Acte I - Scène VII



Les Mêmes, Madame Petypon

Madame Petypon (dont on n'a pas cessé d'entendre la voix à travers la porte, en même temps qu'elle secouait celle-ci, entrant sur une poussée plus violente )
Mais enfin, qu'est-ce qu'il y a donc ?

Petypon (se laissant tomber de dos sur l'estomac de madame Petypon, ce, en poussant des petits cris inarticulés comme un homme qui a une crise de nerfs )
Aha ! aha ! aha !
(Il amène ainsi sa femme, par petits soubresauts, par le milieu de la scène, presque devant le canapé.)

Madame Petypon (affolée, enserrant son mari sur son estomac )
Ah ! mon Dieu ! qu'est-ce qu'il a ?… Docteur, vite ! "La gueula" qui le reprend !

Mongicourt (sans bouger du dos de la Môme )
La gueula !… tenez-le bien ! ne le lâchez pas !

Madame Petypon
Non !… (A Petypon qui geint toujours et s'est placé de biais, face à l'avant-scène gauche, de façon à forcer sa femme à tourner le dos à Mongicourt.)
Lucien ! mon ami !… Oh ! mais, il est trop lourd !… Mongicourt, venez le prendre ; je n'en puis plus !
(Elle fait le mouvement de se tourner vers Mongicourt.)

Petypon (la ramenant d'un coup de reins dans la position première )
Non ! toi ! toi ! pas lui !… aha ! aha !

Madame Petypon (les bras toujours passés sous les aisselles de Petypon )
C'est que tu es un peu lourd !

Petypon (face au public, ainsi que madame Petypon, derrière lui, d'une voix mourante )
Ca ne fait rien !… Aha !… Tourne-moi au nord !… Tourne-moi au nord !

Madame Petypon (abasourdie, tournant son mari face à Mongicourt )
Au nord ?… où ça le nord ?

Petypon (vivement, en même temps que d'un coup de reins il la ramène face à l'avant-scène gauche )
Non ! ça, c'est le midi !… Dans ces crises, il faut tourner au nord !… Aha !… Tourne-moi au nord !

Madame Petypon (s'énervant )
Mais, est-ce que je sais où il est, le nord !

Petypon
En face du midi !

Madame Petypon
Oh ! Asseyons-nous ! je n'en peux plus ! (Sans se retourner et par-dessus l'épaule.)
Monsieur Mongicourt ! avancez-moi le pouf qui est derrière vous !

Petypon (criant )
Non, pas de pouf !

Madame Petypon
Mais c'est pour nous asseoir.

Petypon (de même )
Je veux rester debout !… Aha !… Mongicourt, tu m'entends ? Enlève le pouf ! Je ne veux pas voir le pouf !

Mongicourt
Que j'enlève le pouf ?

Madame Petypon (criant comme Petypon )
Eh ! bien, oui, quoi ? Enlevez donc le pouf puisqu'on vous le dit !

Petypon
Oui !… oui !

Mongicourt
Bon ! Bon ! Enlevons le pouf alors !… Enlevons le pouf !
(Il passe ses deux mains jointes sous les genoux de la Môme et la transporte ainsi en chien de fusil, et toujours couverte de son tapis, jusque dans la chambre sur quoi donne la baie.)

Petypon (sans sortir de sa pamoison simulée )
Eh ! bien, ça y est-il ?

Mongicourt (redescendant, après avoir déposé la Môme et jeté sur la chaise du fond droit le tapis qui la recouvrait )
Voilà ! ça y est !

Petypon (semblant renaître aussitôt )
Ah ? ça va mieux !

Madame Petypon (lâchant son mari )
Oui ?… Ah ! que tu m'as fait peur !
(Elle gagne, par le fond, jusqu'à la droite de la table et verse une tasse de thé.)

Petypon (très alerte )
Voilà c'est passé !… c'est passé !… Ces crises, c'est comme ça : très violent !… et puis, tout d'un coup, plus rien !… (A Mongicourt.)
N'est-ce pas ?… (Bas.)
Mais dis donc quelque chose !

Mongicourt (vivement, en dégageant un peu à droite )
Oui, oui… Tout d'un coup plus rien, et puis, et puis…

Petypon
Et puis c'est tout ! quoi !

Mongicourt
Et puis c'est tout, oui !

Madame Petypon (par au-dessus de la table, descendant avec la tasse de thé à la main )
Pourvu que ça ne te reprenne pas, mon Dieu ! (Tendant la tasse de thé à Petypon.)
Tiens !

Petypon
Merci.

Madame Petypon
Vois-tu, tout ça… je crains bien que ce ne soit le ciel qui t'ait puni de ton scepticisme !

Petypon (tournant un visage ahuri vers sa femme )
Quoi ?

Madame Petypon
Quand tu te moquais de moi, hier, à propos du miracle de Houilles, je t'ai dit : "Tu as tort de ne pas avoir la foi ! Ca te portera malheur ! "

Petypon (haussant les épaules en riant )
Ah ! ouat !

Mongicourt (se rapprochant de Madame Petypon et affectant un grand intérêt )
Le miracle de Houilles ? Qu'est-ce c'est que ça ?

Madame Petypon
Vous ne lisez donc pas les journaux ? Sainte Catherine est apparue dernièrement, à Houilles, à une famille de charbonniers !

Mongicourt
C'était de circonstance… à Houilles.
(Il se tord.)

Petypon
Evidemment…
(Il se tord également.)

Madame Petypon
Oh ! ne faites donc pas les esprits forts !… Et depuis, tous les soirs, la sainte réapparaît. C'est un fait, ça !… Il n'y a pas à dire que cela n'est pas !… Et la preuve, c'est que je l'ai vue !

