croyez m'apitoyer sur son sort !… (Marchant sur Mongicourt qui recule à mesure.)
Ah ! il veut faire le gandin à son âge ! Ah ! je ne lui suffis pas ! Eh bien ! qu'il aille se faire consoler ailleurs !
(Elle remonte.)

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