Acte II - Scène X



Gabrielle, Petypon, puis Emile, puis Toute la Farandole, puis Le Général

Petypon (arrivant par le côté gauche de la terrasse, entrant première baie et descendant en scène tout en parlant )
Ah ! quelle soirée, mon Dieu ! quelle soirée ! (Se trouvant, nous ne dirons pas nez à nez, mais c'est tout comme, avec la croupe débordante de sa femme.)
Nom d'un chien ! on l'a relâchée !
(Il saute sur le bouton de l'électricité, à gauche de la console, le tourne et la lumière s'éteint partout.)

Gabrielle (faisant un bond en arrière )
Qu'est-ce que c'est que ça ?

Petypon (à part )
Filons ! (Il s'élance pour s'éclipser par la terrasse extrême gauche, mais s'arrête brusquement et fait volte-face en se voyant en pleine lumière de la lune.)
Oh ! sapristi, la lune !
(Il réintègre le salon en se baissant.)

Gabrielle (qui a gagné le milieu de la scène )
Ah ! mon Dieu ! je n'y vois plus clair ! Que signifient ces ténèbres qui soudain m'environnent ?

Petypon (à mi-voix )
Derrière le piano, en me baissant, on ne me verra pas !
(Il se dirige à pas de loup, en longeant le mur, dans la direction du clavier du piano.)

Gabrielle
Ah ! suis-je sotte !… c'est un plomb de l'électricité qui aura fondu !… Il n'y a pas de quoi s'alarmer. (S'armant de courage, elle se dirige vers le piano. A ce moment, Petypon trébuche dans le tabouret de piano qu'il n'a pas vu et, en cherchant à se rattraper, applique quatre accords violents sur le piano. Gabrielle, bondissant en arrière en poussant un cri strident.)
Ah !

Petypon (à part )
Oh ! maudit tabouret !
(Il se dissimule derrière le piano en s'accroupissant, de façon à ce que sa tête, soit au niveau du clavier.)

Gabrielle (au milieu de la scène, terrifiée, et d'une voix tremblante )
Qui… est là ?… (Silence de Petypon.)
Au piano, qui est là ?… Personne ne répond ?… J'ai bien entendu, cependant !… (Se faisant violence.)
Allons ! voyons ! voyons, Gabrielle ! (Avec décision, elle reprend le chemin du piano. Ce que voyant, Petypon toujours accroupi, lève ses deux mains au-dessus de sa tête et applique à nouveau deux ou trois coups de poing sur le clavier. Gabrielle, bondissant en arrière.)
Ah !… (Petypon, voyant que son truc a réussi, se met, toujours à croupetons, à jouer l'air "des côtelettes" sur le piano.)
Dieu ! le piano qui joue tout seul ! Le piano est hanté ! (Elle se sauve éperdue, et se précipite dans la pièce de droite. Elle n'a pas plus tôt disparu que, dans cette même pièce, on entend pousser un grand cri d'effroi, et Gabrielle reparaît affolée, reculant, les mains en avant, comme pour se protéger, devant l'apparition blanche qui s'avance sur elle. Les bras tendus, la tête courbée, en poussant des petits cris d'effroi, elle vient, par un mouvement arrondi, s'affaler à genoux devant le trou du souffleur, tandis qu'Emile paraît à la porte de droite, portant, à hauteur de sa propre taille et bien face au public, un mannequin d'osier revêtu de la robe de mariée à longue traîne de satin qui le dissimule complètement et qui au rayon de lune semble un gigantesque revenant. Emile, sans même se rendre compte de l'émoi qu'il cause, traverse la scène et sort de gauche deuxième plan, cependant que toute la théorie des farandoleurs, qui a fait le tour du parc et dont on entend depuis un moment les chants éloignés à la cantonade droite, fait irruption en scène, toujours dansant, et remplaçant la musique absente par des "tatatata tatatata", sur l'air de la farandole du départ. Elle pénètre par la baie du milieu, descend jusqu'à droite de madame Petypon qui crie : Grâce ! Grâce ! décrit un demi-cercle au-dessus d'elle, de façon à ce qu'elle soit toujours visible du spectateur, puis, faisant un crochet, remonte vers le fond gauche et, comme le vent, franchit la baie du milieu pour disparaître. Gabrielle, côté jardin, pendant tout ce jeu de scène.)
Grâce ! Grâce ! messieurs les revenants !
(A peine le dernier farandoleur a-t-il franchi la baie que Petypon bondit vers la cloche, en prend la gaine et, s'élançant vers sa femme toujours à genoux, lui couvre la tête avec. Celle-ci, en recevant la gaine, pousse un petit cri de détresse.)

