ACTE PREMIER - Scène VIII



(LES MÊMES , POCHET , PUIS ADONIS)

POCHET(paraissant à la baie et entrant franchement en scène. )
Voilà !… la bande est expédiée… (S'arrêtant interdit à la vue d'Irène.)
Oh ! pardon !
(Il fait mine de se retirer.)

AMÉLIE
Va, reste ! (Présentant de sa place.)
Papa.

POCHET(entre piano et baie, s'inclinant, l'air décontenancé. )
Madame !…

IRÈNE(de sa place, lorgnant Pochet avec son face-à-main. )
Ah ! parfaitement ! Je remets très bien.

AMÉLIE
Tu ne reconnais pas madame? (Geste vague de Pochet.)
Madame de Prémilly !

POCHET(changeant complètement de ton et les deux mains croisées derrière le dos sous les pans de sa redingote, gagnant, avec force petits saluts, vers Irène. )
Oh ! par exemple ! Mais je crois bien !

IRÈNE
Vous veniez souvent chez moi voir votre fille… Vous rappelez-vous? Vous étiez alors gardien de la paix.

POCHET
Oui, euh… enfin, brigadier !… Si je me rappelle ! Ah ! ben, je crois bien ! Ah ! ben !… Ah ! ben !… Et… ça va bien?
(Il tend la main à Irène.)

IRÈNE(qui évite de voir ce jeu de scène, en affectant d'être plongée dans l'examen de son face-à-main. )
Merci ! très bien.

POCHET(voyant qu'Irène ne lui donne pas la main, reste un instant coi, regarde sa main comme ne sachant qu'en faire, jette un coup d'oeil du côté d'Amélie et Etienne, puis, remettant sa main dans sa poche, tout ce qu'il y a de plus aimable. )
Eh bien, j'espère que madame a vieilli ! A la bonne heure !

IRÈNE(ahurie. )
Hein?

AMÉLIE(vivement, à Pochet. )
Papa !

ETIENNE
Eh bien, vous en avez de bonnes !

POCHET(passant successivement dos au public devant Amélie et Etienne, tout en donnant ses explications, cela de façon à arriver successivement puis. )
Hein?… Ah ! non ! non ! Madame comprend comme je l'entends ! Je ne veux pas dire pour ça que madame est devenue vieille. Ah ! bien ! qu'est-ce que je dirais, alors, moi ! (arrivé n° 4)
Seulement, en ce temps-là, madame avait l'air d'une gosse, positivement ! On avait envie de la prendre sur les genoux ! Maintenant, madame est une femme.

AMÉLIE
Oh ! bon, tu fais bien de t'expliquer !

ETIENNE
Oui.
(Il remonte au-dessus du canapé.)

IRÈNE
Oh ! il n'y a pas de mal, allez !… Il faut bien s'attendre à vieillir comme les autres; et je n'y mets pas de coquetterie. (A Amélie.)
Mais si je me souviens, vous aviez un petit frère?

AMÉLIE
Je l'ai toujours.

POCHET(s'asseyant sur le canapé. )
Nous l'avons toujours.

IRÈNE
Il doit être grand, maintenant ! Qu'est-ce que vous en avez fait?

AMÉLIE
Je l'ai chez moi.

IRÈNE
Est-ce qu'il est resté aussi joli? Il était ravissant comme enfant.

AMÉLIE
Eh ! pas mal.

POCHET
C'est moi… en mignon !

AMÉLIE(esquissant le mouvement d'aller vers la sonnette. )
Si madame veut le voir…?

IRÈNE
Avec plaisir.

AMÉLIE(allant sonner à droite du piano. )
Ce n'est pas difficile. (Redescendant.)
Nous verrons s'il reconnaîtra madame.

ADONIS(arrivant par la baie. )
Madame a sonné?

AMÉLIE
Oui, viens ! (Adonis descend à gauche du canapé.)
et dis bonjour à madame !

ADONIS(par obéissance et bien benêt. )
Bonjour, madame !

IRÈNE(toujours contre la table à jeu, lorgnant Adonis. )
Hein ! Quoi? C'est lui? Mais… c'est lui qui m'a ouvert tout à l'heure !

AMÉLIE(bonne fille. )
Ah ! bien, oui, au fait ! (A Adonis.)
Tu ne reconnais pas madame !

