Acte II - Scène II



Les Mêmes, M. et Madame Vidauban, puis le sous-préfet en tenue, et Madame Sauvarel

Un Valet de pied (anonçant du fond )
Monsieur et madame Vidauban !
Cette annonce est accueillie par une rumeur flatteuse, comme pour quelqu'un dont la venue est de quelque importance. On entend des chuchotements : "Madame Vidauban !… C'est madame Vidauban !… Voilà madame Vidauban !… etc. "

Le Général (tout en se levant, cherchant ce que ce nom lui rappelle )
Madame Vidauban ?… Attendez donc, madame Vidauban ?…

Madame Virette (venant à son secours )
Eh ! général, notre Parisienne ! la Parisienne du pays !… celle qui donne le ton dans nos salons !
(Madame Vidauban entre en coup de vent, l'air dégagé et souriant, suivie de son mari, l'air modeste du "mari de la jolie femme".)

Le Général (qui est allé au-devant d'elle )
Ah ! madame, enchanté de vous recevoir chez moi !… ainsi que monsieur Vidauban !

Madame Vidauban
Mais c'est nous, général, qui nous faisions une véritable fête !… (A son mari.)
N'est-ce pas, Roy ?

Vidauban
Oui, ma bonne amie !
(A ce moment, la duchesse se lève et, pendant ce qui suit, sortira sur la terrasse au bras de l'abbé.)

Madame Vidauban (descendant vers les quatre femmes rangées en ligne devant le piano, et, leur serrant successivement la main, tout en leur décernant à chacune un mot aimable )
Bonjour, mes chères ! (A madame Hautignol.)
Oh ! quelle jolie toilette !… (Avec la décision de l'expert.)
C'est un modèle de Paris ! (Sans transition, à madame Ponant.)
Eh ! bien mignonne ! je ne vous ai pas vue ce matin, jour du marché ; vous avez donc oublié ?

Madame Ponant
Non, figurez-vous, je n'ai pas pu !

Madame Vidauban (tandis que mesdames Hautignol et Virette, une fois madame Vidauban passée, décrivent au-dessus du groupe formé par cette dernière, son mari et le général, et en passant l'inspection de la toilette de leur Parisienne, un mouvement arrondi qui les amène à droite de la scène, près du général )
Oh ! toutes ces dames y étaient… (Au général.)
J'avais pensé y faire la connaissance de cette charmante madame Petypon, dont tout le pays vante le succès !

Le Général (un peu surpris )
Au… au marché ?

Madame Vidauban
Oh ! mais ici, c'est le grand chic !… Le marché du vendredi, ce sont nos Acacias, à nous !… On se contente… de ce qu'on a !

Le Général
J'ignorais !… Il y a si longtemps, n'est-ce pas… ? Mais, tenez, si vous me permettez, je vais vous présenter ma nièce.

Madame Vidauban (prenant le bras que lui offre le général )
Mais nous serons ravis !… N'est-ce pas, Roy ?

Vidauban
Oh ! oui, ma bonne amie !
(Le Général et madame Vidauban remontent vers le buffet, suivis de Vidauban. Mesdames Virette et Hautignol, par un même mouvement arrondi, mais en sens contraire, et toujours les yeux sur madame Vidauban, reviennent vers mesdames Claux et Ponant.)

Madame Claux (qui regarde madame Vidauban remonter, brusquement, aux trois femmes, en descendant avec elles à l'avant-scène )
Vous savez, la Vidauban ! elle meurt d'envie de connaître madame Petypon : mais, au fond, elle doit crever de dépit !…

Les trois Femmes (pendant qu'au buffet le général fait les présentations )
Pourquoi ?

Madame Claux
Tiens, vous êtes bonne !… Elle, qui faisait autorité ici pour la mode et le ton, la voilà supplantée par une plus Parisienne qu'elle !
(Révérences exagérées avec saut de croupe de la Môme. Salutations immédiatement imitées et rendues par madame Vidauban.)

Madame Hautignol
Oh ! bien, c'est pain bénit, ma chère ! Elle nous la faisait aussi trop à la Parisienne, avec ses "Ah ! ma chère, à Paris, nous ne faisons plus que ça…" et "A Paris, ma chère, voici ce que nous portons !…"
(Même jeu de la part de la Môme et de madame Vidauban.)

