Acte III - Scène XIX



Gabrielle, Mongicourt, Etienne, puis Le Duc puis Petypon, puis Le Général

Etienne (paraissant à la porte de droite et annonçant )
Le duc de Valmonté !

Gabrielle
Lui ! Ah ! bien, il arrive bien !

Le Duc (entrant d'une traite, tandis qu'Etienne sort aussitôt le duc passé )
J'espère que cette fois… (Se trouvant nez à nez avec Gabrielle et pivotant aussitôt sur lui-même pour filer.)
Nom d'un chien ! encore elle !

Gabrielle (le rattrapant au vol et le faisant descendre, peu rassuré, milieu de la scène )
Venez, duc, venez ! Ah ! vous pouvez vous vanter d'arriver au moment psychologique !

Le Duc et Mongicourt (chacun dans un sentiment différent )
Hein !

Gabrielle
Vous m'avez écrit que vous m'aimiez ?

Le Duc (de toute son énergie )
Moi !

Gabrielle (le rassurant )
Ne vous en défendez pas ! Je ne serai pas cruelle !

Le Duc (terrifié )
Qu'est-ce qu'elle dit ?

Mongicourt (à part, en riant sous cape )
Ah ! le malheureux !
(Il se laisse tomber en riant sur le canapé.)

Gabrielle
Et d'abord,… (Saisissant de la main gauche la main du duc qui tient le bouquet, et, de la main droite, farfouillant dans les fleurs.)
cette fleur de votre bouquet à mon corsage…

Le Duc (défendant son bouquet )
Non ! non !

Gabrielle (arrachant la plus belle fleur )
… comme emblème d'amour !
(Elle la met à son corsage.)

Le Duc (furieux, son bouquet contre la poitrine )
Oh ! mais, madame, vous m'abîmez mon bouquet.

Gabrielle (dessinant un léger "par le flanc droit" )
Et maintenant, (Plongeant sur elle-même dans cette position pour se donner un élan.)
emmenez-moi, duc ! (Se laissant tomber sur la poitrine du duc dont elle, écrase ainsi le bouquet.)
je suis à vous !

Le Duc (faisant un rapide volte-face )
Hein ! Ah ! mais non ! ah ! mais non !…

Gabrielle (le rattrapant par le bas du derrière de son veston, puis lui entourant la taille de ses bras )
Venez, duc ! venez ! C'est une femme qui a soif de vengeance qui vous le demande !

Le Duc (se débattant et entraînant Gabrielle, toujours agrippée à lui, jusqu'à la porte )
Laissez-moi ! Au secours ! Maman ! Maman !
(D'un coup de reins il arrive à se dégager et se sauve éperdu.)

Gabrielle (sur la porte )
Hein ! quoi ? Il se sauve !

Mongicourt (assis sur le canapé, d'un ton blagueur )
On dirait !

Gabrielle (descendant )
Les voilà, les hommes, tenez ! Diseurs de belles paroles et quand on les prend au mot !…
(Elle complète sa pensée en faisant craquer l'ongle de son pouce contre ses incisives supérieures.)

Petypon (venant du fond, lointaine et éthérée, Voix de)
Gabrielle !… Gabrielle !…

Gabrielle (arrêtée net à l'appel de son nom )
Qui m'appelle ?

Petypon (même jeu )
C'est moi ! ton bon ange !

Mongicourt (à part )
Hein ?

Gabrielle (tout émue, descendant la tête courbée, les bras tendus, jusque devant le fauteuil )
Ah ! mon Dieu ! l'ange Gabriel ! Je reconnais sa voix !
(Mongicourt, intrigué, est allé tirer le rideau du fond, et l'on aperçoit, debout sur le lit, Petypon enveloppé d'un drap, le visage éclairé par en dessous, comme la Môme au premier acte.)

Mongicourt (à part, avec un sursaut en arrière )
Petypon !

Petypon (à mi-voix, à Mongicourt )
Chut !

Mongicourt (redescendant par la gauche du canapé )
Eh ! bien, il en a un toupet !

Petypon (de sa voix céleste, à Gabrielle qui se tient prosternée face au public )
Gabrielle ! Gabrielle !

Gabrielle
Je t'écoute, ô mon bon ange !

Petypon
Gabrielle, tu es en train de faire fausse route ! tu as le meilleur des maris !… Tu… (Apercevant le général qui surgit de droite.)
Nom d'un chien ! mon oncle !
(Il dissimule vivement son visage derrière son coude gauche relevé.)

Le Général (descendant extrême gauche )
Mille tonnerres, on s'est moqué de moi !… (Apercevant l'apparition sur le lit.)
Ah !

Petypon
Ca y est ! pigé !
(Dans l'espoir d'intimider le général, il se met à faire des moulinets avec son drap, à la façon de la Loïe Fuller.)

Le Général (ahuri )
Qu'est-ce que c'est que ça ?

Gabrielle (se redressant )
Le Général ! Ah ! il arrive bien ! (A l'apparition, mais sans se retourner vers elle.)
Pardonne-moi ce que je vais faire, ô ange Gabriel ! mais c'est pour convaincre un hérétique !
(D'un geste large, sur la table, elle saisit par la poignée une des deux épées et la brandit au-dessus de sa tête.)

Petypon (inquiet )
Qu'est-ce qu'elle fait ?…

Gabrielle (le glaive en l'air, au général )
Regardez, général ! et soyez converti !
(Elle pivote sur elle-même et remonte vers le lit, l'épée tendue.)

Mongicourt (se tenant les côtes de rire )
Oh ! là ! là ! oh ! là ! là !

Petypon (affolé, en voyant sa femme foncer sur lui )
Gabrielle ! une épée ! eh ! là ! eh ! là !

Gabrielle (reconnaissant Petypon )
Ah !

Petypon (même jeu )
Gabrielle ! pas de bêtises !

Gabrielle (s'élançant pour le pourfendre )
Ah ! c'est toi, misérable ! toi qui te moques de moi !

Petypon (bondissant hors du lit par le côté opposé à Gabrielle )
Gabrielle !… Gabrielle !…

Gabrielle (grimpant à moitié sur le lit pour essayer d'atteindre Petypon )
Attends un peu ! attends un peu !

Petypon (profitant de la position de Gabrielle pour filer par la pointe du lit et détalant en scène, toujours entouré de son drap qui flotte au vent )
Au secours ! Au secours !

Gabrielle (s'élançant à sa poursuite )
Attends un peu ! Ah ! gueux ! Ah ! scélérat !
(Poursuite à travers la scène. Descente par l'extrême gauche, traversée devant le canapé ; Petypon trouve sur son passage Mongicourt, riant, dos à lui ; il le saisit, le retourne face à la pointe de sa femme ; "Eh ! là ! eh ! là ! " crie Mongicourt en se dérobant. Petypon remonte vers la droite, trouve le général, le retourne comme précédemment. Petypon, face à la pointe de sa femme, descend extrême droite puis, traversant obliquement la scène, disparaît porte de gauche avec Gabrielle à ses trousses.)

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