ACTE PREMIER - Scène XII



(L ES MÊMES , MARCEL , PUIS ADONIS ET VAN PUTZEBOUM)

MARCEL(en coup de vent entrant de droite premier plan et gagnant le n° 3 en passant au-dessus du canapé. )
Amélie ! Amélie ! (S'excusant auprès du général dans lequel il a été presque donner.)
Oh ! pardon, monsieur !

KOSCHNADIEFF
Je vous prie !

MARCEL
Le voilà ! le voilà ! je viens de l'apercevoir à travers la fenêtre !

AMÉLIE
Qui?

MARCEL
Mon parrain ! Van Putzeboum !

POCHET(avec une envie de rire à l'audition du nom. )
Quoi?

MARCEL( riant aussi. )
Bien oui !… c'est de naissance.

POCHET(répétant le nom en riant. )
Putzeboum.

MARCEL
Van ! Van ! (Sonnerie.)
Là ! voilà, c'est lui !

AMÉLIE
Eh bien ! mon grand, quoi? Va le recevoir.

MARCEL(vivement. )
C'est ça ! C'est ça ! (A Koschnadieff.)
Monsieur, encore pardon !
(Il sort rapidement par la baie. Pendant ce qui suit on verra à travers la glace sans tain Adonis introduire Van Putzeboum; et celui-ci embrasser Marcel tandis qu'Adonis se retirera.)

KOSCHNADIEFF(prenant congé. )
Oh ! mais alors bien donc, madame ! je vous présente mes devoirs.

AMÉLIE(remontant dans la direction de la porte. )
Au revoir, général, et très reconnaissante. (Elle ouvre la porte et passe la première pour montrer le chemin au général.)

KOSCHNADIEFF
Oh ! je vous prie !… (A Pochet qui est remonté à la suite du général.)
Monsieur le père !…

POCHET(s'inclinant. )
Général ! (Ne perdant pas le nord.)
Et alors, n'est-ce pas? Pour la petite croix de commandeur…

KOSCHNADIEFF
Entendu ! Entendu !
(Il sort.)

POCHET(sur le pas de la porte. )
Et quand je dis "petite", vous savez, même au besoin une grande !…
(Il sort. En même temps qu'ils sortent d'un côté, paraissent Marcel et Van Putzeboum par la baie de droite.)

MARCEL(précédant Van Putzeboum. )
Par ici, parrain !

VAN PUTZEBOUM(passant son bras gauche autour des épaules de Marcel et descendant avec lui en scène. )
Eh ! te voilà, filske !… Eh bien ! me voilà, moi ! A la bonne heure ! on sent ici que tu deviens un homme sérieux… dans ce foyer familial, n'est-ce pas?
(Il lâche Marcel et va poser son chapeau sur la table à jeu.)

MARCEL
Mais oui, mon parrain !
(Amélie, revenant de l'antichambre, suivie de Pochet, et descendant entre Van Putzeboum et Marcel, tandis que Pochet descend par l'extrême gauche, entre la table et la fenêtre.)

VAN PUTZEBOUM(avec satisfaction, en voyant Amélie. )
Ah !

MARCEL(voulant faire la présentation. )
Mon parrain, je vous présente…

VAN PUTZEBOUM(vivement. )
Attends !… attends, fils, que je devine !… (Le regard dans les yeux d'Amélie, l'index en avant et sur un ton inspiré.)
Mademoiselle Amélie d'Avranches… ça est vous !

AMÉLIE(souriant. )
C'est moi !

VAN PUTZEBOUM(radieux. )
Ah !… J'aïe deviné !

POCHET(à part. )
Qu'il est fort !

AMÉLIE(très jeune fille du monde. )
M. Marcel nous avait annoncé votre venue, monsieur, et nous vous attendions avec impatience !

VAN PUTZEBOUM(flatté. )
Tenez ! Tenez !

AMÉLIE(à Pochet. )
N'est-ce pas?

POCHET
Ah !… Comme l'avenue de Messine !

VAN PUTZEBOUM
Ah ! bien ça, ça est gentil, savez-vous !… Gotferdeck, petit, je te félicite ! Ça est un beau brin tout de même !

AMÉLIE(baissant les yeux. )
Oh ! monsieur.

