ACTE PREMIER - Scène XIX
(POCHET , ADONIS , PUIS MARCEL , VAN PUTZEBOUM , DEUX GARÇONS FLEURISTES , PORTANT UNE MAGNIFIQUE CORBEILLE TOUTE EN FLEURS BLANCHES , PUIS KOSCHNADIEFF ET LE P RINCE NICOLAS .)
ADONIS(parlant à la cantonade. )
Par ici ! par ici !
(Il se précipite sur la table à jeu qu'il recule en même temps que les chaises dans la direction de la fenêtre.)
POCHET
Qu'est-ce que c'est?
ADONIS(tout en faisant le ménage. )
C'est des fleurs ! et des belles ! (Remontant.)
Entrez, les hommes !
VAN PUTZEBOUM(introduisant, suivi de Marcel, les deux porteurs. )
Là ! Entrez ! prenez garde que vous abîmez pas !
(Les deux hommes entrent, tenant la corbeille chacun par un côté; ils vont se ranger devant le côté droit de la table à jeu.)
POCHET(admirant la corbeille. )
Mazette !
VAN PUTZEBOUM
Figurez-vous, n'est-ce pas ! en arrivant en bas, nous nous sommes cognés contre la corbèle qu'on apportait !
POCHET
Voyez-vous ça !
(Nouvelle sonnerie.)
ADONIS(qui est au fond. )
Tiens, on sonne !
(Il sort vivement.)
VAN PUTZEBOUM(aux fleuristes. )
Posez ça une fois là, hein? (Il indique la table à jeu sur laquelle les porteurs posent la corbeille face aux personnages en scène. A Pochet.)
Mais où c'est la fiancée qu'elle est donc?
POCHET
Là, dans sa chambre, en train de téléphoner.
VAN PUTZEBOUM
Ah ! le téléphon ! oui ! oui !
(Il gagne, suivi de Marcel, le milieu de la scène.)
ADONIS(accourant, affolé. )
Ah ! par exemple, celle-là !…
POCHET
Qu'est-ce que c'est?
ADONIS
Le prince !… Le prince de Palestrie !
POCHET(subitement dans tous ses états. )
Ah ! nom d'un chien ! et tu le laisses dans l'antichambre?
ADONIS
Non ! y monte.
POCHET(bousculant Van Putzeboum et Marcel, qui causent dans l'espace compris entre le canapé et le piano. )
Allez ! rangez-vous, vous autres ! Rangez-vous !
VAN PUTZEBOUM ET MARCEL(ahuris, reprenant leur équilibre. )
Qu'est-ce qu'il y a?
POCHET(tout en courant vers les deux porteurs qui encadrent la corbeille. )
Le roi ! C'est le roi ! (Aux porteurs, en les repoussant derrière la table.)
Allez, derrière les arbres ! derrière les arbres… (Courant jusqu'au piano.)
Mon Dieu ! et pas de candélabre ! (A Adonis.)
La bougie ! allume la bougie !
ADONIS
Mais pourquoi !
POCHET
Mais parce que ! Quand on reçoit des rois !…(A Van Putzeboum et Marcel, tandis qu'Adonis allume la bougie.)
Allez ! pas de rassemblement ! Circulez ! Circulez !
VAN PUTZEBOUM(bousculé. )
Oh ! mais une fois savez-vous… !
POCHET
(À ADONIS)
Là ! introduis… Ah ! la musique ! la musique ! (Pendant qu'Adonis sort, il actionne le gramophone qui joue la Marseillaise. Un temps. Pochet, la bougie allumée à la main, va se poster à proximité de la porte, un peu en deça du piano. Le prince, enfin, paraît, suivi de Koschnadieff. Tout le monde s'incline. Pochet, la bougie, haute, l'échine courbée.)
Sire !…
LE PRINCE(le chapeau sur la tête, descendant, suivi de Koschnadieff. Accent slave. )
Oh ! que de monde !… (Frappé soudain par le son de la Marseillaise.)
Oh ! l'hymne national !
(Il se découvre. Tout le monde reste un bon instant la tête inclinée.)
KOSCHNADIEFF(après un temps, descendant entre le prince et Pochet. )
Je présente à Votre Altesse le père de mademoiselle d'Avranches.
LE PRINCE
Oh ! très bien ! je vous complimente… (Avec intention.)
monsieur le Commandeur !
POCHET(l'échine pliée, prenant de la main gauche la main que le prince tend de son côté et la baissant. )
Oh ! sire.
LE PRINCE(considérant le bougeoir allumé que Pochet tient au-dessus de sa tête, presque sous le nez du prince. )
Mais que vois-je? Vous alliez vous coucher, peut-être?
POCHET
Mais non, sire ! c'est pour vous !
LE PRINCE(passant devant Pochet en descendant en scène. )
Oh ! mais je n'en ai que faire !
POCHET(interloqué. )
Ah? Ah?
(Adonis profite de cette descente pour traverser par le fond et aller rejoindre le groupe formé par Van Putzeboum et Marcel.)
LE PRINCE(jetant un rapide coup d'oeil autour de lui. )
Et… votre délicieuse fille n'est pas là?
POCHET(empressé. )
Elle va venir, Sire ! Mais… si je puis la remplacer…?
LE PRINCE(vivement et avec conviction. )
Oh ! non !… Non !
POCHET(décrivant, dos au public et face au prince un demi-cercle avec révérences de cour pour passer devant lui. )
Je vais la chercher, Sire ! je vais la chercher ! (A part, en se dirigeant vers la porte droite, premier plan.)
Mon Dieu, et l'autre ! son Milledieu, qui n'est pas encore parti !… (Il ouvre carrément la porte qu'on lui referme brutalement sur le nez.)
Oh !
(Ensemble)
VOIX D'AMÉLIE
On n'entre pas !
VOIX D'ETIENNE
Mais foutez-nous la paix !
POCHET(descendant presque à l'avant scène droite. )
On met le verrou, que diable ! on met le verrou !… (Remontant vivement vers le prince qui cause avec Koschnadieff.)
Par ici, Altesse ! par ici, mon prince !… (Il le précède à reculons et remonte de la sorte, toujours son bougeoir allumé à la main dans la direction de la haie. Il va donner ainsi du dos contre le groupe Van Putzeboum, Adonis, Marcel. Se retournant et les poussant les uns contre les autres de façon à déblayer la place.)
Allez ! Allez, circulez ! circulez, vous autres ! (Se retournant aussitôt vers le prince et comme précédemment:)
Par ici, monseigneur ! Par ici !