Acte de mariage - Scène II



(LES MÊMES , MARCEL , TOUJOURS EN HABIT , SANS PALETOT , LE CHAPEAU SUR LA TÊTE .)

MARCEL(entrant en trombe. )
Amélie ! Amélie !

AMÉLIE
Hein ! toi !

LE PRINCE(le reconnaissant. )
Ah ! le logeur !

MARCEL
Quoi ?

LE PRINCE
Eh bien ! vous êtes content?

MARCEL
Content ! Il demande si je suis content… (A Amélie.)
Amélie ! Amélie ! une tuile !… une tuile de quatre étage.

AMÉLIE
Une tuile de quatre étages?

MARCEL
Qui nous tombe sur la tête.

LE PRINCE
Une tuile de quatre étages, ça ne se voit donc pas tous les jours.

MARCEL
Ah ! si tu savais?…

AMÉLIE
Mais quoi? Quoi?

MARCEL
Nous sommes mariés ! légitiment mariés !

LE PRINCE
Hein ?

AMÉLIE
Qu'est-ce que tu dis ?

MARCEL
Toto Béjard, ce n'était pas Toto Béjard ! C'était le maire.

AMÉLIE
Ah ! çà ! voyons ! tu veux rire ! Qu'est-ce que ça veut dire?

MARCEL
Ça veut dire qu'Etienne avait été mis au courant de notre malheureuse équipée !… qu'il a su que tous les deux, nous…

AMÉLIE
Non?

MARCEL
Oui !

AMÉLIE
Ah ! nom d'un chien !

MARCEL
Et alors il s'est vengé, le salaud ! mon meilleur ami ! Il nous a mariés ! mariés pour de bon !

AMÉLIE(n'en pouvant croire ses oreilles. )
Tous… tous les deux !

MARCEL
Oui, tous les deux ! la cérémonie était vraie ! le maire était vrai ! Tout était vrai ! Je suis ton mari et tu es ma femme !

AMÉLIE(la gorge serrée, comme si elle apprenait une catastrophe. )
Est-il possible ! Mais alors !… Alors je suis madame Courbois?

MARCEL
Mais oui !

AMÉLIE(changeant brusquement de ton. )
Ah ! mon chéri ! mon chéri ! que c'est gentil !
(Elle saute au cou de Marcel et l'embrasse.)

MARCEL(abruti. )
Qu'est-ce que tu dis !

LE PRINCE(très gentleman. )
Ah ! monsieur, tous mes compliments et mes vœux de bonheur !

MARCEL
Hein ?

AMÉLIE(qui est n° 2, un peu au-dessus de Marcel, présentant ce dernier au prince. )
Mon mari. (Regardant Marcel tendrement et se répétant à elle-même ce mot qui la ravit.)
Mon mari ! (Présentant le prince.)
Son Altesse, le prince royal de Palestrie.

MARCEL(les yeux hors des orbites. )
Quoi ?

LE PRINCE(fait trois pas pour aller à lui, lui donne un cordial shake-hand, puis. )
Enchanté, monsieur !
(Il remonte un peu.)

MARCEL(le regarde remonter, littéralement abruti, puis affirmatif, au public. )
Je deviens fou, moi !

AMÉLIE(allant à Marcel. )
Oh ! tu verras ! tu verras quelle petite femme rangée, fidèle, popote, tu auras.

LE PRINCE(qui est au-dessus de Marcel, lui donnant une tape sur le gras du bras. )
Popote !

MARCEL
Comment, "quelle petite…" !

AMÉLIE(subitement pudique. )
Ah ! mais que vois-je ! Je suis là à demi-nue… Oh ! vraiment !…
(Elle remonte jusqu'à la ruelle du lit prendre une matinée pour s'en revêtir.)

LE PRINCE(à Marcel, tout en se dirigeant vers Amélie. )
Vraiment ! Oh ! excusez-là, monsieur Amélie !

MARCEL
Comment m'appelle-t-il?

LE PRINCE(à Amélie. )
Voulez-vous me permettre de vous aider à passer votre kimono?

AMÉLIE(passant sa matinée avec l'aide du prince. )
Volontiers, monseigneur… Merci ! (Descendant n° 2.)
Et maintenant, monseigneur, vous ne pouvez rester davantage !

LE PRINCE(ahuri. )
Quoi?

AMÉLIE
Je suis désolée, mais ma nouvelle situation !…

LE PRINCE(n'en croyant pas ses oreilles. )
Hein? Comment, mais !… mais je viens pour !…
(D'un geste de la tête, il indique le lit.)

AMÉLIE(faisant un pas en arrière dans la direction de son mari et pour rappeler le prince aux convenances. )
Monseigneur !

LE PRINCE
Ah ! mais, c'est très désagréable ! Ca ne me regarde pas si !… il était convenu que !…

AMÉLIE(nouveau recul, très digne. )
Je vous en prie ! (Posant sa main sur l'épaule de Marcel.)
Mon mari !

MARCEL( baba. )
Ah !