ADONIS
(avec un sourire bêta. )

AMÉLIE(insistant. )
C'est madame ! Madame chez qui tu allais quelquefois quand tu étais petit.
(Adonis avance le menton pour indiquer qu'il ne se souvient pas.)

IRÈNE
Vous ne vous rappelez pas? La dame qui vous a donné une montre en argent !…

ADONIS(très gamin, en se donnant une joyeuse tape sur la cuisse. )
Ah ! oui ! Même que je l'ai échangée avec un camarade de la mutuelle… contre une seringue.

AMÉLIE
En voilà une idée !

ETIENNE
Pourquoi une seringue?

ADONIS
Tiens ! Parce que, avec une seringue, je pouvais seringuer les gens, tandis qu'avec une montre… !

AMÉLIE
Mais c'est idiot !

ADONIS(descendant jusque devant le canapé. )
Oh ! je l'ai regrettée depuis ! parce que, pour savoir l'heure, une seringue… !

IRÈNE
Alors, vous me reconnaissez?

ADONIS(avec un rire bêta. )
Pas du tout.

AMÉLIE(en manière d'explication. )
Eh ! ben, c'est madame.

ADONIS(qui n'est pas plus avancé qu'auparavant. Avec son même rire bête. )
Ah !
(L'oeil toujours fixé sur Irène, il se laisse tomber de son haut sur le canapé, à côté de Pochet.)

AMÉLIE
Madame le trouve changé?

IRÈNE
Dame ! C'est aujourd'hui un homme et j'avais laissé un enfant.
(Elle le lorgne avec son face à main.)

ADONIS(étalé sur le canapé à côté de son père, en se faisant un écran de sa main gauche contre sa bouche et à mi-voix. )
Comment que s'appelle?

POCHET
(bas. )
Madame de Prémilly !

ADONIS(même jeu. )
Ah ! oui ! Celle qui a fichu Amélie à la porte à cause des bigoudis !

POCHET(lui repoussant affectueusement la tête du plat de la main. )
Chut ! voyons !

IRÈNE(tandis qu'Adonis la regarde en riant sous cape et en sautillant sur son derrière, les deux mains serrées entre ses genoux, les jarrets tendus. )
Qu'est-ce qu'il dit comme ça tout bas?

POCHET
Il est en train de remettre madame.

IRÈNE
A la bonne heure !

ETIENNE(au-dessus d'eux, derrière le canapé. ) ( A part, montrant Adonis et Pochet. )
C'est gentil, ce petit tableau de famille !
(On sonne.)

ADONIS(se levant d'un bond et courant en sautillant comme un gamin vers la porte du fond. )
Ah ! on a sonné.

AMÉLIE
Où vas-tu?

ADONIS(sans s'arrêter. )
Eh bien ! je vais ouvrir, donc !

AMÉLIE
Ah ! bon, va ! (Remontant vivement et à Adonis déjà sorti.)
Eh ! Dans le petit salon ! Fais entrer dans le petit salon !
(Cri lointain d'Adonis à la cantonade: "Oui !")

IRÈNE(remontant par un mouvement arrondi de façon à prendre le n° 2. )
Eh bien ! moi, ma bonne Amélie, je vous laisse.

AMÉLIE(désappointée. )
Madame s'en va?

IRÈNE
Bien, oui… Vous avez du monde, n'est-ce pas…?
(Amélie est à gauche de la porte du fond, Irène à droite; Etienne et Pochet ont accompagné la fausse sortie d'Irène.)

ADONIS(entrant vivement et se collant contre la chambranle gauche de la porte du fond. )
C'est M. Courbois !

IRÈNE(sursautant, affolée. )
Marcel !…

MARCEL(qui a surgi à peine l'annonce d'Adonis achevée. )
Bonjour, les enfants ! (Se trouvant nez à nez avec Irène.)
Ah !
(Sortie d'Adonis.)

IRÈNE(qui a reculé jusqu'à l'extrémité du clavier du piano. )
Mon ami, je…

MARCEL(ne revenant pas de sa surprise. )
Hein ! toi !… Vous !… Vous ici ! (Bien bêtement, sur le même ton, pour donner le change.)
… Madame !