VAN PUTZEBOUM
Oui, oui ! je dis comme ça est !

MARCEL
N'est-ce pas?

VAN PUTZEBOUM
Eh ! sûr donc ! (Se tournant vers Pochet.)
N'est-ce pas, monsieur?

POCHET(modeste. )
Ben… c'est ma fille.

VAN PUTZEBOUM
Ouyouyouye ! Oui? Eh bien ! je te complimente !… Vous savez faire, savez-vous.

POCHET(même jeu. )
On s'est mis à deux, je vous dirai !

VAN PUTZEBOUM(avec un gros rire. )
Ouie, ça je pense !… On s'est mis deux ! (Se tournant inconsidérément vers Amélie.)
On s'est mis d… (S'arrêtant, interdit, et bas à Pochet.)
Oh ! oh ! devant elle… Gotferdom !

POCHET(sur le même ton que Van Putzeboum. )
Oh ! oui, oui ! c'est juste !

VAN PUTZEBOUM(à Pochet. )
Monsieur d'Avranches, n'est-ce pas?

POCHET
Hein? Pochet !
(Amélie et Marcel lui font vivement des signes d'intelligence dans le dos de Van Putzeboum.)

AMÉLIE
Hum !

POCHET
Euh ! Pochet… d'Avranches ! Pochet, d'Avranches, oui ! oui !

VAN PUTZEBOUM
Très heureux, monsieur. (Lui tendant la main.)
Votre main donc? (Après avoir serré la main de Pochet, se tournant vers Amélie.)
Mademoiselle ! ça est un vieil habitant de la Hollande qu'il a fait tout exprès le voyage pour vous apporter tous seï vœux de bônheur.

AMÉLIE(jouant l'émotion. )
Ah ! mon… mon parrain !

VAN PUTZEBOUM(radieux, et lui tendant les bras. )
Ouie, c'est ça !… nommez-moi le parrain ! ça raccourcit les distances donc ! (Au moment d'embrasser Amélie, à Marcel. )
Tu permets que je la bise?

MARCEL(tournant un visage ahuri vers Van Putzeboum, puis. )
Quoi?

VAN PUTZEBOUM(les épaules d'Amélie entre les mains, répétant. )
Que je la bise !… "Une bise !…" Tu sais pas qu'est-ce que c'est qu'une bise?

MARCEL(comprenant, et avec un rire contenu. )
Ah !… (Poussant légèrement Amélie contre Van Putzeboum.)
Bisez, parrain ! bisez !

VAN PUTZEBOUM(à Amélie, gentiment. )
Est-ce que je saïe vous embrasser?

AMÉLIE
Comment "si vous savez"? Mon Dieu ! il me semble que vous êtes plus à même que moi…

MARCEL(blagueur à froid. )
Non ! Non ! il demande s'il peut.

AMÉLIE
Ah !… Comment donc !
(Marcel remonte au-dessus du canapé.)

VAN PUTZEBOUM(l'embrasse sur la joue gauche; puis. )
Ah ! cette joue virginale ! (Il l'embrasse sur la joue droite, puis à Pochet, tandis qu'Amélie va s'asseoir sur le canapé.)
Il me semble que je bise sur un bouton de rose ! (Allant se camper au milieu de la scène, face à Amélie, tandis que Pochet remonte près de Marcel, derrière le canapé.)
Eh bien ! mademoiselle Amélie ! vous êtes contente que vous mariez mon filleul?

AMÉLIE(très Comédie-Française. )
Certes !… J'aime… (Prononcer "j'eïmme")
J'aime M. Marcel et je suis heureuse de devenir sa femme.

VAN PUTZEBOUM
Tu entends ça, filske?

MARCEL(se penchant vers Amélie dont il imite le ton. )
Ah ! Toute ma vie ! toute ! pour cette parole d'amour !
(Il fait mine de l'embrasser.)

AMÉLIE(le repoussant en lui mettant la main sur les lèvres et minaudant. )
Ah ! mon ami ! pas avant l'hyménée !

MARCEL(avec humilité. )
Je vous demande pardon !

VAN PUTZEBOUM(ému d'admiration. )
Ah ! Chaste jeune file ! Ca est pur comme de l'ôr.

MARCEL
Et c'est rare par le temps qui court !

