Acte II - Scène XIII



Petypon, Le Général, puis Emile

Petypon
Quelle drôle d'idée d'écrire au général puisqu'il est chez lui ! Enfin, ça le regarde !

Le Général (venant de la terrasse et entrant par la première baie. Il tient à la main la gainé qu'il repose en passant sur la cloche )
C'est étonnant !… Tu n'as pas vu Corignon ? Je ne peux pas mettre la main dessus.

Petypon
Mais, si fait ! (Déclamant.)
Voici même une lettre, qu'entre vos mains, mon oncle, il m'a dit de remettre !
(Il remet la lettre et, discrètement, s'écarte un peu à droite.)

Le Général (décachetant la lettre )
A moi ? quelle drôle d'idée ?… (Après avoir parcouru la lettre des yeux.)
Oh !

Petypon
Quoi ?

Le Général
Mille tonnerres !

Petypon
Qu'est-ce qu'il y a ?

Le Général (s'emportant )
Le polisson ! Il me rend sa parole et m'écrit qu'il part avec sa maîtresse !… Nom d'un chien ! Ah ! il croit que parce qu'il est mon filleul… Eh bien ! je lui ferai voir !… (Remontant et appelant en voyant Emile qui, venant du fond droit, est en train de traverser la terrasse.)
Emile !
(Emile, faisant immédiatement demi-tour à l'appel de son nom et accourant par la première baie côté jardin, pour s'arrêter dans l'encadrement de la baie centrale.)
(— Mon général ?)

Le Général
Vous n'avez pas vu le lieutenant Corignon ?

Emile
Si, mon général ! il montait en voiture avec madame Petypon.

Petypon
Hein ?…

Le Général (bondissant )
Qu'est-ce que vous dites ?… avec madame Petypon ?… Corignon ?… (Brusquement, faisant pirouetter Emile par les épaules et l'envoyant baller d'une tape du plat de la main.)
C'est bien ! allez ! (Redescendant vivement, à Petypon, tandis qu'Emile se sauve par la porte de gauche.)
Tu as entendu ? Il a enlevé ta femme !

Petypon (a un sursaut des épaules, puis, joignant les mains, dans un transport de joie )
C'est vrai ?

Le Général (avec un recul de surprise )
"C'est vrai ! " C'est tout ce que tu trouves à dire : "C'est vrai" ? V'là tout l'effet que ça te fait ?… (Volubile et énergique, en marchant sur Petypon.)
Oh ! mais, ça ne se passera pas comme ça ! Si tu es philosophe, moi je ne le suis pas !… Tu portes mon nom ; et tu sauras qu'il n'y a jamais eu de cornards dans ma famille ! ce n'est pas toi qui commenceras ! (Il est remonté à grandes enjambées jusqu'à la porte de gauche, l'ouvrant d'un coup de poing et appelant.)
Emile !

Emile (sortant de gauche deuxième plan )
Mon général ?

Le Général (qui est revenu dans le mouvement jusqu'à la console de gauche )
Vite ! préparez ma valise et celle de M. Petypon et descendez-les !
(Il fait pirouetter Emile et l'envoie d'une poussée jusqu'à la porte de gauche par laquelle celui-ci disparaît.)

Emile (tout en se sauvant )
Bien, mon général.

Petypon (au général qui revient à lui )
Mais pourquoi ?

Le Général (bondissant à la question dé Petypon )
"Pourquoi ! " (Saisissant Petypon au collet et le secouant comme un prunier.)
Tu penses que je vais les laisser filer sans que nous courions après ?… (L'envoyant n° I près du piano.)
Attends-moi ! (Tout en prenant son képi dont il se coiffe.)
Je vais voir si par hasard ils n'ont pas encore eu le temps de partir. Et s'ils sont partis, je t'emmène et nous les rattraperons !
(Tout en parlant il remonte au fond, et dans l'encadrement de la baie, il rencontre Gabrielle qui, après avoir fait le tour du parc, arrive de droite de la terrasse.)

Gabrielle (toujours palpitante )
Ah ! général !…

Le Général (sans s'arrêter )
Oh ! vous, la folle, foutez-moi la paix !
(Il sort terrasse côté cour.)

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