Acte I - Scène XI
Les Mêmes, Petypon
Petypon (arrivant de gauche et derrière le canapé )
Je ne sais pas où cet animal d'Etienne a fourré ma robe de chambre ?… (Apercevant du monde au fond.)
Eh bien ! qu'est-ce qui est là, donc ?
Le Général (se retournant et descendant, reconnaissant Petypon )
Eh ! te voilà, toi !
Petypon (s'effondrant et roulant pour ainsi dire contre le dossier du canapé, ce qui l'amène à l'avant-scène gauche )
Nom d'un chien ! mon oncle !
La Môme (à part )
V'là l'bouquet !
Petypon (ahuri, et ressassant sa surprise )
Mon oncle ! C'est mon oncle ! C'est pas possible ! Mon oncle du Grêlé !… C'est mon oncle !
Le Général (qui est descendu milieu de la scène )
Eh ! bien, oui, quoi ? c'est moi ! Embrasse-moi, que diable ! Qu'est-ce que tu attends ?
Petypon
Hein ? Mais, voilà ! j'allais vous le demander !… (A part, tout en passant devant le canapé pour aller au général.)
Mon Dieu ! et la Môme !… en chemise !… dans mon lit ! (Haut, au général.)
Ah ! mon oncle !
(Ils s'embrassent.)
La Môme (sur son séant, dans le lit, et les jambes sous le drap )
Non ! ce que je me marre !
Petypon (les deux mains du général dans les siennes )
Ah ! bien, si je m'attendais !… depuis dix ans !
Le Général
N'est-ce pas ? C'est ce que je disais : "Il va avoir une de ces surprises ! "
Petypon (riant jaune )
Ca, pour une surprise !…
Le Général (dévisageant Petypon )
C'est qu'il n'a pas changé depuis dix ans, l'animal !… Toujours le même !… (Même modulation.)
en plus vieux !
Petypon (un peu vexé )
Vous êtes bien aimable. (Lui reprenant les mains.)
Ah ! ben, vous savez !… si je m'attendais !…
Le Général (retirant ses mains et sur le ton grognard )
Oui ! Tu l'as déjà dit !
Petypon (interloqué )
Hein ? Ah ! oui !… oui ! en effet !
Le Général (descendant plus en scène )
Tel que tu me vois, j'arrive d'Afrique !… avec ta cousine Clémentine !
Petypon
Oui ?… Ah ! ben, si je m'attendais !
(Il descend à lui les mains tendues.)
Le Général
Eh ! bien, oui ! oui ! c'est entendu ! (A part.)
Oh !… il se répète, mon neveu !
Petypon
Et vous n'êtes pas pour longtemps à Paris ? Non ?… Non ?
Le Général
Non, je pars tout à l'heure.
Petypon
Ah ?… Ah ?… Parfait ! Parfait !
Le Général
Comment, parfait ?
Petypon
Non ! c'est une façon de parler !
Le Général
Ah ! bon ! Je me suis accordé un congé de quinze jours que je passe en Touraine ; le temps de la marier, cette enfant ! Et, à ce propos, j'ai besoin de toi ! Tu es libre pour deux ou trois jours ?
Petypon (avec une amabilité exagérée )
Mais il n'est d'affaires que je ne remette pour vous êtes agréable !
Le Général (riant )
Allons, allons ! n' p'lote pas ! Tu n'as qu'à répondre oui ou non sans faire de phrases ! Ce n'est pas parce que je suis l'oncle à héritage !… Je ne suis pas encore mort, tu sauras !
Petypon
Oh ! mais, ça n'est pas pour vous presser !
Le Général
Tu es bien bon de me le dire ! (Sur le ton de commandement.)
Donc, je vais t'annoncer une nouvelle : tu pars avec nous ce soir !
Petypon
Moi ?
Le Général (même jeu )
Oui !… Ne dis pas non, c'est entendu.
Petypon
Ah ? Bon !
Le Général
Et ta femme vient avec toi.
Petypon (gracieux )
Ma femme ? Mais elle sera ravie.
Le Général
Je le sais ! Elle me l'a dit !
Petypon (ahuri )
Elle vous l'a… Qui ?
Le Général
Ta femme ?
La Môme (sous cape )
Boum !
Petypon
Ma femme ? Où ça ? Quand ça ?… Qui, ça, ma femme ?
Le Général
Mais, elle !
(Il désigne la Môme.)
Petypon (outré )
Hein ! Elle !… Elle ! ma femme, ah ! non ! Ah ! non, alors !
(Il redescend extrême gauche.)
Le Général
Comment, non ?
Petypon (même jeu )
Ah ! non, vous en avez de bonnes !… elle, ma femme, ah ! ben… jamais de la vie !…
Le Général
Qu'est-ce que tu me chantes ! Ca n'est pas ta femme, elle ? que je trouve chez toi ? couchée dans ton lit ? au domicile conjugal ? (A Petypon.)
Eh ! bien, qu'est-ce que c'est, alors ?
Petypon
Eh ! bien, c'est… c'est… Enfin, ce n'est pas ma femme, là !
Le Général
Ah ! c'est comme ça ! Eh ! bien, c'est ce que nous allons voir !
(Il remonte vivement à droite de la baie et saisit de la main gauche le cordon de sonnette.)
Petypon (se précipitant sur le général pour l'empêcher de sonner )
Qu'est-ce que vous faites ?
Le Général (le bras gauche tendu, tandis que de la main droite il écarte Petypon, mais sans sonner )
Je sonne les domestiques ! ils me diront, eux, si madame n'est pas ta femme !
Petypon (faisant des efforts pour atteindre la main du général )
Eh ! là ! eh ! là, non, ne faites pas ça !
Le Général (triomphant, lâchant le cordon de sonnette )
Ah ! Tu vois donc bien que c'est ta femme !
Petypon (à part, redescendant jusque devant le canapé )
Oh ! mon Dieu, mais c'est l'engrenage ! (Prenant son parti de la chose.)
Ah ! ma foi, tant pis ! puisqu'il le veut absolument !… (Se tournant vers le général et affectant de rire, comme après une bonne farce.)
Ehé ?… éhéhéhéhé. éhé !…
Le Général (le regardant d'un air gouailleur )
Qu'est-ce qui te prend ? T'es malade ?
Petypon
Ehé !… On ne peut rien vous cacher !… Eh ! bien, oui, là !… c'est ma femme !
Le Général (victorieux )
Ah ! je savais bien !
(Il remonte.)
Petypon (à part, tout en redescendant extrême gauche )
Après tout, pour le temps qu'il passe à Paris, autant le laisser dans son erreur !
Le Général (redescendant vers lui )
Ah ! tu en as de bonnes, "ça n'est pas ta femme !…" Et, à ce propos, laisse-moi te faire des compliments, ta femme est charmante !
La Môme (du lit, avec force courbettes )
Ah ! général !… général !
Le Général (se tournant vers elle, mais sans quitter sa place )
Si, si ! je dis ce que je pense ! j'dis c'que je pense ! (A Petypon.)
Figure-toi qu'on m'avait dit que tu avais épousé une vieille toupie !
(Il remonte.)
Petypon (riant jaune )
Oh ! Qui est-ce qui a pu vous dire ? (A part.)
Ma pauvre Gabrielle, comme on t'arrange !
(On frappe à la porte du vestibule.)
Le Général (tout en remontant )
Entrez !
Petypon (vivement, presque crié )
Mais non !