Madame Ponant
Tout ça parce qu'elle est née à Versailles !… et qu'elle va tous les ans passer huit jours dans la capitale !

Les trois Femmes
Ca, c'est vrai !

Madame Hautignol (indiquant de la tête le jeu des deux femmes qui se trémoussent à qui mieux mieux )
Non, mais regardez-la ! se tortille-t-elle !

Madame Vidauban (à la Môme, avec des minauderies et des sauts de croupe )
Mais non, du tout ! je dis ce que je pense, je dis ce que je pense !

La Môme (même jeu que madame Vidauban )
Oh ! madame, vraiment, c'est moi, au contraire !… Euh !… (Non suspensif et bien bête.)
croyez que ! (Salut.)
Croyez que !
(Salut.)

Petypon (avec les mêmes sauts de croupe que les deux femmes )
C'est vraiment trop d'honneur que vous faites à ma femme !

La Môme
Oh ! voui ! Oh ! voui !
(Elle descend, accompagnée de madame Vidauban, et va s'asseoir fauteuil extrême droite, occupé précédemment par la duchesse.)

Madame Vidauban (qui s'assied face à elle, tandis que Petypon s'assied sur la chaise au-dessus d'elle et que Vidauban s'assied sur la chaise qu'il est allé chercher près du buffet pour la placer entre Petypon et la Môme )
Comment, trop d'honneur ! Si vous saviez quelle joie c'est pour moi de rencontrer une vraie Parisienne ! Nous en sommes tellement sevrées dans notre province !

Petypon
Ah ! Vous êtes sevrée ?…

Madame Vidauban
Quand je pense que je suis seule ici à porter le drapeau du parisianisme !

Madame Virette (à son clan rangé devant la caisse du piano )
Oh ! non, mais écoutez-la !

La Môme
Vous êtes Parisienne, madame ?…

Madame Vidauban
Oh ! Parisienne !…

Madame Claux (entre ses dents, dans la direction de madame Vidauban )
Mais dis-donc que tu es de Versailles !

Madame Vidauban
C'est-à-dire que j'ai toujours vécu à Paris.

Madame Claux (à son clan )
Non !… elle ne le dira pas !
(Clémentine, qui fait son service de jeune fille de la maison, va avec deux verres pleins à la main au-dessus du piano rejoindre les officiers et leur offre des consommations.)

Madame Vidauban
Il n'y a que depuis mon mariage… Les occupations de mon mari !… (Elle indique Vidauban qui s'incline.)
Mais si je suis ici, mon âme est restée à Paris !

Madame Claux
Oh ! chérie !
(Elle s'assied, ainsi que madame Hautignol, sur les chaises 1 et 2 qui sont devant le piano. Mesdames Ponant et Virette restent un moment debout près d'elles, puis peu après se détachent, contournent le piano par l'extrême gauche, pour remonter en causant jusqu'aux officiers et redescendent ensuite retrouver mesdames Hautignol et Claux à la pointe droite du piano.)

Petypon
J'espère au moins que vous allez la rejoindre quelquefois ?

Madame Vidauban
Oh ! une fois par an, pendant huit jours ! Mais, je me tiens tellement au courant de la vie parisienne que c'est comme si j'y étais !
(Emile descend du buffet et, entre Petypon et Vidauban, présente à la Môme, sur un plateau, une orangeade dans laquelle trempent deux pailles.)

La Môme (prenant le verre )
Ah ! merci ! (A madame Vidauban, tout en se levant, avec un certain maniérisme.)
Je vous demande pardon, chère madame, il faut que j'aille porter ce verre d'orangeade.
(Emile remonte au buffet.)

Petypon (vivement, se levant en voyant la Môme se lever, et passant, en l'enjambant presque, devant madame Vidauban, avec de petites courbettes )
Oui, on l'attend ! on l'attend !… Je vous demande pardon !

Madame Vidauban
Je vous en prie !
(A ce moment, suivie de l'abbé, la duchesse rentre du fond au bras du général, qui va la conduire au fauteuil extrême droite. Madame Vidauban et son mari se lèvent à son approche, puis, les politesses faites, se rasseyent, Vidauban à la même place, madame Vidauban sur la chaise précédemment occupée par Petypon.)

