Acte III - Scène XVI



Les Mêmes, Gabrielle, puis Etienne

Gabrielle (surgissant brusquement de gauche et poussant une exclamation en voyant le tableau )
Ah !
(Elle descend par la gauche du canapé.)

Petypon (se dégageant vivement et à part )
Sapristi, ma femme !

Le Général (à part, gagnant la droite )
Ca y est ! v'la la loufetingue !

Gabrielle (allant à la Môme, les bras tendus )
Oh !… Comment, c'est toi ! C'est toi qui es là !

Petypon (à part )
Hein !

La Môme (embarrassée )
Mais oui, c'est… c'est moi !

Gabrielle (lui faisant fête )
Ah ! que je suis contente de te voir !

Petypon (à part, aburi )
Ma femme tutoie la Môme !

Gabrielle (qui tient la Môme par les mains, l'attirant à elle et l'embrassant )
Ah ! ma tante !

Petypon (à part )
Qu'est-ce qu'elle dit ?

Gabrielle (même jeu )
Ma chère tante !
(Le Général. - Ca y est !… v'là la crise…)

Gabrielle
Ah ! ce que je suis contente !… (Passant 2 et à Petypon.)
Ma tante ! C'est ma tante ! (A la Môme.)
Oh ! mais, je ne t'ai pas dit… Je ne t'ai pas dit ce qui s'est passé à la Membrole !

La Môme (à moitié abrutie )
Non !…

Petypon (bondissant vers elle )
Non ! non ! C'est pas la peine ! nos savons ! nous savons !

Gabrielle
Mais ma tante ne sait pas…

Petypon
Oui, eh ! bien, c'est pas le moment ! pas ici ! pas ici !

Gabrielle
Ah ! comme tu voudras ! (A la Môme.)
Eh ! bien, alors, viens dans ma chambre ; je te raconterai.

Petypon (voyant Gabrielle qui déjà remonte avec la Môme par la droite du canapé, essayant de s'interposer )
Mais non ! mais non !

Gabrielle
Mais si, quoi ?… Je te laisse avec le général et j'emmène ma tante !… (Avec élan.)
Viens, ma tante !… ma chère tante !

Petypon (les suivant )
Mais, voyons…

La Môme
Oh ! ce qu'elle m'embête, ma nièce !
(Elles sortent toutes deux par la gauche.)

Petypon (qui a suivi jusqu'à la porte, redescendant extrême gauche )
Mon Dieu ! Il me semble que je navique dans un rébus !
(Tout en parlant, il a passé devant le canapé et s'assied sur le bras droit de ce dernier.)

Le Général (riant encore de la scène qu'il vient de voir )
Ah ! c'est pas pour dire, mais elle est vraiment marteau avec sa manie de parenté !…

Petypon (riant sans conviction )
Oui !… Oui ! elle est un peu…

Le Général (allant vers Petypon )
Mais laissons cette échappée de cabanon…

Petypon (à part )
Oh !

Le Général
… et parlons de toi. Tu ne saurais croire combien je suis content de t'avoir ramené ta femme.

Petypon
Ma f… Ah ! et moi donc !

Le Général
Quand on pense que tu délaisses une petite femme comme ça ! Mais elle est adorable, idiot ! (Il lui envoie une bourrade au défaut de l'épaule.)
Elle est exquise, brute ! (Nouvelle bourrade.)
Mais tu veux donc qu'un autre te la souffle, daim !
(Nouvelle bourrade plus forte qui fait basculer Petypon.)

Petypon (assis, le corps sur le siège du canapé et les jambes sur le bras de ce dernier )
Eh ! mais dites donc !… vous me paraissez bien emballé, mon oncle !

Le Général (avec élan )
Moi ?… Ah ! je ne le cache pas ! Si elle n'était pas ta femme !… si elle n'était pas ma nièce !… Ah ! ah-ah-ah-ah !… (Ne sachant comment traduire mieux sa pensée.)
Et allez donc, c'est pas mon père !
(Il pivote sur lui-même et remonte légèrement.)

Petypon (toujours dans la même position )
Qu'est-ce que vous feriez donc ?

Le Général (redescendant )
Ah !… je ne sais pas ! Je crois, nom d'une brique ! que je serais capable de t'avantager sur mon testament !

Petypon
Non ?… Votre parole ?

Le Général
Ma Parole !

Petypon (à part, tout en se levant )
Mon Dieu, et moi qui me donnais tout ce mal !… (Allant au général et bien lentement pour ménager son effet.)
Eh bien ! mon oncle, soyez heureux !… Elle n'est pas ma femme !

Le Général (le regardant bien en face )
En vérité !

Petypon
Non !

Le Général (avec un hochement de tête qui semble approbatif, puis )
Elle est bonne !

Petypon
Comment ?

Le Général (comme au deuxième acte )
Elle est bonne ! Elle est bonne ! Elle est bonne !

Petypon
Mais, mon oncle !…

Le Général (subitement pète-sec )
Ah ! assez, hein ? tu ne vas pas encore recommencer ! Si tu dois me la faire comme ça tous les deux jours… Ah ! non, non, ça ne prend plus !

Petypon
Je vous assure, mon oncle…

Le Général (id )
Oui, eh bien ! assez ! J'aime pas les blagues.
(Il remonte.)

Etienne (paraissant à la porte de droite, pan coupé )
Monsieur !…

Le Général (saisi d'une inspiration )
Ah ! ça n'est pas ta femme ! Eh bien ! nous allons bien voir ! (Se campant le poids du corps sur les genoux écartés et pliés, les deux mains étendues pour parer à toute communication d'un personnage avec l'autre à Etienne.)
Eh ! vous !… je ne sais pas comment vous vous appelez… (Bien posément, comme pour l'énoncé d'un problème.)
De qui madame Petypon est-elle la femme ? (Vivement, à Petypon.)
Chut !

Etienne (au-dessus, un peu à gauche du fauteuil extatique )
Mais… de monsieur Petypon.

Le Général (triomphant )
Là ! je savais bien !

Etienne (à part )
Mais… il est bête !

Petypon (gagnant l'extrême gauche )
Ah ! non, non ! il est étonnant ! Il n'y a que quand on lui ment qu'il vous croit, cet homme-là !

Etienne (de sa place à Petypon )
Monsieur ! Ce sont les deux messieurs de tout à l'heure qui demandent si on ne les a pas oubliés ?

Le Général
Ah ! c'est juste ! Faites-les entrer.

Petypon (tandis qu'Etienne sort )
Ah ! bon, les autres maintenant !

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