POCHET
Quoi? L'or?

MARCEL
Non, la pureté.

POCHET
Eh ben, et l'or donc !

VAN PUTZEBOUM(fouillant dans les poches des basques de sa jaquette. )
Et, maintenant, permettez-moi !… je vous ai apporté !… vous devez aimer les bijoux?

AMÉLIE(étourdiment. )
Tu parles !

MARCEL(lui envoyant une bourrade rapide. )
Hum !

VAN PUTZEBOUM
Comment?

AMÉLIE(vivement. )
Non, je dis: (Parlant comme avec une pomme de terre trop chaude dans la bouche et bien à la file.)
U-arles, eu-arles, eu-erles, é-erles, des perles… (Répétant, en appuyant sur le mot.)
Des perles… des diamants, ça n'est pas pour les jeunes filles.

VAN PUTZEBOUM(allant s'asseoir sur le canapé à côté d'Amélie. )
Oui, ça est vrai; mais maintenant que vous mariez Marcel, ça est changé donc ! Est-ce que vous ne savez pas porter des diamants?

AMÉLIE
Oh ! si, si, je sais !

POCHET(jovial. )
Non, mais essayez un peu, pour voir.

VAN PUTZEBOUM
Oui? Ca est bien; alors permettez que vous acceptez ce petit souvenir. (Il présente un écrin qu'il a tiré de sa poche et qu'il ouvre.)
Je l'ai fait monter juste expressément pour vous.

AMÉLIE
Pour moi ! (Etourdiment.)
Oh ! qu'il est bath !
(Marcel lui donne vivement une tape sur le gras du bras.)

VAN PUTZEBOUM
Comment?

AMÉLIE
Hein ! non ! non ! c'est une expression.

VAN PUTZEBOUM
Tiens?

AMÉLIE
Oui, ça veut dire: "Ah ! qu'il est chic ! Ah ! qu'il est beau !"

VAN PUTZEBOUM(se répétant l'expression à lui-même. )
Bath ! Bath ! oui !

AMÉLIE
Ah ! tenez, vous aussi vous êtes chic, il faut que je vous embrasse.
(Elle l'embrasse sur les deux joues.)

VAN PUTZEBOUM(se tordant. )
Ah ! ah ! quelle gâmine, donc !
(Il se lève et gagne à gauche.)

AMÉLIE
(se levant de même et gagnant également à gauche. )
Regarde, papa ! Marcel !

MARCEL ET POCHET
Voyons ! Voyons !

MARCEL
Oh ! superbe !

POCHET
Merveilleux !

AMÉLIE
Quelle eau !

POCHET(ne trouvant pas d'autre terme pour exprimer son admiration. )
Oh !… On dirait du cristal !

AMÉLIE
Quoi? Ah ! non, on t'en donnera du cristal ! Oh ! Vois-moi ces feux…

POCHET
Oh !… Ca vaut au moins, ça !…

AMÉLIE(sur un ton choqué. )
Papa, voyons ! ça ne nous regarde pas.

POCHET
Oh ! non, non ! Mais c'est pour dire !… parbleu j'ai pas l'intention de le payer ! non ! seulement… Ah ! il est épatant !

VAN PUTZEBOUM(sur un ton assez satisfait. )
Oui, il n'est pas mal ! (Ravi de placer l'expression.)
Il est bath !… bath !… TOUS ,(riant. )
Il est bath ! Il est bath ! Ah ! Ah ! Ah !

AMÉLIE
C'est-à-dire qu'il est admirable !

POCHET
Et conséquent !

VAN PUTZEBOUM(d'un air détaché. )
C'est un solitaire.

POCHET
Ah ! oui !… oui ! Eh bien, tenez ! voilà peut-être son seul défaut !

VAN PUTZEBOUM
Je l'ai choisi entre mille, savez-vous ! Les brilants, ça est ma partie, n'est-ce pas?

AMÉLIE ET POCHET
Ah?

VAN PUTZEBOUM
Oui, en Hollande (prononcer: "en Nollande")
, je faïe dans les diamants.