La Môme (qui se dirige vers madame Hautignol, à Petypon, qui lui emboîte le pas )
Oh ! je t'en prie, ne sois pas tout le temps sur mes talons !

Petypon
C'est plus prudent ! Merci ! "La sobriété du chameau ! " Pour peu que tu en lâches quelques-unes comme ça !

La Môme (qui machinalement suce le chalumeau du verre qu'elle porte )
Oh ! ben quoi ! "chameau", "anachorète", c'est un mot pour un autre ! (Elle tire à nouveau sur le chalumeau.)
Et au moins le premier, on le comprend !

Petypon
Oui, eh bien ! je préfère celui qui se ne comprend pas !

La Môme (a un haussement d'épaules, tire une dernière gorgée sur la paille, puis, plantant là Petypon, à madame Hautignol, très gracieusement )
Voici, chère madame, votre verre d'orangeade !

Madame Hautignol (qui s'est levée, prenant le verre )
Oh ! merci, chère madame.

La Môme
Oh ! mais, de rien, madame ! de rien ! (Apercevant Clémentine qui est descendue extrême gauche et allant à elle.)
Ah ! vous voilà, mignonne !
(Elle la prend amicalement par la main et la fait passer devant elle, pour remonter vers le buffet.)

Madame Claux (au moment où la Môme, précédée de Clémentine, passe devant elle, l'arrêtant au passage )
Vous savez, la Parisienne, là ! Eh bien ! elle est de Versailles !

La Môme
Ah ?… (gaiement et très légèrement entre ses dents.)
Je m'en fous !
(Elle va rejoindre, avec Clémentine, Petypon toujours à la même place.)

Madame Claux (à son clan )
Je ne suis pas fâchée de le lui avoir dit.
(Madame Hautignol et madame Claux remontent par la gauche du piano.)

Le Général (qui est au milieu de la scène avec Guérissac et Chamerot, aux deux soi-disant cousines en train de remonter )
Eh bien ? ça va-t-il comme vous voulez, mes nièces ?

La Môme (Clémentine, ensemble )
Oh ! oui, mon oncle.

Petypon (se précipitant vers le général et arrivant presque en même temps que la Môme et Clémentine qui, dès lors, s'effacent à droite )
Oh ! oui, mon oncle !

Le Général (à Petypon, en le faisant pirouetter à gauche )
Quoi, "oui, mon oncle" ? c'est pas à toi que je le demande ! Je dis : "Eh bien ! mes nièces" ; tu n'es pas ma nièce ?

Petypon
Ah ! non !… Non ! Je regrette.

Le Général
Pas moi ! Merci, une nièce de ton âge !… Tu es déjà assez vieux comme neveu !… (Chamerot et Guérissac, un peu au-dessus de lui.)
Je vous demande un peu s'il ne devrait pas être mon cousin ? (On rit. A la Môme et à Clémentine.)
Oh ! mais, je vois avec plaisir que vous faites bon ménage, les deux cousines !

Clémentine
Oh ! oui, mon oncle.

Le Général
Tant mieux, bon sang ! Tu sais ce que je t'ai dit, Clémentine ! tu as ta cousine, profite-z-en !

Clémentine
Oh ! oui, mon oncle !…
(L'Abbé, qui précédemment était allé s'asseoir en face de la duchesse, se lève et écoute ce qui suit, avec un sourire approbateur.)

Le Général
Mais ne réponds donc pas toujours, (l'imitant.)
 : "Oh ! oui, mon oncle", comme une serinette ! Tu ne sais donc pas dire autre chose, sacré nom de D…

L'Abbé (sursautant )
Oh !

Clémentine (scandalisée )
Oh ! oh ! mon oncle !

Le Général (sans se déconcerter, indiquant l'abbé tout contrit )
… comme dit monsieur l'abbé !

L'Abbé (scandalisé )
Moi !… Oh ! oh ! général !…
(Il remonte en esquissant un imperceptible signe de croix.)

Le Général (à la Môme )
Ah ! elle a bien besoin que vous la dégourdissiez un peu !

