Acte II - Scène VI



Le Duc, Gabrielle, Emile

Gabrielle (costume de voyage, cache-poussière. Elle arrive de droite, un petit sac de voyage en cuir à la main. Elle est précédée d'Emile portant sa valise )
(Arrivée à la baie du milieu)
Tenez, mon ami ! portez tout ça dans la chambre qui m'est réservée.

Emile
Dans la chambre ?… Mais laquelle ? On n'attend personne.

Gabrielle
Comment, laquelle ?… Il n'y a pas une chambre pour madame Petypon ?

Emile
Ah ! si !

Gabrielle
Eh ! bien, c'est bien ! faites-y monter mes colis !

Emile
Ah ?… Bien, madame !
(Il passe devant Gabrielle et sort premier plan cour en emportant la valise.)

Le Duc (redescendant extrême gauche, et sans voir Gabrielle )
J'ai subjugué une femme du monde ! (Apercevant Gabrielle.)
Oh ! pardon, madame.

Gabrielle (descendant en scène )
Oh ! pardon ! monsieur ! (Le duc s'incline.)
Excusez-moi d'être en costume de voyage, je descends de chemin de fer et je ne me doutais pas qu'il y eût déjà réception ce soir.
(Tout en parlant, elle s'est débarrassée du petit sac de cuir qu'elle a posé sur le piano.)

Le Duc (homme du monde )
Mais, madame, vous êtes tout excusée.

Gabrielle
Le général n'est pas là ?
(La musique, qui n'a pas cessé, mais lointaine, pendant les scènes précédentes, ici commence à se rapprocher.)

Le Duc
Il est dans le parc avec ses invités, mais il va revenir.

Gabrielle
Parfait !… je vais en profiter pour aller voir si on monte mes malles !
(Le duc s'incline, Gabrielle salue également et sort premier plan droit.)

Le Duc (après la sortie de madame Petypon )
Au revoir, belle madame ! au revoir ! Qu'est-ce que c'est que ce tocasson ?… (Brusquement.)
J'aime mieux madame Petypon !
(Il remonte se mêler aux invités qui, arrivant de gauche pendant ces derniers mots, ont envahi la terrasse à mesure que la fanfare s'est rapprochée. Tout le monde est en ligne le long de la balustrade, et dos au public. Le général est au centre, face à la baie du milieu. Madame Claux et la baronne sont visibles par la baie de droite. Mesdames Ponant et Virette sont à gauche du général. Les autres invités ad libitum.)

Le Général
(aussitôt la fin de l'exécution du morceau, dos au public, aux pompiers en contre-bas et dont on n'aperçoit que le haut de la bannière )
(toussant)
Hum ! Hum !… Messieurs les pompiers de la Membrole ! C'est toujours une profonde émotion pour un vieux militaire, qui, par conséquent, j'ose le dire sans forfanterie, aime les militaires, de voir, réuni devant lui et dans un même élan, tout un groupement, euh… militaire !… Oui !… Euh ! qu'est-ce que je voulais donc vous dire ? Je ne sais plus ! Ah ! oui ! Je vous salue, messieurs les pompiers ! Je salue votre drapeau en la personne si j'ose dire de vote bannière, ornée d'autant de médailles que la poitrine d'un brave. Comme disait Napoléon à Austerlitz… Attendez donc ! était-ce bien à Austerlitz ? Non, c'était à… D'ailleurs, peu importe ! A quoi bon des souvenirs historiques ? A quoi bon avoir recours aux paroles des grands quand on peut puiser en soi-même ? J'aime mieux vous dire tout simplement ce que mon cœur me dicte : merci, messieurs ! Vive les pompiers de la Membrole ! Vive la France et… et au revoir !

Tous (chaleureusement )
Bravo ! bravo !

Les Pompiers (à la cantonade )
Vive le général ! Vivent les fiancés !

Le Général (aux pompiers )
Il y a du vin et de la bière pour vous là-bas sous la tonnelle ! Allez ! et, comme on dit au régiment, tâchez moyen de ne pas vous pocharder !

Les Pompiers
Vive le général !

Le Général
A la bonne heure !
(La musique reprend et va en s'éloignant pour s'éteindre par la suite tout à fait.)

Madame Ponant (descendant en scène )
Ah ! c'était charmant.

Madame Virette (même jeu )
Ah ! exquis.

Madame Claux
Ah ! délicieux ! (Enjambant la chaise qui est au milieu.)
Eh ! allez donc ! c'est pas mon père !
(Elle descend jusque devant le piano.)

Tous
Ah ! bravo, madame Claux !

Madame Claux
Tiens ! je ne vois pas pourquoi je ne serais pas Parisienne, moi aussi !

Le Général (au milieu de la scène )
Ah çà ! où sont donc mes nièces ?

Guérissac (n° 2 par rapport au général )
Mon général, je viens de voir madame Petypon se promenant avec mademoiselle Clémentine dans le parc.

Le Général (gagnant un peu à droite )
Ah ! parfait ! elle lui donne sa leçon de parisianisme.

L'Abbé (descendant entre Guérissac et le général )
Oh ! général, je sais bien une chose qui ferait plaisir à tout le monde !

Le Général
Quoi donc ?

Tous (se rapprochant du groupe )
Quoi ? quoi ?

L'Abbé
Ne dites pas que c'est moi qui vous l'ai dit : il paraît que madame Petypon est excellente musicienne !…

Le Général
Ma nièce ?

L'Abbé
Parfaitement ! Et qu'elle chante à merveille.

Madame Vidauban
Ah ! il faut lui demander de chanter !…

Madame Ponant
Oh ! ce serait si gentil, si elle voulait bien !…

Madame Hautignol
La moindre des choses : quelques couplets, une romance !

Le Général (passant devant l'abbé et descendant à gauche, près du piano, suivi de toutes les dames qui l'entourent )
Je vous promets, dès qu'elle sera là, de le lui demander.

Tous
Ah ! Bravo !… bravo !…
(Le Général est descendu vers le piano sur lequel il dépose en passant son képi, coiffe et visière en l'air, puis va s'asseoir devant, ainsi que quelques dames ; les autres restent debout près du général, qui se trouve ainsi dissimulé par leur présence à tout arrivant de droite. Chamerot et Guérissac sont plus au fond et au milieu de la scène ainsi que l'abbé. Mesdames Ponant et Sauvarel vont rejoindre les autres dames près du général.)

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