Acte III - Scène XIII



Le Général, La Môme

Le Général (ahuri )
Eh ! bien, quoi ? il s'en va au moment où nous arrivons ! (Se retournant pour faire entrer la Môme qui attend dans le vestibule.)
Venez, mon enfant, venez, je vais vous ramener votre mari aussi empressé et amoureux que par le passé.

La Môme (qui suit le général )
Ah ! ben ! c'est bien pour vous, général, ce que j'en fais !

Le Général (milieu de la scène, serrant la Môme affectueusement dans son bras gauche )
Allons, mon enfant, pas de nerfs surtout ! pas de nerfs.

La Môme (appuyée langoureusement contre sa poitrine )
Ah ! vous êtes bon, vous, général ! (Lui frisant sa moustache de la main droite.)
Vous me comprenez.

Le Général (bien culotte de peau )
Mais oui, je suis bon !… (Se campant bien face au public, les jambes écartées, les genoux pliés, et les mains sur les genoux.)
Allons, ma nièce, embrassez votre oncle.
(Il tend sa joue.)

La Môme (langoureusement )
Ah ! oui, mon oncle !… Avec joie !
(Elle lui prend la tête entre les deux mains, la tourne face à elle au grand étonnement du général, et longuement lui promène ses lèvres sur les yeux.)

Le Général (très troublé, entre chair et cuir )
Oh ! nom d'un chien !… (Plus fort.)
Oh ! nom d'un chien ! (Se dégageant et gagnant la droite.)
Ah ! nom d'un chien de nom d'un chien, de nom d'un chien !

La Môme (avec un lyrisme comique )
Ah ! ce baiser m'a fait du bien !

Le Général (à part, avec élan, tout en revenant à la Môme )
Ah ! si elle n'était pas ma nièce ! Cré nom de nom !

La Môme (langoureusement appuyée contre la poitrine du général, tout en lui caressant les cheveux )
Ah ! C'est un homme comme vous qu'il m'aurait fallu, général ! un homme… (Lui introduisant furtivement l'index dans l'oreille, ce qui le fait sursauter.)
qui me comprît !… Ah ! je vous assure qu'avec vous !…

Le Général (se dégageant si brusquement que la Môme manque en perdre l'équilibre )
Eh ! Quoi ?… Alors, mon neveu !… Il ne vous comprendrait pas ?

La Môme
Oh ! pour ce que je lui suis !…

Le Général (revenant à elle et lui prenant les mains )
Est-il possible ! Il vous délaisse !… Oh !… (Brusquement, comme une trouvaille.)
Et pour une autre peut-être !

La Môme (courbant la tête )
Oh ! ne parlons pas de ça !

Le Général
Ah ! nom de nom ! Je comprends maintenant le pourquoi de votre coup de tête !

La Môme (laissant tomber sa tête contre l'épaule gauche du général )
Je n'en calculais pas la portée.

Le Général (la serrant dans son bras gauche et, par un mouvement circulaire de la main droite renversée, désignant la Môme, en lui dirigeant les extrémités de ses doigts dans le creux de l'estomac )
Ah ! pauvre innocente !… que de ménages ainsi disloqués par l'incurie des maris !
(Il lui donne un gros baiser.)

La Môme (avec élan )
Ah ! mon oncle !
(Elle lui prend la tête comme précédemment et l'embrasse longuement sur les yeux.)

Le Général (émoustillé, tandis qu'elle l'embrasse )
(Entre chair et cuir )
Ah ! nom de nom !… (Un peu plus fort.)
Ah ! nom de nom ! (Se dégageant et gagnant la droite en ramenant nerveusement un côté de sa redingote sur l'autre.)
Ah ! nom de nom
de nom, de nom ! (Avec transport.)
Ah !… pourquoi faut-il qu'elle soit ma nièce ! (Revenant à elle et l'enlaçant fiévreusement de son bras gauche.)
Et c'est cette petite femme-là que son mari, par son indifférence, jetterait dans les bras d'un autre ?… Non, non ! (Il l'embrasse sur la tempe droite.)
Je ne veux pas d'un autre !… (Nouveau baiser.)
Un autre ne l'aura pas !… (Nouveau baiser.)
Tenez, mon enfant, (La conduisant au fauteuil extatique.)
asseyez-vous là ! (Tandis que la Môme s'assied, gagnant la gauche.)
Je vais lui parler, moi, à votre mari !… et nous verrons !… (Revenant à la Môme.)
Ah ! mais, si je m'en mêle, mille millions de tonnerres !… (Il donne un grand coup de poing sur le bouton gauche du fauteuil ; courant choc. La Môme est endormie. Le Général, sans se rendre compte de l'effet de son geste, a gagné à grandes enjambées la porte de gauche ; arrivé sur le seuil, il se retourne et avec un geste de la main.)
Bougez pas !
(Il sort )
(Un temps )
(La porte de droite s'ouvre et Etienne paraît.)

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