Acte I - Scène V



Les Mêmes, la Môme, cachée, Madame Petypon

Madame Petypon (surgissant de droite, pan coupé. Elle porte un plateau avec la théière, le sucrier et la tasse sur sa soucoupe. Sans regarder les deux hommes, elle descend jusqu'à la table déposer son plateau )
Voilà le thé ! J'ai envoyé Etienne acheter un citron.

Petypon (affolé et l'œil toujours sur sa femme ; profitant de ce qu'elle ne regarde pas pour dire très haut par l'interstice des deux tapisseries, afin de prévenir la Môme )
Ma femme ! hum ! hum !… Madame Petypon, ma femme !

Mongicourt (même jeu )
Sa femme ! Madame Petypon !

Madame Petypon (étonnée, se retourne vers son mari, puis, traversant la scène en riant de façon à passer n° 1 )
Eh bien quoi ? Tu me présentes au docteur, maintenant ?

Mongicourt (inconsidérément )
Madame, enchanté !
(Il descend, tout en parlant, derrière le canapé.)

Petypon (à Gabrielle assise sur le canapé )
Mais non (je dis )
 : tu ne me laisses pas acheve : "Madame Petypon, ma femme,… tu ne trouves pas qu'on étouffe ici ? "

Madame Petypon
Ici ? non !

Petypon
Si ! si ! (Brusquement, de la main droite, lui saisissant le poignet gauche.)
Allons prendre l'air, viens ! Allons prendre l'air !

Madame Petypon (résistant, bien qu'entraînée par Petypon )
Mais non ! Mais non !

Petypon (l'entraînant vers la droite, pan coupé )
Mais si ! mais si !
(Il imprime une secousse du poignet au bras de sa femme qui se trouve ainsi lancée n° 3, juste pour aller virevolter autour de la chaise sur laquelle sont les vêtements de la Môme.)

Madame Petypon (à droite de la chaise, avisant les vêtements )
Ah ! Qu'est-ce que c'est que ça, qui est sur cette chaise ?

Petypon (à gauche de la chaise )
Quoi ?

Madame Petypon (prenant les vêtements et descendant avec, n° 2 )
Cette étoffe ?… on dirait une robe !

Petypon (médusé, à part )
Nom d'un chien ! la robe de la Môme !

Mongicourt (entre ses dents, en se laissant tomber sur le canapé )
Boum !

Madame Petypon
Mais oui !… En voilà une idée d'apporter ça dans ton cabinet… Depuis quand c'est-il là ?

Petypon (descendant vivement entre Mongicourt et madame Petypon )
Je ne sais pas ! je n'ai pas remarqué ! Ca n'y était pas cette nuit !… Il me semble que c'est ce matin, hein ?… n'est-ce pas, Mongicourt ? On a apporté ça ce… (Agacé par le silence et le regard moqueur de Mongicourt qui semble s'amuser à le laisser patauger.)
Mais dis donc quelque chose, toi !

Mongicourt (sans conviction )
Hein ? oui !… oui !

Petypon (à sa femme )
Ca doit être une erreur !… c'est pas pour ici !… Je vais la renvoyer !
(En ce disant, il empoigne la robe et, passant devant Gabrielle, pique vers la porte de sortie.)

Madame Petypon (qui n'a pas lâché l'autre bout de la robe, en tirant à soi, fait virevolter son mari et le ramène à elle )
Mais, pas du tout, ce n'est pas une erreur.

Petypon
Hein ?

Madame Petypon
Seulement, c'est une drôle d'idée d'apporter ça chez toi !

Petypon
Comment ?

Madame Petypon
Moi, pendant ce temps-là, j'écris une lettre à cheval à ma couturière.

Petypon
A ta ?…

Madame Petypon
Mais oui, elle devait déjà me livrer cette robe hier ; alors, moi, ne voyant rien venir…

Petypon
Hein ?

Mongicourt (à part )
Ah bien ça, c'est le bouquet !

Petypon (qui n'a qu'une idée, c'est de reprendre la robe )
Mais non !… Ce n'est pas possible !… D'abord, je te connais, tu n'aurais pas choisi une robe si claire… Allez ! donne ça ! donne ça !
(Il a saisi la robe et fait mine de l'emporter.)

Madame Petypon (défendant son bien )
Ah ! que tu es brutal ! Tu sais bien que je ne choisis jamais !… Je dis à ma couturière : "Faites-moi une robe ! " et elle me fait ce qu'elle veut ; je m'en rapporte à elle. C'est un peu clair, c'est vrai !…

Petypon
Oui, oui ! (Saisissant la robe et essayant de l'arracher à sa femme.)
On va la faire teindre !…

Madame Petypon (tirant de son côté et d'un coup sec faisant lâcher prise à Petypon )
Oh ! mais, voyons, à la fin !… C'est un peu clair, mais une fois n'est pas coutume !… Ah ! tu as une façon de manipuler les toilettes ! Ah ! si on les laissait entre tes mains !… vrai !…
(Elle sort par le deuxième plan gauche en emportant la robe.)

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