Mongicourt (bien appuyé )
Vous ?

Madame Petypon
Moi !… Elle m'a parlé !

Mongicourt
Non ?

Madame Petypon
Elle m'a dit : "Ma fille ! le Ciel vous a choisie pour de grandes choses ! Bientôt vous recevrez la visite d'un séraphin qui vous éclairera sur la mission que vous aurez à accomplir !… (D'un geste large, les deux mains, la paume en l'air.)
Allez ! "

Petypon (profitant de la main en l'air de sa femme pour y déposer sa tasse )
C'est ça ! va, ma grosse ! et débarrasse-moi de ma tasse.

Mongicourt (à Madame Petypon, qui se dirige vers la table pour y déposer la tasse )
Et il est venu, le séraphin ?

Madame Petypon (simplement )
Je l'attends !

Petypon (gouailleur )
Eh bien ! tu as le temps d'attendre !
la Môme (dans la pièce du fond, comme une personne qui en a assez, Voix de)
 :
Oh ! la, la ! la, la !

Petypon (bondissant, à part )
Nom d'un chien, la Môme !
(Il remonte vivement, à toute éventualité, près de la baie. Mongicourt prend le n° 1.)
la Môme (Voix de)
 :
Oh ! ben, zut, quoi ?… Ca va durer longtemps ?

Petypon (voyant sa femme qui prête l'oreille, donnant beaucoup de voix pour couvrir celle de la Môme )
Ah !… Ha-ha !… Alors, tu crois aux apparitions, toi ?… Mongicourt ! elle croit aux apparitions !… Aha ! ah ! (Bas et vivement.)
Mais, dis donc quelque chose, toi !

Mongicourt (même jeu )
Ah !… Ha-ha ! Madame croit aux apparitions !

Tous deux
Aha ! elle croit aux apparitions ! Aha !

Madame Petypon (d'une voix impérative )
Taisez-vous donc ! On a parlé par là !

Petypon (se démenant et faisant beaucoup de bruit )
Où don ? J'ai pas entendu !… Tu as entendu, Mongicourt ?
(Mongicourt, même jeu que Petypon. Pas du tout ; j'ai rien entendu ! J'ai rien entendu !)

Petypon (même jeu )
Nous n'avons rien entendu ! Il n'a rien entendu !

Madame Petypon
Mais je suis sûre, moi !… C'est dans ta chambre !

Petypon et Mongicourt
Non ! Non !
la Môme (d'une voix céleste et lointaine, Voix de)
 :
Gabrielle !… Gabrielle !

Petypon (bondissant en arrière )
Elle est folle d'appeler ma femme !

Madame Petypon
C'est moi qu'on appelle ! Nous allons bien voir.

Petypon (s'interposant en voyant sa femme remonter vers la baie )
Non ! Non !

Madame Petypon (le repoussant )
Mais si, quoi ? (Elle tire les rideaux de la baie et fait aussitôt un bond en arrière.)
Ah ! mon Dieu !

Mongicourt (riant sous cape )
Nom d'un chien !
(On aperçoit sur le pied du lit, dans la pénombre, une grande forme blanche, transparente et lumineuse. C'est la Môme, qui a fait la farce de se transformer en apparition. Pour cela, elle s'est couverte d'un drap de lit qui lui ceint le front et qu'elle ramène de ses deux mains sur la poitrine, de façon à laisser le visage visible. Sous le drap, elle tient un réflecteur électrique qui projette sa lumière sur sa figure. Toute la pièce du fond est dans l'obscurité, de façon à rendre plus intense la vision.)

Madame Petypon
Qu'est-ce que c'est que ça ?

Petypon et Mongicourt (faisant ceux qui ne voient pas )
Quoi ? Quoi ?

Madame Petypon (indiquant la Môme )
Là ! Là ! Vous ne voyez pas ?

Petypon et Mongicourt
Non ! Non !

Madame Petypon
Voyons, ce n'est pas possible ! Je ne rêve pas ! Attends, j'en aurai le cœur net !
(Elle fait mine de se diriger vers le fonds.)

La Môme (voix céleste jusqu'à la fin de la scène )
Arrête ! (Cet ordre coupe l'élan de Madame Petypon, qui, le corps à demi prosterné, les bras tendus, décrit une conversion qui l'amène face au public, à gauche de la table. Arrivée là, elle reste dans son attitude à demi-prosternée et écoute ainsi les paroles de la Môme.)
C'est pour toi que je viens, Gabrielle !

Madame Petypon (les bras tendus, la tête courbée )
Hein !

La Môme
Ces profanes ne peuvent me voir ! Pour toi seule je suis visible !
(Madame Petypon. - Est-il possible !…)

La Môme
Ma fille, prosterne-toi !… Je suis le séraphin dont tu attends la venue.

Madame Petypon (d'une voix radieuse )
Le séraphin ! (Se mettant à genoux et à Petypon et à Mongicourt.)
(A genoux ! A genoux, vous autres !)

Petypon et Mongicourt (ayant peine à retenir leur rire, et entrant dans le jeu de la Môme )
Pourquoi ? Pourquoi ça ?

Madame Petypon (comme illuminée )
Le séraphin est là ! Vous ne pouvez le voir ! Mais je l'entends ! je le vois ; il me parle !

La Môme (à part, sur le ton faubourien )
Eh ! bien, elle en a une santé !

Madame Petypon
A genoux !… A genoux !
(Les deux hommes obéissent en riant sous cape. Mongicourt à genoux devant le canapé, Petypon entre le canapé et le pied du lit, Madame Petypon à gauche de la table.)

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