La Môme
Oh ! mais, c'est entendu, mon oncle ! Tout à l'heure, nous nous éclipserons un moment et je lui donnerai quelques conseils élémentaires.

Le Général
Bravo !

Petypon (près du piano )
Eh bien ! ce sera du joli !
(En voyant la Môme remonter avec Clémentine, il s'élance pour la retrouver, trouve le général sur son chemin, hésite, tantôt à droite, tantôt à gauche, le général contrariant sans le vouloir chaque fois son mouvement.)

Le Général (l'envoyant à droite )
Allons, prends ta droite ! (A Chamerot et Guérissac qui, par l'extrême-gauche, sont descendus jusque devant le piano.)
Est-il jaloux, ce bougre-là, il ne la quitte pas d'une semelle !
(En se retournant il trouve près de lui le curé occupé à considérer de loin Petypon et la Môme en train de se chamailler devant le buffet.)

L'Abbé (au général, indiquant le couple )
C'est beau, général, de voir un ménage aussi uni !

Le Général
Ah ! oui ! ça c'est beau !
(Il remonte. Le curé sans détacher son regard du couple Petypon-Môme, se rapproche insensiblement des deux officiers.)

Chamerot (sans faire attention à l'abbé qui, près d'eux, les écoute, à Guérissac, tout en regardant du côté de la Môme )
Ce qu'il y a de drôle, c'est que plus je regarde madame Petypon, plus il me semble que je l'ai vue quelque part.

Guérissac
Oh ! que c'est curieux ! moi aussi !

L'Abbé (jette un coup d'œil du côté de la Môme, puis )
Ah ?… Pas moi !…
(Il remonte au fond.)

Guérissac
Oh ! moi si !… Mais où ! Voilà ce que je serais bien en peine de préciser !
(Guérissac et Chamerot remontent par l'extrême gauche et vont rejoindre le général au-dessus du piano. La Môme, pendant tout ceci, est près du buffet, très entourée. On entend tout à coup ce monde éclater de rire, tandis que Petypon s'arrache désespérément les cheveux.)

Toutes (riant )
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

Petypon (s'arrachant les cheveux )
Oh !

Madame Claux
Ah ! qu'elle est drôle !

Madame Hautignol
Qu'elle est amusante !

Madame Pontant
Elle a une façon de dire les choses !

Toutes
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

La Môme (riant de confiance )
Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai dit quelque chose ?… (A Petypon, qui lui a saisi la main droite et l'entraîne à l'avant-scène, tandis que le groupe se disperse.)
Quoi ? Quoi ? Qu'est-ce qui te prend ?

Petypon (l'amène à l'avant-scène )
Non ! non ! tu ne peux donc pas nous priver de tes : "Où c't'y qui ? ", de tes "Qui c't'y qui ? " et de tes "Eh ! allez donc, c'est pas mon père !…" ? A l'instant, là : "Où c't'y qu'il est, le valet de pied ? ", tu a vu l'effet que ça a fait !…

La Môme
Ah ! non, c't' averse !…

Petypon
Quoi !

La Môme
Zut ! tu me cours !

Petypon
En voilà une réponse ! C'est comme ce matin, à déjeuner ; comme c'est d'une femme du monde de s'écrier : "Ah ! ça, monsieur l'abbé, vous me faites du pied ! "

La Môme
Tiens, il me raclait avec ses godillots !

Petypon
Oui, oh ! je t'engage !…

La Môme (mimant ce qu'elle dit avec sa jambe )
Et aïe donc, là ! Aïe donc les pieds ! Aïe donc !

Petypon
Le pauvre homme, je t'assure qu'il ne s'apercevait guère !…

La Môme
C'est possible ! mais moi je m'en apercevais !

Petypon
Je ne savais plus où me fourrer ! heureusement qu'avec ton prestige de simili Parisienne, ce qui eût choqué chez une autre a paru du dernier genre ; on a ri. Mais il ne faudrait pas recommencer.

La Môme
Oh ! non, écoute, ferme ça !

Petypon
Ferme quoi ?

La Môme (avançant une main en bec de canard sous le nez de Petypon )
Ta bouche !… miniature !

