ACTE PREMIER - Scène III
(LES MÊMES , POCHET)
POCHET(s'arrêtant sur le pas de la porte, et d'un ton coupant. )
Eh ! ben, quoi donc?
TOUS
Ah ! Monsieur Pochet !
(Tout le monde se rapproche du centre.)
AMÉLIE
Papa, tu arrives bien !
POCHET(descendant entre Amélie et Etienne. Sèchement. )
Qu'est-ce qui s'est passé? Qu'est-ce que tu as encore fait à Adonis?
AMÉLIE
Moi !
POCHET
Je l'ai trouvé tout en larmes. Il paraît que tu l'as giflé devant tout le monde?
TOUS
Oh !
AMÉLIE
Oh ! bien, celle-là, par exemple !…
(Ensemble)
ETIENNE
Mais c'est lui qui a levé la main sur Amélie !
PALMYRE
Ah ! bien monsieur, si vous aviez été là, vous auriez vu !
VALCREUSE
C'est un petit voyou, on devrait le faire arrêter !
BOAS
C'est une honte ! C'est lui qui a frappé Amélie.
(En parlant tous à la fois, tout le monde s'est rapproché de Pochet.)
POCHET(écartant tout le monde, et sur un ton qui ne souffre pas de réplique. )
Ah ! je vous en prie ! (Tout le monde se tait. Un temps. A Amélie, très catégorique.)
Lui as-tu, oui z'ou non, octroyé une calotte la première?
AMÉLIE
Il sifflait les liqueurs.
POCHET(impératif. )
C'est pas ce que je te parle ! (Un temps.)
L'as-tu calotté la première, oui z'ou non?
AMÉLIE(geste des bras évasif. )
Ah ! évidemment.
POCHET(catégorique. )
Sufficit ! en matière de duel, le règlement est péremptoire: c'est celui qu'il a reçu la première gifle qu'il est l'offensé ! le reste ne compte pas.
ETIENNE
Oh ! permettez !…
POCHET(sur un ton de commandement. )
Ah ! et puis ne répliquons pas ! (Un temps.)
Je suis approximativement, que je me suppose, aussi déversé que vous sur les matières de l'honneur ! ancien brigadier de la paix, ex-prévôt de régiment, vous comprenez que vous n'allez pas m'en remontrer ! Eh ! bien, il a reçu la calotte, et, de plus, on l'a passé à tabac… C'est lui qu'il est l'offensé.
AMÉLIE
Non, mais dis tout de suite que j'ai eu tort.
POCHET
Péremptoirement !
TOUS(indignés. )
Oh !…
POCHET
Sans compter qu'une femme ne bat pas un homme ! c'est antistatutaire !
ETIENNE
Enfin, quoi ! Vous n'attendez pas qu'elle lui fasse des excuses?
POCHET(hautain. )
Et pourquoi pas?
TOUS(dans un même élan vers Pochet. )
Oh ! mais enfin, voyons… !
POCHET(écartant tout le monde à la façon d'un gardien de la paix. )
Ah ! Circulez, mesdames, je vous en prie ! Messieurs, circulez !
TOUS
Oh !
POCHET(à Amélie. )
Il n'y a pas de duel possible, n'est-ce pas? Eh ! bien, quand on a z'eu tort, y a pas d'honte à le reconnaître.
ETIENNE(révolté. )
C'est trop fort !
POCHET(qui, par Amélie, est séparé d'Etienne, se penchant vers ce dernier et sur un ton pincé. )
Monsieur Etienne, je converse à ma fille; veuillez donc avoir la chose de ne pas vous insérer dans nos discussions intestinales. Quand vous avez une scène avec Amélie, j'ai celui de ne pas y mettre mon mot, n'est-ce pas? Eh ! ben, veuillez avoir celui d'en faire autant.
ETIENNE(rongeant son frein. )
Oh !
POCHET(à Amélie, avec bonhomie. )
Allons, Amélie ! laisse-toi aller ! dis-z'y un mot?
YVONNE(qui est à côté de Pochet, intervenant. )
Moi, si j'étais toi… !
POCHET(se retournant vivement vers elle et sur un ton coupant. )
Ah ! je vous en prie, madame !
YVONNE(interloquée. )
Mais non, j'dis comme vous !
POCHET
Ah?… Ah ! Bon ! Allez-y, alors !
(Tout en parlant, il fait passer Amélie et remonte légèrement.)
YVONNE
Va, dis-z'y un mot !
POCHET(redescendant. )
Là, écoute-la !
AMÉLIE
Ah ! non, non, tout de même !…
ETIENNE( n'y tenant plus. )
Ah ! tu ne vas pas faire ça !
POCHET(se retournant vers Etienne. )
Enfin, monsieur… !
ETIENNE( descendant extrême gauche. )
Mais, sacristi ! j'ai le droit de donner mon avis !… Je suis quelqu'un ici !… c'est moi qui paie !
POCHET
Eh ! bien, ça suffit ! Contentez-vous de ça.
ETIENNE( écumant. )
C'est trop fort ! (A Bibichon qui, indifférent à la scène, fait toujours sa patience.)
Enfin, voyons?
BIBICHON(avec un geste d'insouciance. )
Oh ! moi, tu sais… j'suis d'la classe !
ETIENNE
Oh ! naturellement !
(Il remonte par l'extrême gauche, pour s'arrêter au fond.)
POCHET(à Amélie. )
Alors? C'est compris?
AMÉLIE
Allons, soit, papa ! puisque tu me le demandes.
ETIENNE(exaspéré. )
Ah ! non, non !… j'aime mieux m'en aller.
(Il sort par la baie.)
POCHET(CEPENDANT QU'IL S'EN VA .)
Eh ! bien, allez-vous-en ! (Gagnant la gauche tout en maugréant.)
Ce manque de tactique ! (A Amélie.)
. Je t'envoie Adonis, hein?… pas d'excuses, naturellement… non !… simplement…, dis-z'y un mot.
AMÉLIE
Oui.
POCHET(qui est remonté en parlant, arrivé sur le pas de la porte, se retournant au moment de sortir et de loin à Amélie. )
Dis-z'y un mot.
(Il sort. A peine a-t-il refermé le battant de la porte sur lui que Boas, Palmyre et Valcreuse, qui n'ont pas dit un mot jusque-là, se précipitent vers Amélie, parlant tous à la fois. Ensemble)
PALMYRE
Ah ! ben, tu as de la bonté de reste !
BOAS
Ah ! bien, c'est pas moi qui ferais ça !
VALCREUSE
Ah ! ben, tu es vraiment bonne fille !
PALMYRE
Ah ! oui, alors !
AMÉLIE(tout en se dirigeant vers la baie de droite. )
Oh ! ben, qu'est-ce que vous voulez ! c'est papa !
YVONNE
Elle a parfaitement raison !…
BIBICHON(qui s'est levé. )
Au fond, tout ça n'a aucune espèce d'importance.
AMÉLIE
Un instant ! Je vous demande un instant.(Tout le monde sort. Un temps. Amélie est près du piano sur lequel elle met machinalement un peu d'ordre. On frappe à la porte du vestibule.)
Entrez !