Acte III - Scène XI



Les Mêmes, Mongicourt, puis Gabrielle

Mongicourt (passant la tête par l'embrasure des rideaux de la baie et appelant à voix basse )
Eh ! Petypon ?

Petypon (bondissant )
Nom d'un chien, l'autre ! (Se précipitant vers Mongicourt, et bas.)
Oui, oui ! ça va bien ! je suis en train ! Va, je t'appellerai !

Mongicourt (à mi-voix )
Enfin, dépêche-toi !

Petypon
Mais va donc ! puisque je te dis que je suis en train !
(Il le repousse dans la pièce du fond.)

Le Général (qui rangeait les épées, se retournant )
Qu'est-ce que c'est ?

Petypon (se retournant vivement en tenant les deux rideaux fermés derrière lui )
Rien !… un malade !… un malade qui s'impatiente !… Oh ! il peut attendre !… c'est une maladie chronique !
(Il redescend et gagne n° 1 devant le canapé.)

Gabrielle (Voix de)
Dans le cabinet de monsieur ? Le Général ? Bon !

Le Général (allant à Petypon )
Oh ! on vient de ce côté !… Ca doit être ta femme. Tu ne vas pas recommencer comme tout à l'heure ?

Petypon (voyant entrer Gabrielle )
Nom d'une pipe ! Gabrielle ! v'là ce que je craignais !

Le Général (se retournant et reconnaissant Gabrielle )
Allons, bon ! encore la folle.

Gabrielle (allant, toute sautillante, jusqu'au général )
Vous m'avez fait demander, général ?

Le Général (avec un haussement d'épaules, passant devant Gabrielle et gagnant la droite )
Mais non, madame ! Mais non !

Petypon (faisant passer sa femme n° 1 )
Non, non ! c'est une erreur !… Va dans ta chambre ! va dans ta chambre.

Le Général (debout devant le fauteuil extatique, à part )
Il se tutoient !

Gabrielle (à Petypon )
Mais non !… Etienne m'a dit que le général me priait de venir dans ton cabinet.

Le Général (éclatant de rire )
Non ? Ah ! quel idiot ! (Se laissant tomber sur le fauteuil extatique en se tordant de rire.)
Il m'envoie madame Mon… Mongiletcourt…

Petypon (voyant le général sur le fauteuil )
Oh !

Gabrielle (devant le canapé )
Qu'est-ce qu'il dit ?

Le Général (tandis que Petypon en catimini s'élance derrière le fauteuil extatique )
… quand je l'ai chargé de faire venir madame Pet…
Le général reçoit le choc électrique et reste figé et souriant : c'est que Petypon, vivement, a frappé sur le bouton du fauteuil et que le fluide opère.

Petypon (à part, tout en s'éloignant, de l'air le plus détaché du monde )
Ouf !
(Les pouces dans l'emmanchure du gilet, il gagne avec un air détaché jusqu'au-dessus du canapé et va s'asseoir sur le bras gauche de ce dernier.)

Gabrielle (qui n'a pas vu tout le manège de son mari, tournée qu'elle est vers l'avant-scène gauche, au bout de six ou sept secondes, étonnée de ne plus entendre le général, se retournant de son côté )
Ah ! mon Dieu !… le général ! vois donc !…
(Tout en parlant, instinctivement, elle s'est élancée vers le général.)

Petypon (sans se retourner )
Quoi ?

Gabrielle (à peine a-t-elle touché l'épaule du général, recevant la commotion )
Ah !
(Elle reste figée, le sourire aux lèvres, la main gauche sur l'épaule du général, la droite en l'air, le corps bien face au public. Un temps de quatre ou cinq secondes.)

Petypon (sans se retourner )
Eh ben ! quoi ? que je voie quoi ? (N'obtenant pas de réponse, il se retourne et apercevant sa femme en état d'extase.)
Gabrielle ! qu'est-ce que tu fais ?
(Il se précipite vers elle, instinctivement lui aussi, l'attrape par le bras, et, subissant le fluide, glisse à terre par la force de l'élan, et reste figé sur place, les jambes allongées parallèlement à la rampe, la main gauche tenant toujours le bras de sa femme ; la main droite appuyée à terre. Huit ou neuf secondes se passent ainsi. Se baser pour cela sur l'intensité et la durée de l'effet, attendre le descrescendo du rire.)

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