Petypon (de la main gauche maintenant la gaine sur la tête de sa femme, de l'autre main se faisant un écran auprès de sa bouche afin d'éloigner sa voix )
Gabrielle ! Gabrielle ! je suis ton bon ange ! Ecoute ma voix et suis mes conseils !

Gabrielle (à genoux )
L'ange Gabriel !

Petypon (même jeu )
Sous cette égide dont je couvre tes épaules, tu peux braver la malignité des esprits ! Mais, pour éviter un malheur, quitte à l'instant ce château ensorcelé !… Emporte ta malle ! et pars sans regarder en arrière !

Gabrielle
Oh ! merci, mon bon ange !

Petypon
Va !… et remercie le ciel !
(Il relève sa femme et, sans changer de numéro, la dirige vers le fond, elle, la tête toujours recouverte de la gaine.)

Le Général (Voix du, cantonade gauche )
Eh ! bien, oui, bon ! Quoi ! c'est bon ! Je vais voir.

Petypon (pivotant sur les talons à la voix du général et courant se cacher à gauche du piano, derrière lequel il s'accroupit )
Sapristi ! le général !

Le Général (arrivant par la première baie gauche )
Eh ben ?… Qu'est-ce qui a éteint l'électricité, donc ? (Il tourne le bouton électrique qui rend la lumière partout. Apercevant Gabrielle qui, sous sa gaine, semble jouer toute seule à colin-maillard au milieu de la scène.)
Qu'est-ce que c'est que ça ? (Reconnaissant Gabrielle à sa tournure.)
Hein ! encore la folle ! (A Gabrielle.)
Ah çà ! qu'est-ce que vous faites là-dessous, vous ?
(En ce disant, il veut lui enlever la gaine qu'il a saisie par le pompon ou l'anneau du sommet.)

Gabrielle (défendant sa gaine en la maintenant des deux mains par le bord )
Laissez-moi ! laissez-moi !

Le Général (tirant à lui par le pompon )
Mais, jamais de la vie !

Gabrielle (retirant à elle par les bords )
Laissez-moi !

Le Général (même jeu )
Mais non ! Mais non ! Elle emporte ma gaine, à présent ! Voulez-vous me rendre ça ?

Gabrielle (qui d'une volte du corps est passée n° 1 par rapport au général, ceci sans lâcher la gaine ni l'un ni l'autre )
Non !… c'est l'ange Gabriel qui me l'a mise sur la tête ! C'est l'ange Gabriel qui me l'a mise sur la tête !
(Elle se sauve par la gauche de la terrasse, avec le général à ses trousses.)

Petypon (sortant de sa cachette et traversant toute l'avant-scène jusqu'à l'extrême-droite )
Enfin ! j'en suis débarrassé ! Mon Dieu ! je n'ai plus qu'un précipice au lieu de deux ! Sauvez-moi du second !
(Pendant cette dernière phrase on a vu arriver de droite sur la terrasse. Mongicourt, qui s'avance ainsi un peu plus loin que la baie du milieu, semblant chercher des yeux dans le parc. A ce moment, en se retournant, il aperçoit Petypon.)

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