LE PRINCE(reste un instant interloqué, puis écartant les bras en s'inclinant. )
C'est juste !… Je vous fais mes excuses !… Il est évident que !… Croyez, monsieur, que, si je suis ici, ce n'est pas pour… pour… Oui !… (A froid, il passe entre Amélie et Marcel, remonte jusqu'au meuble fond gauche sur lequel est son chapeau melon et ses gants, les prend ainsi que sa canne, met son chapeau sous son bras, sa canne, sous l'autre, enfile rapidement ses gants, puis, prenant son chapeau à la main, s'avance jusqu'à Amélie devant laquelle il s'incline.)
Madame, je vous présente mes profonds respects !

AMÉLIE(faisant la révérence. Monseigneur !)
Le prince, oubliant qu'il est en caleçon, met son chapeau sur la tête et, la canne à la main, il se dirige vers la porte de sortie.

MARCEL( qui est resté comme hypnotisé par la scène à la quelle il vient d'assister, barrant brusquement le chemin au prince. )
Mais non ! mais non ! (Passant n° 2, tandis que le prince s'arrête.)
Non, mais est-ce que vous vous payez ma tête? Est-ce que vous supposez que les choses vont en rester là ? Et que je vais accepter ce mariage?

AMÉLIE
Comment ! mais puisqu'il est fait !

MARCEL
Mais ça m'est égal ! On le défera ! Je veux le divorce !
(Le prince est allé déposer sa canne et ses gants, mais garde son chapeau qu'il conserve sur la tête jusqu'à la fin de la pièce.)

AMÉLIE
Le… le divorce?

MARCEL
Absolument !

AMÉLIE(bien lentement, bien froidement, mais bien déterminée. )
Oh ! non !… Oh ! non-non-non-non-non !… Je suis contre le divorce !… Et papa aussi !

MARCEL
C'est ça qui m'est égal ! J'ai été fourré dedans, le mariage est nul.

AMÉLIE
T'as vu ça?

MARCEL
La loi est formelle ! Il n'y a pas d'union valable, si l'on n'est pas consentant.

AMÉLIE(avec une logique implacable. )
Eh bien? … Tu es consentant, puisque tu as répondu oui.

MARCEL
C'est parce qu'on a abusé de ma crédulité !

AMÉLIE
C'est possible ! Mais tu as répondu oui tout de même et, ça y est, ça y est !

MARCEL(hors de lui. )
C'est trop fort !

LE PRINCE(auquel Marcel tourne le dos, tout occupé qu'il est par sa discussion avec Amélie. Lui frappant légèrement sur l'épaule. )
Ecoutez ! Je crois, mon pauvre logeur…

MARCEL(se retournant vers le prince. )
Ah ! et puis, vous, le prince, hein? foutez-moi la paix ! (Il remonte légèrement. )

LE PRINCE(avec un sursaut de dignité froissée. )
Hein? Je suis le prince de Palestrie !

MARCEL
Oui? Eh bien ! justement ! c'est pas ici ! (Redescendant.)
Non ! Non ! Vous me voyez, moi, l'époux d'Amélie d'Avranches !

AMÉLIE(se montant. )
Ah ! mais dis donc, c'est parce que tu es mon mari que…

MARCEL(sans l'écouter. )
Une femme dont tout Paris connaît les amants !

AMÉLIE
Ah ! mais !…

MARCEL
Une femme que je trouve le jour même de ses noces en tête à tête avec le prince de Palestrie !

LE PRINCE
En… en tout bien, tout honneur !

MARCEL(sachant ce qu'en vaut l'aune. )
Oui-oui ! Oui-oui ! Et c'est cette femme-là à qui je donnerais mon nom !

AMÉLIE(venant, dos au public, se camper sous le nez de Marcel. )
Ah ! et puis en voilà assez ! ou prends garde, ça ne se passera pas comme ça !
(Elle passe n° 2.)

MARCEL
Ah? Non, ça ne se passera pas comme ça !

AMÉLIE(qui est un peu au-dessus du prince, lui posant sa main droite sur l'épaule gauche. )
Le prince est là, tu sais !

LE PRINCE(qui ne se soucie pas d'avoir une affaire dans un pareil moment. )
Moi?

MARCEL
Ah ! le prince est là? Eh ben ! justement ! Je vais te le faire voir tout de suite, que ça ne se passera pas comme ça !… Je ne trouverai peut-être plus jamais une si belle occasion !…
(En parlant, il remonte à la fenêtre qu'il ouvre d'un geste rapide.)

LE PRINCE(se précipitant vers lui suivi par Amélie. )
Quoi? Quoi?

AMÉLIE
Qu'est-ce que tu fais?

LE PRINCE(le saisissant à bras le corps. )
Malheureux !

MARCEL(cherchant à se dégager. )
Ah ! laissez-moi, vous !…

LE PRINCE(le tenant toujours. )
Vous voulez vous jeter par la fenêtre?

MARCEL(même jeu. )
Eh ! non ! pas moi !

LE PRINCE(reculant instinctivement. )
Hein ?

AMÉLIE
Qui ?

LE PRINCE
Nous ?

