Acte III - Scène IV
Gabrielle, Petypon
Petypon (surgissant de la tapisserie du fond )
Qui est-ce qui a sonné tout à l'heure ?
Gabrielle (se retournant à la voix de son mari )
Lucien !
Petypon (au fond )
Toi !… Ah ! çà, depuis quand es-tu arrivée ?
Gabrielle (au fond )
Mais depuis dix minutes ! Etienne m'avait dit que tu étais sorti.
Petypon
Moi, pas du tout !… C'est-à-dire que j'étais sorti pour remettre une lettre à un commissionnaire… Mais il y a vingt-cinq minutes que je suis rentré. (Brusquement, la prenant par le poignet et la faisant descendre à l'avant-scène.)
Ah ! te voilà !… eh bien, tu en as fait de belles !
Gabrielle (ahurie )
Moi ! Où ça ? Quand ça ? Comment ça, de belles ?
Petypon
Mais, là-bas, chez mon oncle !
Gabrielle
Ah ! non, celle-là est raide ! C'est bien à toi à me faire des reproches !
Petypon
Mais, évidemment ! Te permettre de lever la main sur mon oncle !
Gabrielle
Tu aurais peut-être voulu que j'acceptasse de sang-froid ses insultes !
Petypon (avec un haussement d'épaules )
Mais il n'a jamais eu l'intention de t'insulter !
Gabrielle (remontant et, par un mouvement arrondi, au-dessus de Petypon, gagnant jusque derrière le canapé )
Ah ! très bien ! Si tu trouves que ce qu'il m'a dit était une gracieuseté !
Petypon
Enfin, quoi ?… Qu'est-ce qu'il t'a dit ?
Gabrielle (au-dessus du canapé )
Rien rien. C'est entendu !… (Brusquement, venant s'appuyer sur le dossier du canapé comme sur la rampe d'un balcon. Et à Mongicourt)
hein ? ce pauvre Mongicourt qui ne lui avait rien fait : Oh ! il en a ragé pendant tout le voyage ; c'est peut-être aussi par gracieuseté qu'il lui a appliqué la main sur la figure ?
(Elle est redescendue par la gauche du canapé sur lequel elle vient s'asseoir.)
Petypon (haussant les épaules )
"Une gracieuseté" ! Evidemment non, ce n'est pas une gracieuseté ; mais, enfin, quand on a reçu une gifle, on éprouve le besoin de la rendre. C'est humain, ça.
Gabrielle
Eh ben !… Tu étais là, il n'avait qu'à te la rendre.
Petypon
A moi ?
Gabrielle
Dame ! c'était plus logique que de la donner à Mongicourt !… Tu es mon mari ; ça te revenait !
Petypon (avec une révérence )
C'est ça, comment donc !… j'aurais même dû offrir ma joue ?
Gabrielle (se levant )
Ah ! la la ! J'aurais mieux fait de ne pas y mettre les pieds, dans son sale château !… (Gagnant la gauche.)
Tout ça pour arriver à me faire traiter de drôlesse.
Petypon
Pourquoi as-tu pris ça pour toi ?… Il parlait peut-être d'une autre personne ! Il y a plus d'une femme à la foire qui s'appelle… Martin !
Gabrielle
Mais qui ?
Petypon (écartant de grands bras, tout en gagnant la droite )
Ah ! qui ? qui ? est-ce que je sais, moi ?
Gabrielle (brusquement )
J'y suis !
Petypon (étonné, se retournant à l'exclamation de Gabrielle )
Tu y es ?
Gabrielle (en ponctuant chaque syllabe )
Il parlait de ta tante !
Petypon (faisant deux pas vers Gabrielle )
De ma ?… (Saisissant la balle au bond.)
Oui ! oui ! Voilà ! (A part, les yeux au ciel.)
Pardonne-moi, pauvre tante, si tu m'entends là-haut !
(Il gagne la droite.)
Gabrielle
Oh ! je suis désolée ! Qui aurait cru ça ? Une femme si charmante !… (Un temps.)
C'est vrai que je l'avais trouvée tout de même un peu drôle !
Petypon (ahuri, revenant vers Gabrielle )
Comment, "tu l'avais trouvée" ? tu ne l'as jamais vue !
Gabrielle
Moi ? si !
Petypon (de plus en plus étonné )
Quand ?
Gabrielle
Hier !
Petypon (même jeu, très large )
Hein ?
Gabrielle (s'asseyant sur le canapé )
Le Général nous a présentées !
Petypon
Il vous a… ! (A part, ahuri, tout en gagnant l'extrême droite.)
Ah ! çà, voyons, voyons ! Je n'y suis plus, moi ! (Récapitulant)
Elle a vu ma tante, qui n'est plus depuis huit ans ! (Un temps.)
et c'est mon oncle qui la lui a présentée ??? (Haut à Gabrielle, en allant vers elle.)
Voyons, tu es bien sûre que mon oncle ?…