Acte III - Scène X



Petypon, Le Général, puis Etienne

Le Général (qui a accompagné la sortie de la Môme, revenant sur Petypon toujours extrême gauche )
Ah ! çà, mais tu es fou ? Qu'est-ce qu'il te prend ?… Comment ! tu me dis que tu lui pardonnes ; que tu l'emmènes en Italie ; et quand je la jette dans tes bras, voilà comment tu l'accueilles ?

Petypon (devant le canapé, l'air contrit )
Je vous demande pardon, mon oncle ! mais sur le moment, n'est-ce pas ?… Après ce qui s'est passé !… un mouvement de révolte !…

Le Général (presque crié, comme s'il parlait à un sourd )
Mais puisque je te dis qu'il ne s'est rien passé !

Petypon
Oui, vous avez raison, mon oncle, appelez-la donc et que tout soit fini !

Le Général (lui tapant amicalement sur l'épaule )
A la bonne heure ! Voilà qui est bien parlé.

Petypon
Oui !
(Petypon, avec la moue d'un homme très ému, regarde le général, en le remerciant de la tête, puis brusquement, comme obéissant à l'élan de son cœur, lui tend la main droite.)

Le Général (lui serrant énergiquement la main de sa main droite )
Mais, dame, voyons ! (Il fait mine de remonter vers la porte du fond. Petypon, qui n'a pas lâché sa main ; le tire à lui. Le Général, ramené contre Petypon.)
Qu'est-ce qu'il y a ? (Petypon, sans lâcher la main du général, tend sa main gauche, par-dessus son poignet droit. Le Général, regardant la nouvelle main qu'il lui tend.)
Ah ! (Il lâche la main droite de Petypon, et de sa main gauche lui serre la main gauche.)
Mais oui, oui ! (Il fait de nouveau volte-face pour s'en aller, mais Petypon, qui ne l'a pas lâché, le ramène à lui comme précédemment et lui tend sa main droite par-dessus sa main gauche. Le Général regarde cette troisième main, étonné, puis.)
Y en a plus ?

Petypon (dans un reniflement d'émotion )
Non !

Le Général
C't heureux !

Petypon (à part, tandis que le général remonte )
Je la ficherai à la porte dès qu'il sera parti, voilà tout !

Le Général (fausse sortie )
Ah ! si je n'étais pas là pour tout arranger !

Etienne (paraissant à la porte sur le vestibule )
Monsieur, il y a deux messieurs qui sont déjà venus avant-hier.

Petypon
Quels deux messieurs ?

Etienne (descendant au-dessus et à gauche du fauteuil extatique )
Messieurs Marollier et Varlin. Ils disent qu'ils viennent de la part de M. Corignon.

Le Général (exclamation )
Ah !

Petypon
Quoi ?

Le Général
Je sais !

Petypon
Ah !

Le Général
C'est pour ton duel !

Petypon (bondissant et remontant vers le général )
Comment, mon duel !

Le Général (catégorique )
Oui !… Tu te bats avec Corignon !… Je lui ai dit que tu attendais ses témoins.

Petypon (redescendant devant le canapé )
Hein ! Mais pas du tout ! Mais en voilà une idée !

Le Général (à Etienne )
Priez ces messieurs d'attendre au salon !… (Au moment où Etienne fait demi-tour pour sortir, brusquement.)
Non ! (Demi-tour d'Etienne en sens inverse.)
Madame y est !… Dans la salle à manger !…

Petypon (effondré )
Oh ! lala ! lala !

Le Général (rappelant Etienne qui déjà s'en allait )
Ah !… (Etienne revient.)
et puis, dites à madame Petypon !… (Répétant, pour bien préciser.)
à madame Petypon… que le général la prie de venir dans le cabinet de monsieur.

Petypon (vivement )
Hein ! Mais non ! mais non !

Le Général (à Etienne )
Mais si, mais si ! quoi ? Allez !

Etienne
Oui, mon général !

Petypon (descendant devant le canapé )
Ah ! ça va bien ! Ah ! ça va bien !…

Le Général (descendant avec les épées qu'il est allé prendre au fond )
Et maintenant, dis que je ne suis pas un homme de précaution.
(Il tire une des épées hors de la gaine.)

Petypon (se retournant )
Quoi ? (Manquant de s'embrocher.)
Oh !

Le Général (relevant l'épée )
Eh ! là !… attention, que diable !… il est inutile de te blesser d'avance ! (Plaisamment.)
c'est l'ouvrage de ton adversaire !

Petypon
C'est délicieux ! (Changeant de ton.)
Ah ! çà mon oncle, ça n'est pas sérieux !

Le Général (sur les derniers mots de chaque phrase, fouettant l'air avec son épée de façon à raser le nez de Petypon qui est face au public, légèrement au-dessus de lui, et qui sursaute à chaque coup )
Comment ça, pas sérieux ? Ce garnement mérite une leçon ! (Même jeu.)
Moi, comme général, je ne peux pas la lui donner ! (Même jeu.)
mais toi, comme mari offensé !…
(Même jeu, après quoi il va poser les épées sur la table, les poignées du côté de l'avant-scène.)

Petypon (descendant extrême gauche )
Mais, qu'est-ce qu'ils ont donc tous à vouloir que je me batte ?

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