ETIENNE
Oh ! que ce "madame" est donc bien dit !

MARCEL(descendant un peu, ainsi que tous les autres à son exemple. )
Mais qu'est-ce que vous faites là? Votre place n'est pas ici !

AMÉLIE
Ah bien, dis donc !…

MARCEL
Mais absolument !
(Il dépose son chapeau sur le piano.)

IRÈNE
Mon ami, je vous expliquerai…

ETIENNE
Oui, mais d'abord à toi ! à toi de nous expliquer !… Qu'est-ce que c'est que ces histoires de mariage? Tu épouses Amélie, maintenant?…

MARCEL
Hein?

POCHET
Il épouse Amélie? Vous épousez Amélie?

MARCEL
Mais non ! mais non ! Quoi? Comment? Qui est-ce qui vous a dit?

IRÈNE(confuse. )
Pardonnez-moi ! C'est moi, mon ami…

MARCEL( ahuri. )
Comment?

IRÈNE
Par une lettre que j'ai lue…

MARCEL
Vous !

ETIENNE(avec un sérieux où perce l'ironie. )
Oui, par erreur !… par erreur !…

MARCEL(à Irène. )
Comment ! tu f… (Se reprenant.)
Vous fouillez ma correspondance?

ETIENNE(à la blague. )
Oh ! Va donc ! Si c'est pour nous, ne change pas tes habitudes ! Tu peux dire "tu" à Madame !

MARCEL
Et alors !… et alors, tu as douté de moi !

IRÈNE(redescendant un peu. )
Ah ! bien, on douterait à moins.

AMÉLIE
Enfin, pourquoi? Pourquoi ce mariage?

MARCEL
Eh ! "pourquoi" ! Parce que, si vous voulez le savoir, j'ai des emm… bêtements par-dessus la tête, et que ce mariage est pour moi le seul moyen d'en sortir.
(Tout en parlant, il passe devant tous ceux qui sont à sa gauche et gagne le n° 5 jusque devant le canapé.)

IRÈNE
Hein ! Mais alors… tu l'épouses? .

TOUS
Oui?

MARCEL
Mais non ! (Etablissant bien la distinction.)
Je fais semblant de l'épouser.

TOUS
… Semblant?

IRÈNE
Pourquoi?

MARCEL(se laissant tomber sur l'extrême droite du canapé, le coude gauche sur le dossier, la tête dans la main. )
Eh ! parce que j'en ai assez de la mouise où je me débats depuis un an !

IRÈNE(qui ne comprend pas. )
La mouise?

AMÉLIE
Oui, c'est-à-dire la purée.

IRÈNE(même jeu. )
La purée?

ETIENNE
La débine.

IRÈNE(même jeu. )
La débine?

POCHET(très gentiment. )
La crotte.

IRÈNE(répétant machinalement. )
La cr… Oh !

MARCEL(sans se lever, se retournant vers Irène. )
Je n'ai plus le sou, quoi ! Je n'ai plus le sou, voilà !…

IRÈNE(s'asseyant vivement près de lui et lui mettant affectueusement les mains sur les épaules. )
Oh ! mon pauvre chéri ! c'est vrai?… Oh ! si je pouvais !…

MARCEL(avec dignité, se levant d'un trait. )
Tais-toi !… Tu pourrais que moi je ne pourrais pas !

AMÉLIE
Oh ! le préjugé !…

IRÈNE(qui s'est levée presque en même temps que Marcel; à Amélie. )
N'est-ce pas?
(En ce disant, elle descend n° 5.)

MARCEL(gagnant jusqu'à l'extrême-gauche du canapé. )
Alors, ma foi, je me suis dit: "A la fin, c'est trop bête ! Quand on a à soi douze cent mille francs !…"

ETIENNE
Mais c'est vrai, au fait: tu as douze cent mille francs !…

IRÈNE(se rapprochant vivement de Marcel. )
Tu as douze cent mille francs?

AMÉLIE
Douze cent mille francs !

POCHET(se précipitant comme attiré par un aimant vers Marcel. )
Vous avez douze cent mille francs !

MARCEL(le plus simplement du monde. )
J'ai douze cent mille francs.

POCHET(lui collant une main sur l'estomac, l'autre dans le dos, pour le faire asseoir sur le canapé. )
Oh ! mais asseyez-vous donc !

