Acte III - Scène III



Le Duc, Gabrielle, Etienne

Le Duc (s'élançant radieux vers la porte en la voyant s'ouvrir )
Ah ! (Pivotant sur les talons et avec désappointement en voyant paraître Gabrielle.)
Zut ! c'est son amie !
(Il redescend.)

Etienne (à mi-voix, à Gabrielle qu'il suit )
Il paraît que c'est très urgent, madame ! très urgent !

Gabrielle (grognement de mauvaise humeur )
Ah !
(Etienne sort de droite, en adressant au duc, en passant, des signes d'intelligence, tandis que Gabrielle descend par la gauche du canapé. Gabrielle, surmontant sa mauvaise humeur, s'incline légèrement à la vue du duc.)

Le Duc (s'inclinant poliment, mais froidement )
Madame !

Gabrielle
Le duc de Valmonté ?

Le Duc
Lui-même, madame !

Gabrielle (lui indiquant la chaise près du canapé )
Ah ! parfaitement
oui, oui !… (Elle s'assied sur le canapé tandis que le duc, faisant contre fortune bon cœur, s'assied sur la chaise un temps d'embarras réciproque.)
C'est bien vous, monsieur, qui étiez à la soirée du général Petypon du Grêlé quand je suis arrivée ?

Le Duc (s'inclinant légèrement )
En effet, madame ! c'est là que j'ai eu l'honneur de vous voir ! (Ils échangent une petite inclination de la tête, puis silence gêné de part et d'autre. Le duc regarde à droite et à gauche derrière lui, visiblement préoccupé de tout autre chose que de la présence de madame Petypon. Celle-ci ne comprenant rien à l'attitude du duc, promène un œil étonné du duc au public et du public au duc. Brusquement, ce dernier, à Gabrielle.)
Et… et madame Petypon va bien ?

Gabrielle
Pas mal, merci ! Un peu fatiguée par le voyage, et en plein dans l'aria des malles.

Le Duc (regardant dans la direction de la porte de gauche où il suppose que doit être celle pour qui il vient )
Oh ! comme c'est ennuyeux !

Gabrielle (intriguée par l'attitude du duc, regardant dans la direction où il regarde et à part )
Qu'est-ce qu'il regarde comme ça ?

Le Duc (brusquement )
Mais, enfin, elle n'est pas souffrante ?

Gabrielle (se retournant vers le duc )
Qui ?

Le Duc
Madame Petypon ?

Gabrielle
Ah ? (A part.)
Quelle drôle de façon de parler à la troisième personne, comme un valet de chambre. (Haut.)
Non ! merci bien !

Le Duc
Ah ! tant mieux ! tant mieux !
(Nouveau regard dans la direction de la porte. Nouvel étonnement de Gabrielle. A un moment, leurs regards se rencontrent, ils échangent une petite salutation avec un petit rire contraint : "Eh ! eh ! eh ! eh ! eh ! " puis, détachant leur regard l'un de l'autre, ils reprennent chacun leur attitude première.)

Gabrielle (au bout d'un instant, dans un mouvement d'impatience )
Mais, pardon, monsieur… je suis un peu pressée, et si vous voulez bien ?…

Le Duc (se levant et, tout en parlant, remontant entre la chaise et le canapé )
Mais allez donc, madame… allez donc ! ne vous occupez pas de moi ! je serais désolé !
(Il pivote sur les talons et tourne le dos à madame Petypon, sans plus s'occuper d'elle.)

Gabrielle (interloquée, se levant )
Hein ?… Mais non, du tout ! Ce n'est pas ce que je veux dire ! Seulement, je n'ai que quelques instants à vous accorder, et alors, vous comprenez !…

Le Duc (qui dans ce jeu de scène a fait en quelque sorte le tour du dossier de sa chaise, redescendant à droite de celle-ci, sur un ton pincé )
C'est bien aimable à vous ! (S'asseyant.)
Je n'en abuserai pas !

Gabrielle (se rasseyant également )
Vous m'excusez, n'est-ce pas ?

Le Duc (pincé )
Mais comment donc ! (Moment de gêne de part et d'autre. Quand leurs regards se rencontrent, ils échangent une petite salutation accompagnée d'un sourire forcé. Après un temps, et pour dire quelque chose.)
Bien charmante soirée, n'est-ce pas, chez le général.

Gabrielle (le regarde avec étonnement, puis )
Charmante, en effet !
(Un temps.)

Le Duc
Quel beau pays que la Touraine !

Gabrielle (de plus en plus étonnée )
Ah ! oui !… mais…

Le Duc
Le verger de la France !

Gabrielle (interloquée )
Ah ?

Le Duc (à part )
Si elle croit que ça m'amuse de bavarder comme ça avec elle. (Brusquement, à Gabrielle, en tendant machinalement son bouquet vers elle.)
Voulez-vous me permettre, madame…

Gabrielle (qui croit qu'il lui offre le bouquet )
Oh ! merci !

Le Duc (ramenant vivement son bouquet qui vient lui fouetter l'épaule gauche )
Non !

Gabrielle (ahurie )
Ah ?

Le Duc
… de vous poser une question ?

Gabrielle
Mais… certainement.

Le Duc
Est-ce qu'il faut longtemps pour défaire des malles ?

Gabrielle (sentant la moutarde lui monter au nez )
Hein ! Mais je ne sais pas ! ça dépend ! quand on n'est pas dérangé… (Brusquement, en se levant.)
Mais, pardon, monsieur ! Je ne suppose pas que vous soyez venu pour me parler de la Touraine et du temps qu'il faut pour défaire des malles.

Le Duc (qui s'est levé en même temps que Gabrielle )
Oh ! non, madame !

Gabrielle
Le valet de chambre m'a dit que c'était pour une chose très urgente !…

Le Duc
Oh ! oui, madame ! très urgente !

Gabrielle (s'asseyant )
Eh bien ! parlez, monsieur ! de quoi s'agit-il ?

Le Duc
De quoi ?… euh !… (Brusquement, pivotant sur les talons.)
J'peux pas vous le dire !
(Il remonte à droite.)

Gabrielle (se levant, absolument ahurie )
Comment ?

Le Duc (se retournant vers Gabrielle )
Non, madame, non ! ne m'interrogez pas ! parlons de ce que vous voudrez ; mais quant à vous dire l'objet qui m'amène, n'y comptez pas !
(Il remonte fond droit.)

Gabrielle
Hein ? (A part.)
Eh bien ! en voilà un original ! (Haut.)
Mais, pardon, monsieur… alors, pourquoi êtes-vous ici ?

Le Duc
Ca, madame… (Pirouettant sur lui-même, et sur un ton malicieux.)
c'est mon affaire !

Gabrielle (bouche bée )
Ah ?

Le Duc (brusquement et sur un ton assez précipité )
Mais le temps passe ! Je vois que madame Petypon est occupée ; je ne veux pas la déranger le moins du monde ! je reviendrai.

Gabrielle (même jeu )
Ah ?

Le Duc
Au revoir, madame ! je reviendrai !… je reviendrai ! (A part, sur le pas de la porte.)
Plus souvent que je lui raconterai pour qu'elle aille faire des potins ! Ah ! ben !
(Il sort de droite en remportant son bouquet.)

Gabrielle (reste un temps comme médusée, puis, tout en reposant la chaise au-dessus du canapé )
Mais, qu'est-ce que c'est que ce toqué-là ?… (Remontant vers la porte de droite laissée ouverte par le duc.)
Il vient me déranger pour me dire que la Touraine est le verger de la France ! Il en a un toupet !
(Elle referme la porte.)

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