Acte I - Scène III
Les Mêmes, Madame Petypon
Madame Petypon (son chapeau encore sur la tête, surgissant de droite, pan coupé, et les bras tendus vers son mari )
Ah ! te voilà ; tu es levé ! Eh ! bien, tu en as fait une grasse matinée ! Bonjour, mon chéri.
(Elle l'attire à elle pour l'embrasser.)
Petypon (auquel l'étreinte de sa femme donne une secousse dans la tête endolorie )
Bonjour, Gab… Oh !… rielle !
Madame Petypon
Bonjour, monsieur Mongicourt.
Mongicourt (très aimable )
Madame, votre serviteur !
Madame Petypon (retournant son mari face à elle )
Oh ! mais, regarde-moi donc !… Oh ! bien, tu en as une mine !
Petypon
Ah ?… Tu trouves ?… Oui ! oui ! Je ne sais pas ce que j'ai, ce matin ; je me sens tout chose.
Madame Petypon (inquiète )
Mais tu es vert ! (A Mongicourt.)
Qu'est-ce qu'il a, docteur ?
Mongicourt (affectant la gravité du médecin consultant )
Ce qu'il a ?… Il a de la gueula lignea, madame !
Petypon (à part )
Hein ?
Madame Petypon (sursautant, sans comprendre )
Ah ! mon Dieu, que me dites-vous là !
Mongicourt (d'une voix caverneuse )
Oui, madame !
Madame Petypon (affolée )
C'est grave ?
Mongicourt (avec importance, la rassurant du geste )
Je réponds de lui…
Madame Petypon (sur un ton profondément reconnaissant )
Ah ! merci !… (A Petypon, avec une affectueuse commisération.)
Mon pauvre ami !… Alors, tu as de la "gueula lignea" !
Petypon (embarrassé )
Ben… je ne sais pas !… C'est Mongicourt qui…
Madame Petypon (vivement )
Oh ! mais, il faut te soigner. (A Mongicourt.)
Qu'est-ce qu'on pourrait lui faire prendre ?… peut-être qu'un réconfortant ?… (Brusquement.)
un peu d'alcool ?…
(Ravie de cette inspiration, elle fait mine d'aller chercher de ce qu'elle propose.)
Petypon (comme une vocifération )
Oh ! non !… (Avec écœurement.)
Non, pas d'alcool !
Madame Petypon (redescendant, toujours n° 3 )
Mais alors, docteur, quel remède ?
Mongicourt (avec une importance jouée )
Mon Dieu, madame, en général, pour cette sorte d'indisposition, on préconise l'ammoniaque.
Gabrielle (n'en demandant pas davantage et remontant )
L'ammoniaque, bon !
Petypon (vivement )
Hein ? Ah ! non ! (Bas à Mongicourt, pendant que sa femme, arrêtée par son cri, revient vers lui.)
Tu veux me faire prendre de l'ammoniaque !
Mongicourt (ayant pitié de l'affolement de Petypon )
Mais, actuellement, votre mari est dans la période décroissante…
Gabrielle
Ah ! tant mieux !
Mongicourt
Des tisanes, du thé avec du citron ; voilà ce qu'il lui faut !
Madame Petypon (remontant, empressée )
Je vais tout de suite en commander.
Mongicourt (blagueur, à Petypon )
N'est-ce pas ?
Petypon (à mi-voix, sur un ton de rancune comique, à Mongicourt )
Oui, oh ! toi, tu sais !…
Madame Petypon (qui s'est arrêtée en chemin, se tournant vers Petypon )
Ah ! qui m'aurait dit que tu te réveillerais dans cet état, quand ce matin tu dormais d'un sommeil si paisible ! (Petypon, stupéfait, tourne un regard ahuri vers Mongicourt.)
Tu n'as même pas senti quand je t'ai embrassé.
Petypon (de plus en plus stupéfait, se retournant vers sa femme )
Hein ?… Tu… tu… ?
Madame Petypon
Quoi, "tutu" ?
Petypon
Tu m'as embrassé ?…
Madame Petypon (très simplement )
Oui.
Petypon (insistant )
Dans… dans mon lit ?
Madame Petypon
Eh ? bien oui ! quoi ?… Tu dormais, enfoui sous les couvertures ; je t'ai embrassé sur le peu de front qui emergeait de tes draps. Qu'est-ce qu'il y a d'étonnant ?
Petypon (abruti )
Oh ! Rien ! rien !
Madame Petypon (remontant pour sortir )
Je vais chercher le thé.
Mongicourt (accompagnant la sortie de madame Petypon )
C'est ça ! c'est ça !
(Aussitôt madame Petypon sortie, pan coupé droit, il redescend n° 2.)