ETIENNE(vivement et ironiquement. )
Pas la peine ! il ne peut pas y toucher.

POCHET(du même mouvement, relevant Marcel au moment où celui-ci est près d'être assis. )
Ah?… alors !…
(Etienne remonte près du piano et s'assoit pendant ce qui suit, à califourchon, sur la chaise remontée précédemment par Amélie.)

MARCEL(répondant à la remarque d'Etienne. )
Mais oui ! c'est ce qui m'enrage ! C'est encore une de ces idées à mon pauvre père ! Ah ! je l'aimais bien ! Mais ce qu'il pouvait voir de travers ! Ne s'imaginait-il pas qu'un jeune homme ne pouvait être à même de diriger sa fortune, sans se la faire manger par des cocottes !

AMÉLIE
Oh ! que c'est coco !

POCHET(remontant légèrement avec un geste de tête dans la direction de la porte du fond, par laquelle Adonis a fait sa dernière sortie. )
Mon pauvre Adonis ! Ah ! ça n'est pas moi qui… !

AMÉLIE(sur le ton moqueur. )
Non ! ça… ! et pour cause !
(Elle gagne légèrement vers Marcel.)

MARCEL
Alors, conséquence: il m'a laissé juste de quoi ne pas crever de faim: si, mille livres de rentes ! la purée, quoi !

AMÉLIE
Et comment !

POCHET(redescendant n° 1. )
Eh ! mais… ! je n'avais pas ça à la préfecture !

MARCEL
Et quant aux douze cent mille balles, il les avait remis en fidéicommis…

POCHET AMÉLIE IRÈNE
En quoi?

MARCEL(répétant. )
En fidéicommis.

ETIENNE(se levant et descendant entre Amélie et Marcel. )
… Oui, ça veut dire: "remis à la bonne foi." C'est un capital que l'on confie de la main à la main à un tiers, avec mission de la remettre à une personne à qui il est destiné.

AMÉLIE
Ah ! oui ! C'est comme qui dirait Bibichon, quand je lui remets un louis pour qu'il me prenne un cheval au book ou au pari mutuel.

ETIENNE(blagueur. )
Tu y es ! Ca n'a aucun rapport, mais c'est tout à fait ça.

MARCEL
… En fidéicommis à mon parrain, à charge par lui de me les verser le jour où je me marierais.

IRÈNE
Ah ! mais alors, je comprends ! Ce mariage… !

MARCEL
L'expédient du désespoir; ça réussira ou ça ne réussira pas; je risque le paquet.

ETIENNE(moitié figue, moitié raisin. )
C'est ça ! et tu as annoncé à ton parrain que tu épousais Amélie !

MARCEL
Comme tu dis.

ETIENNE(avec un rire un peu jaune, remontant. )
Elle est bonne ! Elle est bien bonne !

MARCEL
Mademoiselle Amélie d'Avranches, jeune fille d'une excellente famille !

AMÉLIE(avec une dignité comique. )
Eh bien ! mais… !

POCHET(avec la même dignité. )
Ancien brigadier de la paix !
(Etienne est redescendu.)

MARCEL
Et j'ai joint à l'envoi, la photographie de la jeune personne annoncée à l'intérieur.

AMÉLIE
C'est ça ! Je te ferai encore cadeau de ma photographie.

MARCEL
Ah ! Qu'est-ce que tu veux? Quand on craque (prononcer chaque fois "quan-bon")
, c'est pas comme quand on craque pas. Il faut donner des choses probantes. Je n'avais que toi sous la main; je t'ai envoyée.

AMÉLIE(s'inclinant gentiment. )
T'es bien gentil ! (Avec des balancements de pavane, gagnant l'extrême-gauche n° 1.)
Voilà ! Je me balade en Hollande, moi !

POCHET(suivant sa fille avec la même démarche. )
Comme un fromage !

ETIENNE(redescendant. )
Eh bien, mon vieux, tout ça me paraît bien combiné; ça va tout seul.

MARCEL
Eh bien, non ! justement, ça ne va pas ! Ca ne va pas du tout ! et c'est pour ça que je suis là.

TOUS
Quoi?