Petypon (esquissant une remontée en poussant un soupir de découragement )
Pfffue !

La Môme (sans transition, apostrophant l'abbé qui descend du buffet tout en humant une orangeade avec une paille )
Eh ! bien monsieur l'abbé ? nous sirotons ? (Recevant sur les mains, qu'elle a jointes derrière le dos, une tape de Petypon pour l'inciter à la prudence se retournant vivement.)
Aïe donc, toi !

L'Abbé
Mon Dieu, je le confesse ! Que voulez-vous, madame ? la soutane ne nous préserve pas de toutes les faiblesses humaines !

Petypon (sur les charbons )
Oui !… oui !

La Môme
Ah ! monsieur l'abbé que je vous félicite, je n'ai pu le faire tout à l'heure pour votre délicieuse composition !… (A mi-voix, à Petypon.)
C'est-y ça ?
(Petypon fait signe que ça peut aller.)

L'Abbé (confus )
Oh ! madame, vraiment !…

La Môme
Voyez-vous, j'aimerais que vous me la donnassiez.

Petypon (à part )
Ouïe là !

La Môme
Je veux l'apprendre et la chanter.

L'Abbé
Oh ! madame, c'est trop d'honneur !.

Petypon (vivement s'interposant entre la Môme et l'abbé )
Non, non ! elle ne chante pas ! elle ne chante pas !

La Môme
Pffo ! Comme on dit : entre le zist et le zest.

L'Abbé (malicieux )
Oh ! si, si ! Je vois ça à votre figure.

La Môme
Mon Dieu, monsieur l'abbé !… Qui c't'y qui ne chante pas un peu dans notre monde ?

Petypon (pivotant sur les talons, manque de s'effondrer )
Boum là ! Aïe donc !
(Il remonte pour redescendre aussitôt.)

L'Abbé
Ah ! charmant ! Vous avez une façon si piquante de dire les choses, vous autres Parisiennes !

La Môme (avec des révérences à sauts de croupe )
Ah ! vous nous flattez, monsieur l'abbé ! Croyez que ! Croyez que !

Petypon (la faisant passer en se substituant à elle et par ses courbettes à reculons, repoussant la Môme vers la gauche de la scène )
Oui ! vous nous flattez, monsieur l'abbé, vous nous flattez !

Le Valet de pied (annonçant du fond )
Monsieur le sous-préfet ! Madame Sauvarel !

Le Général (se détachant du groupe du buffet )
Ah ! (Appelant.)
Ma nièce !

La Môme et Petypon (celui-ci se précipitant )
Mon oncle ?

Le Général (à Petypon qui est arrivé premier, en l'envoyant à l'écart, à droite du buffet )
Oh ! naturellement, il faut que tu arrives, toi ! (Accueillant le sous-préfet et sa femme qui arrivent du fond droit et entrent par la baie du milieu.)
Chère madame !… Monsieur le sous-préfet !… (Au sous-préfet.)
Voulez-vous me permettre… euh ! (Présentant la Môme.)
Ma nièce… (A la Môme.)
Monsieur le sous-préfet et madame Sauvarel.

Le Sous-Préfet
Mademoiselle, tous mes vœux !

Le Général
Ah ! non ! non ! vous vous trompez ! (Indiquant Clémentine.)
La fiancée, la voilà !

Le Sous-Préfet (à Clémentine )
Ah ! mademoiselle, derechef !

Le Général (indiquant la Môme )
Celle-ci est la nièce mariée !… au vieux monsieur là !

Petypon
Charmant !

Le Général
Mon neveu, le docteur Petypon ! (A la Môme.)
Et maintenant, ma chère enfant, voulez-vous conduire au buffet notre aimable sous-préfète ?

La Môme (au général )
Oh ! mais, comment donc ! (A Madame Sauvarel.)
Madame, si vous voulez m'accompagner ?

Madame Sauvarel
Avec plaisir. (A son mari.)
Tu permets, Camille ?

Le Sous-Préfet (gentiment )
Va donc ! Va donc ! (Il fait mine de descendre, puis se ravisant.)
Ah ! seulement !…
(Madame Sauvarel, qui déjà esquissait le mouvement d'aller au buffet, s'arrête à la voix de son mari.)