POCHET(qui à ce moment a les yeux fixés sur la bague d'Amélie, relève la tête à ce mot, regarde Van Putzeboum, puis Amélie; après quoi, fixant son binocle sur le bout de son nez, il gagne le n° 1 en décrivant un demi-cercle respectueux autour de Van Putzeboum qu'il considère de haut en bas avec déférence. Il a, en passant, un sifflement d'admiration qui fait retourner Van Putzeboum à droite et à gauche. )
Ffffuie !… (Une fois au n° 1.)
Quel luxe !

VAN PUTZEBOUM
Eh bien ! sans que je me vante ça est une pièce de collection !

POCHET(plaisantin. )
Il ne reste plus qu'à faire la collection !

VAN PUTZEBOUM
Ah ! Oui ! Oui ! Mais ça je n'en peux rien ! Pour ça, son mari est là, hein? Pas vrai, filske?

MARCEL
Mais, comment !

VAN PUTZEBOUM
Maintenant qu'il va toucher la grosse fortune !

MARCEL(vivement. )
Ah ! quand?

VAN PUTZEBOUM
Mais aussitôt que tu auras passé sur l'hôtel de ville, donc !

MARCEL
Sur l'hôt…?

VAN PUTZEBOUM
Oui donc, le bourgmestre ! le mariage !

MARCEL
Ah ! le… (A part.)
Rien à faire !

AMÉLIE(faisant jouer les feux de sa bague. )
Ah ! non, ce qu'elle est chic ! (A Van Putzeboum.)
Ah ! tenez, il faut que je vous réembrasse.

VAN PUTZEBOUM
Alleï ! Alleï ! Ne te gêne pas, petite ! (Elle l'embrasse.)
Je crois que vous êtes contente, hein?

AMÉLIE
Oh ! là ! là ! c'est moi qui aime mieux ça que les fleurs.

VAN PUTZEBOUM
Ah ! mais… je pense que vous avez reçu aussi ma corbelle?

AMÉLIE
Votre corbelle, non… Tu as vu une corbelle, toi, papa?

POCHET
J'ai pas vu de corbelle.

VAN PUTZEBOUM
On n'a pas apporté une corbelle ! Ah ! bien, celle-là !… Mais qu'est-ce qu'ils font, ces animaux?… Ah ! bé !… Vous n'avez pas le téléphone que j'y leur flanque un peu une savônnâde:

AMÉLIE
Mais si, nous l'avons.

VAN PUTZEBOUM
C'est chez le fleuriste, là, boulevard de la Mâdéléne, qui vend des-bouquets de mariage… et des couronnes môrtuhères.

MARCEL
Landozel !

VAN PUTZEBOUM
Si ! oui ! me semble !… Ils sont bêtes, savez-vous, dans cette maison. Je leur dis: "C'est pour Mlle Amélie d'Avranches, la jeune fille qui marie M. Courbois; vous devez la savoir?" Ils me répondent "Non ! d'Amélie d'Avranches, on ne sait que la d'Avranches qu'elle est avec M. de Millédieu !" (Ensemble)

MARCEL(à part. )
Sapristi !

AMÉLIE
Oh !

POCHET
Hum !

VAN PUTZEBOUM
"Allëi ! Allëi ! Mais qu'est-ce que tu chantes donc? Ca, ça n'est pas du tout ! Ça est la jeune file du monde, Mlle d'Avranches, qui marie M. Marcel Courbois !" Ils vous prenaient pour une côcôtte !(Confus en s'apercevant qu'il parle à Amelie, qui, elle, tournée vers Van Putzeboum, n'a pas bronché.)
Oh ! Oh ! pardon ! Je dis des expressions devant vous !…
(Il lui prend la main.)

AMÉLIE(sans baisser les yeux et sur le ton le plus ingénu.)
Oh ! mais je n'ai pas compris, monsieur !

VAN PUTZEBOUM
Oh ! ingeïnuité !… Quel trésôr ! (Presque dans l'oreille d'Amélie, en lui prenant les épaules entre les deux mains.)
Votre mari vous expliquera plus tard. (Il passe au n° 3.)
N'est-ce pas, filske?
(Il envoie une bourrade à Marcel et passe au n° 4.)

MARCEL(à Amélie. )
Oui, c'est pas pour les jeunes files !

AMÉLIE(l'air soumis. )
C'est bien, mon ami ! Je ne demande pas à savoir.

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