Acte II - Scène IV



Les Mêmes, Petypon et le Sous-Préfet

Le Sous-Préfet (arrivant à la suite de Petypon, par la porte de gauche )
Tous mes remerciements, cher monsieur !

Petypon (distrait, tout à la préoccupation de retrouver la Môme )
Certainement, monsieur ! certainement. (Bondissant en apercevant la Môme assise sur sa chaise, le corps en avant, les bras sur les genoux et la croupe saillante, causant avec la duchesse.)
Nom d'un chien ! La Môme avec la duchesse !
(Il court à elle et du revers de la main lui envoie une claque cinglante sur la croupe.)

La Môme (se redressant sous la douleur )
Chameau !

La Duchesse (étonnée )
Comment ?

La Môme (très femme du monde )
Non ! je cause avec mon mari !… (Se levant.)
Pardon ! Vous permettez ?

La Duchesse
Je vous en prie !

La Môme (allant retrouver Petypon qui s'est aussitôt écarté milieu de la scène )
Quoi ? qu'est-ce qu'il y a ?

Petypon (à mi-voix à la Môme )
Tu es folle de te lancer avec la duchesse !

La Môme
Ah ! non ! Tu vas pas recommencer, hein ?

Petypon (tenace )
Qu'est-ce que tu lui as dit ?… De quoi lui as-tu parlé ?

La Môme
J'y ai parlé de ce qui m'a plu ! Et puis, si tu n'es pas content, zut ! (Enjambant la chaise du milieu qui est entre elle et Petypon.)
Eh ! allez donc, c'est pas mon père !
(Elle gagne l'extrême droite.)

Petypon (comme s'il avait reçu un coup de pied dans les reins )
Oh !

Tout Le Monde (stupéfait )
Ah !
(Les assis se sont levés, Mesdames Virette, la baronne, Ponant, Hautignol, descendent devant la queue du piano. La duchesse, par la suite, accompagnée de madame Vidauban et de Vidauban, ira rejoindre madame Claux au buffet.)

La Môme (ayant subitement conscience de son étourderie et toute confuse )
Oh !

Petypon (désespéré )
V'lan ! Ca devait arriver !

Le Général (qui était au-dessus du piano, descendant par l'extrême gauche jusque devant le piano et d'un ton ravi )
Ah ! ah ! elle est très amusante avec son tic : (L'imitant.)
"Eh ! allez donc, c'est pas mon père ! "
(En ce disant il remonte par le milieu de la scène et va retrouver la duchesse au buffet.)

Petypon (saisissant la balle au bond et tout en passant d'une invitée à l'autre en commençant par la gauche )
Oui !… Oui ! C'est le dernier genre à Paris !… Toutes ces dames du faubourg Saint-Germain font ce petit !…
(Il simule le geste.)

La Môme (de son coin à droite, corroborant )
Oui !… oui !

Tout Le Monde (étonné )
Ah ?… Ah ?

Petypon
C'est une mode qui a été lancée par la princesse de Waterloo et la baronne Sussemann !… Et, comme elles donnent le ton, à Paris, alors !…

La Môme
Oui ! Oui !
Murmures confus : "Ah ! que c'est drôle !… Ah ! que c'est curieux ! Drôle de mode ! Où va-t-on chercher ces choses-là ! etc. "

Petypon (en appelant, à madame Vidauban qui, du buffet, s'est détachée, suivie de Vidauban, pour se rapprocher du groupe du milieu )
N'est-ce pas, madame Vidauban ?

Madame Vidauban (à gauche de Petypon, avec assurance )
Oui ! oui !

Petypon (enchanté de cet appui inespéré )
Là ! Vous voyez : madame Vidauban, qui est au courant des choses de Paris, vous dit aussi !…
(Il redescend extrême droite près de la Môme qui est n° 2, par rapport à lui, n° 1. Etonnement général.)

Madame Hautignol (à madame Vidauban )
Comment, vous le saviez ?

Madame Vidauban (avec un aplomb imperturbable )
Mais, évidemment, je le savais !

Madame Ponant (même jeu )
C'est drôle ! nous ne vous l'avons jamais vu faire !

Madame Vidauban
A moi ? Ah ! bien, elle est bonne ! Mais toujours ! Mais tout le temps ! N'est-ce pas, Roy ?

Vidauban (de confiance )
Oui, ma bonne amie !

Madame Vidauban
Ca c'est fort !… Vous ne me l'avez jamais vu faire ? Ah ! ben… ! (Enjambant la chaise du milieu à l'instar de la Môme.)
Eh ! allez donc ! c'est pas mon père !

Tout Le Monde (étonné )
Ah !

Petypon
Ouf !

La Môme (en délire, traversant la scène en applaudissant des mains et en gambadant comme une gosse )
Elle l'a fait !… elle l'a fait !… elle l'a fait !

Petypon (la rattrapant par la queue de sa robe au moment où elle passe devant lui et courant à sa suite )
Allons, voyons !… Allons, voyons !
(Arrivée au piano, par un crochet en demi-cercle, toujours en gambadant, la Môme remonte au buffet, avec Petypon, toujours à ses trousses.)

Le Sous-Préfet (qui est à l'extrême gauche du piano, à sa femme qui est près de lui )
Eh bien ! tu vois, ma chère amie, ce sont ces petites choses-là qu'il faut connaître ! ce sont des riens !… mais c'est à ces riens-là qu'on reconnaît la Parisienne. Etudie, ma chère amie ! étudie !
(Il remonte par l'extrême gauche.)

Madame Sauvarel
Oui ! oui !
Immédiatement, elle prend la première chaise qui est devant le piano, l'apporte extrême gauche, presque contre le mur, puis, avec acharnement, s'applique maladroitement à l'enjamber à plusieurs reprises… en répétant chaque fois à voix basse : "Eh ! allez donc, c'est pas mon père ! " Au même moment on entend un son de fanfare, au loin, qui à mesure se rapproche.

Tout Le Monde (se retournant instinctivement vers le fond )
Qu'est-ce que c'est que ça ?

Le Général (dos au public, à ses invités )
Ah ! je sais !… Ce sont les pompiers de la commune dont on m'a annoncé la visite. Mesdames et messieurs, si vous voulez que nous allions à leur rencontre ? (Tandis que tout le monde remonte, il va prendre le bras de Petypon qui est avec la Môme près du buffet.)
Allons, viens, toi !

Petypon (résistant )
Mais, mon oncle, c'est que…

Le Général
Oui, oui, c'est entendu, "ta femme" ! Eh ben ! tu l'embêtes, ta femme !… Allez, viens ! (Il l'envoie milieu scène, puis se dirige vers le piano pour prendre son képi. A ce moment, son attention est attirée par madame Sauvarel qui répète consciencieusement dans son coin. Il la signale de l'œil à Petypon, puis, brusquement, en applaudissant des mains.)
Bravo, madame Sauvarel !

Madame Sauvarel (sursautant et avec un petit cri aigu )
Ah !
(Elle se sauve vers le fond, tout effarée. Le général remonte en riant, entraînant Petypon. Tout le monde à ce moment est à peu près sorti. Le duc est le dernier. Il s'efface pour laisser passer le général et le docteur. La Môme, qui est restée seule près du buffet, voyant que le duc sort le dernier, s'élance vers lui d'un pas rapide et sur la pointe des pieds et le fait descendre à vive allure jusque devant le trou du souffleur. La musique peu à peu s'éloigne, mais on ne cesse de l'entendre pendant toute la scène qui suit.)

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