Acte III - Scène V



Les Mêmes, Etienne

Etienne (le bouquet du duc et une lettre à la main )
Voici un bouquet et une lettre pour madame !

Gabrielle (se levant, étonnée )
Pour moi ?

Petypon (prenant bouquet et lettre des mains d'Etienne et passant la lettre à Gabrielle )
C'est ta fête ?

Gabrielle
Pas que je sache !

Etienne (près de Petypon )
C'est le jeune homme de tout à l'heure qui m'a dit de remettre ces fleurs en mains propres à madame, avec ce mot qu'il vient d'écrire.

Gabrielle
A moi ! mais qu'est-ce qu'il me veut encore ?

Petypon
Qu'est-ce que c'est que ce monsieur ?

Gabrielle
Je ne sais pas ; un jeune toqué !

Etienne
M. le duc de Valmonté.

Petypon (ne faisant qu'une volte sur lui-même et allant fouetter de son bouquet la poitrine d'Etienne, à part )
Nom d'un chien !

Etienne (recevant le bouquet dans le creux de l'estomac )
Oh !

Petypon (lui laissant le bouquet dans les bras et le faisant virevolter en le poussant par les épaules vers la sortie )
C'est bien, allez !

Etienne (sortant, avec le bouquet )
Je vais le mettre dans l'eau !

Petypon (redescendant vivement vers Gabrielle )
Attends, donne ! Je vais te lire…

Gabrielle (qui a déjà décacheté la lettre, écartant celle-ci de la portée de son mari )
Pourquoi ça ? Je lirai bien moi-même !

Petypon (à part, tout en gagnant la droite )
Mon Dieu ! Quelle nouvelle tuile ?…

Gabrielle (exclamation de surprise )
Ah !

Petypon (se retournant vers elle )
Quoi ?

Gabrielle
Mais il est fou ! regarde-moi ce qu'il m'écrit, cet imbécile !

Petypon (se rapprochant )
Quoi donc ?

Gabrielle (lisant en exagérant le côté lyrique de la lettre )
Ah ! madame ! Depuis que votre voix enchanteresse m'a dit des paroles d'amour, mon cœur est plein de vous.

Petypon
Hein ?

Gabrielle
Des paroles d'amour, moi ! Ce toupet ! (Lisant.)
Hélas ! pourquoi faut-il que ma sotte timidité ait paralysé ma langue ? Vous étiez bien encourageante, cependant !

Petypon (sur un ton théâtral, tout en lui enlevant d'un geste rapide sa lettre des mains )
Qu'est-ce que tu dis ?

Gabrielle
Mais, c'est de la folie ! mais, jamais !…

Petypon (continuant de lire )
Je vous écris ceci pour brûler mes vaisseaux ; et quand je reviendrai tout à l'heure, vous verrez que mon éloquence sera à la hauteur de votre amour. Je vous embrasse à pleine bouche !… (Sur un ton scandalisé.)
Oh !

Madame Petypon
L'impertinent !

Petypon (prenant du champ vers la droite pour donner plus d'ampleur à son jeu )
Oh ! Gabrielle !… à ton âge !

Madame Petypon (abasourdie )
Quoi ?

Petypon (gagnant vers madame Petypon et jouant l'indignation )
Tu as détourné le jeune duc de Valmonté ! toi !

Madame Petypon (de toute son énergie )
Moi ! mais tu es fou ! A peine si je lui ai dit deux mots chez ton oncle ! et quels mots : (Se tournant à demi vers la gauche pour parler à un être imaginaire qui serait censé au n° 1.)
"Le Général n'est pas là ?… Non ? Je vais en profiter pour voir si on monte mes malles ! " (Se tournant vers Petypon.)
Je ne vois pas dans ces paroles ?…

Petypon (énergiquement sentencieux )
Les paroles ne signifient rien ! C'est l'intonation qui fait tout !… (Changeant de ton.)
Tu lui as peut-être dit ça d'un air provocant ! (la voix doucereuse, l'œil en coulisse, imitant censément sa femme.)
"Je vais voir… (Oeillade raccrocheuse.)
si on monte mes malles…" (Nouvelle œillade à blanc, puis, voix ordinaire.)
On peut tout dire avec la voix !… Et c'est souvent quand on ne dit rien que l'on dit le plus de choses !

Madame Petypon (presque larmoyante )
Mais je t'assure que rien dans ma voix !…

Petypon (grandiloquent )
Allons donc ! comme il n'y a pas de fumée sans feu… il n'y a pas de feu sans allumage !

Madame Petypon (même jeu )
Je te jure, Lucien, que je n'ai rien allumé !

Petypon (avec un geste de clémence )
Eh ! bien ! c'est bien !… (Mettant la lettre dans la poche intérieure de sa redingote.)
Je veux bien admettre que c'est inconsciemment ! Mais, en tous cas, je te défends, tu m'entends ? je te défends de revoir le duc ! Quand il reviendra, j'exige que tu fasses dire que tu ne reçois pas !

Madame Petypon (tendant la main pour prêter serment )
Oh ! ça, sur ta tête !

Petypon
C'est bien ! Ma tête n'a rien à faire là-dedans ! (A part et bien scandé, tout en descendant vers la droite.)
En voilà un de réglé !

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