MARCEL(dégagé de l'étreinte du prince. )
Non, ça !
(En parlant, il a raflé sur le canapé les vêtements du prince et les flanque par la fenêtre.)

LE PRINCE ET AMÉLIE
Ah !
(Marcel, aussitôt, s'élance vers la porte de sortie, pendant que, par un mouvement en sens inverse, le prince se précipite à la fenêtre par où ses vêtements ont disparu.)

LE PRINCE(penché à la fenêtre. )
Mes vêtements ! Il a jeté mes vêtements par la fenêtre !

AMÉLIE(courant après Marcel. )
Marcel ! Marcel !

LE PRINCE(courant à la porte de gauche. )
Logeur ! eh ! logeur !
(Quand tous deux arrivent à la porte, ils la trouvent fermée au verrou extérieurement.)

AMÉLIE(avec un geste de dépit. )
Il nous a enfermés !
(Elle gagne la droite.)

LE PRINCE(descendant avant-scène gauche. )
Oser enfermer le prince de Palestrie !

AMÉLIE
Oh ! l'animal !

LE PRINCE(se précipitant vers le cabinet de toilette. )
Ah ! par là !

AMÉLIE
Mais non ! c'est mon cabinet de toilette, il n'y a pas d'issue.

LE PRINCE
Oh !… Un pareil lèse-majesté ! En Palestrie, il serait fouetté en place publique et envoyé aux galères.

AMÉLIE
Ah ! oui, mais en France !… sous Fallière !
(Tout en parlant, elle s'est dirigée vers la fenêtre.)

LE PRINCE
Mais, par notre père ! je ne puis rester ici, séquestré et sans vêtements.

AMÉLIE(brusquement, apercevant Marcel par la fenêtre.)
Oh ! lui ! (Appelant.)
Marcel !… Marcel !

LE PRINCE(courant jusqu'à la ruelle du lit dans la direction de la fenêtre. )
Quoi? Vous le voyez?

AMÉLIE
Il entre en face, au commissariat de police.

LE PRINCE
Chez le commissaire?

AMÉLIE
Qu'est-ce qu'il manigance?

LE PRINCE(redescendant gauche. )
Eh bien ! tant mieux. Qu'il l'amène, le commissaire ! je le ferai arrêter ! Se permettre d'enfermer le prince royal de Palestrie !

AMÉLIE(descendant devant le pied du lit. )
Ah ! mais prenez garde, monseigneur ! Songez que maintenant il est le mari.

LE PRINCE
Mais quoi, alors? C'est un guet-apens !
(Il prononce "gué-à-pens".)

AMÉLIE
Il veut faire constater le flagrant délit, parbleu !

LE PRINCE
Mais c'est terrible ! Cela va faire un scandale ! et dans ma situation !… vis-à-vis de mon gouvernement !…

AMÉLIE(se rapprochant du prince. )
Mais non ! mais non ! Il se blouse ! Pour faire constater un flagrant délit, il faut d'abord une requête au président du tribunal; sans ordonnance, le commissaire se refusera à instrumenter. LE

LE PRINCE
N'importe ! je ne veux pas rester prisonnier plus longtemps. Rien que pour ma dignité !… (Ton brutal.)
Alors, quoi? Il n'y a pas d'issue?

AMÉLIE(geste évasif, puis. )
Il n'y a que la fenêtre.

LE PRINCE(fait une moue, puis. )
Merci ! un deuxième étage !

AMÉLIE
Oh !… premier au-dessus de l'entresol.

LE PRINCE(même jeu. )
A sauter, ça revient au même… et avec le pavé !…

AMÉLIE(comme atténuatif. )
C'est du macadam.

LE PRINCE(tourne les yeux de son côté, puis: )
Est-ce beaucoup préférable?

AMÉLIE(fait une moue, puis: )
Ca dépend des goûts.

LE PRINCE(brusquement, saisi d'une inspiration. )
Savez-vous ! Vous devriez vous mettre à la fenêtre et faire des signes aux gens qui passent.

AMÉLIE(se dérobant, avec une révérence. )
Merci !… Merci bien ! pour m'amener des histoires avec la préfecture !… Non, merci !

LE PRINCE(à bout de ressources. )
Mais alors, quoi?

AMÉLIE(levant les bras. )
Ah ! "quoi, quoi"? Il n'y a qu'à se résigner.
(Elle s'assied sur le petit canapé du pied du lit.)

LE PRINCE(désemparé. )
Oh !
(A ce moment, on entend un bruit de voix se rapprochant peu à peu de la porte de gauche.)

AMÉLIE(se dressant brusquement. )
Ecoutez !

LE PRINCE(l'oreille aux aguets. )
Qu'est-ce que?

AMÉLIE
C'est lui qui revient !

LE PRINCE
Il revient !

AMÉLIE
Et pas seul ! Il y a du monde avec lui.

LE PRINCE(pivotant sur les talons. )
Oh !
(Il se précipite dans le cabinet de toilette, dont il referme la porte sur lui. A peine est-il disparu qu'on entend un tour de clef dans la serrure, la porte s'ouvre et Marcel paraît.)

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