Madame Sauvarel
Quoi ?

Le Sous-Préfet (à mi-voix )
Tu sais, hein ? tu te rappelles ce que je t'ai dit ?

Madame Sauvarel
Non, quoi donc ?

Le Sous-Préfet
Mais si, voyons ! (Madame Sauvarel fait un geste d'ignorance.)
Oh ! (A la Môme.)
Vous permettez ?

La Môme
Je vous en prie.

Le Sous-Préfet (entraînant sa femme à part, milieu scène, et à mi-voix, très posément )
Je t'ai dit de bien observer comment toutes ces dames parlent… agissent… se tiennent… afin de prendre modèle ! Ca peut me servir pour ma carrière !

Madame Sauvarel
Ah ! oui ! (Elle va pour remonter, puis, se ravisant.)
Oh !… on sait bien que nous sommes des fonctionnaires de la République.

Le Sous-Préfet
C'est possible !… Mais ce n'est tout de même pas la peine d'en avoir l'air ! (Haut.)
Va, va ! Madame Petypon t'attend.
(Le Général vient la prendre par la main et la conduit au buffet, où l'attend la Môme, coin droit du buffet.)

La Môme (à madame Sauvarel )
Chère madame, que puis-je vous offrir ?… de l'orangeade !… une coupe de champagne ?… du café glacé ?… Qué c't'y que vous voulez prendre ?

Petypon (qui était près de la Môme, dévalant jusqu'au milieu de la scène )
V'lan ! ça y est !

Madame Sauvarel
Mais, je ne sais vraiment pas !… Qué… qué c't'y que vous avez de bon ?

Petypon (n'en croyant pas ses oreilles )
Hein !… Ah ?… (Soulagé.)
Oh ! alors !…
(Il descend à droite ; la Môme s'occupe de son invitée, mesdames Claux, Virette et la baronne vont au buffet. Mesdames Ponant et Hautignol sont à gauche du piano.)

Le Général (causant près du piano avec le sous-préfet. Tous deux sont dos au public )
Oh ! ici, il n'y a rien… Voici pourtant un plafond de Fragonard.

Le Sous-Préfet (la tête en l'air )
Ah ! très joli !… De quelle époque ?

Le Général
Eh bien ! de l'époque… euh !… de Fragonard !

Le Sous-Préfet
C'est juste !

Le Général (indiquant avec son index l'étage supérieur )
Ah ! par exemple, là haut, j'ai la salle des Pastels.

Petypon (qui s'est rapproché du général, entendant ces derniers mots )
Oui… au-dessus !

Le Général (se retournant )
Non, comment ! te voilà toi ?… Bartholo a quitté Desdémone ?

Petypon
Comme vous voyez !… (A part, avec ironie.)
Bartholo avec Desdémone ! (Haut.)
Hein ! Si Don Juan savait ça !…

Le Général (gouailleur )
Ah ! ah ! "Don Juan et Desdémone ! " tu es fort en littérature, toi !

Petypon (s'inclinant ironiquement )
Vous me l'apprendrez.

Le Général
Je pourrais !… En attendant, tiens, puisque tu n'as rien à faire, montre donc la salle des Pastels à notre sous-préfet.

Petypon (bas au général )
Hein !… C'est que ma femme !…

Le Général
Eh bien ! quoi, "ta femme ? " on ne la mangera pas, "ta femme !…" Est-il jaloux, ce bougre-là !… (L'envoyant n° 2.)
Allons, va !

Petypon (qui va donner contre la poitrine du sous-préfet )
Oh ! (Au sous-préfet.)
Par ici, monsieur le sous-préfet.

Le Sous-Préfet
Oh ! monsieur, vraiment, j'abuse…

Petypon (la pensée ailleurs )
Certainement, monsieur ! Certainement ! Si vous voulez me suivre !…

Le Sous-Préfet
Volontiers !

Petypon
C'est ça, passez devant !

Le Sous-Préfet (sortant le premier, porte gauche )
Pardon !

Petypon (à part, jetant un dernier regard vers la Môme avant de sortir )
Mon Dieu, faites qu'elle ne quitte pas la sous-préfète !
(Ils sortent.)

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