MARCEL
Mon parrain n'a pas voulu se contenter de la lettre; il a tenu à s'assurer par lui-même, et il est venu.

TOUS
Non!

MARCEL
Il a débarqué chez moi, il y a une heure, et il m'a dit: "C'est moi, filseke !…" Parce qu'il est d'Anvers ! "C'est moi, filseke !…" Il habite la Hollande, mais il est d'Anvers. "C'est moi, filseke ! Que je te faïe la surprise !"

ETIENNE
Oh ! la charmante surprise !

MARCEL
Tu parles ! (Reprenant.)
"Il faut que tu me présentes une fois à la jeune fille, donc !"

AMÉLIE(riant. )
Ah !… Et c'est moi la jeune fille.

ETIENNE(sur le même ton. )
C'est toi la jeune fille.

POCHET(hautain. )
Eh bien ! quoi? Elle n'est pas mariée, que je suppose?

ETIENNE(s'inclinant. )
Non ! Pour ce qui est de ça, non !

MARCEL
Tu penses que je ne me le suis pas fait dire deux fois; j'ai pris mes cliques et mes claques pour vite aller vous prévenir… et me voilà !

AMÉLIE ET ETIENNE
Et alors?

MARCEL
Eh ben ! alors, quoi, mes enfants ! y a pas !… Il ne s'agit plus de blaguer ! Nous jouons le tout pour le tout. Le parrain veut voir la fiancée; il faut que je lui présente la fiancée.

ETIENNE(la trouvant mauvaise. )
Amélie? Ah !… Ah ! non, tu sais, non ! Ah !
(En parlant, il remonte avec des moues d'homme contrarié.)

MARCEL(le suivant dans un mouvement un peu arrondi. )
Oh ! voyons, Etienne !… Etienne, tu ne vas pas !… (Allant à Amélie.)
Amélie, voyons, dis ! tu ne vas pas me laisser en plan, hein?

AMÉLIE
Comment, il va falloir !… Oh !

MARCEL(persuasif. )
Douze cent mille francs ! tu ne me feras pas manquer ça?

IRÈNE(qui s'est rapprochée de Marcel et d'Amélie. )
Amélie, ma fille ! vous ne pouvez pas lui faire manquer ça.

AMÉLIE
Tout de même, voyons !…

POCHET(intervenant en faveur de Marcel. )
Non ! Tu ne peux pas ! tu ne peux pas !

MARCEL(tenant les mains d'Amélie. )
Douze cent mille francs, songe donc ! Tu penses que je te ferai un beau cadeau !

AMÉLIE
Eh ! ton cadeau ! ton cadeau ! Je n'en veux pas, de ton cadeau !

POCHET(vivement. )
Mais si !… Mais si !… (Comme pour corriger ce que ce cri du cœur peut avoir d'intéressé.)
Il ne faut pas dire ça !… c'est désobligeant !

AMÉLIE
Oui, enfin !… Avant tout, il y a toi !… Et puis Madame !… à qui je suis profondément dévouée.

MARCEL(regardant Irène, étonné )
A toi ! Tiens !…

IRÈNE
Oui, c'est un secret entre nous.

MARCEL(à Amélie. )
Allons, ma petite Amélie, hein?

AMÉLIE
Soit, quoi ! Je ferai de mon mieux !

MARCEL
Ah ! merci, Amélie.
(Il lui serre la main et cède la place à Irène en passant au-dessus d'elle.)

IRÈNE(serrant la main d'Amélie. )
Merci, ma bonne Amélie !

MARCEL(qui est allé à Etienne qui est à l'extrême-droite. )
Merci, toi !

ETIENNE(maugréant. )
"Merci, merci !" Bien oui, mais… et le mariage?… Il verra bien qu'il n'y a pas de mariage.

TOUS
Ah ! oui.

MARCEL
Tais-toi ! ç'a été ma première crainte ! Dieu merci ! tout va bien. Il part pour deux mois en Amérique; tu penses si je me suis dépêché de fixer la date de mon prétendu mariage dans le courant de cette période. Alors, il m'a dit "Ecoute, filseke !…" parce qu'il est d'Anvers !"Ecoute, filseke…" Il habite la Hollande…

TOUS (achevant pour lui: )
Mais il est d'Anvers.

MARCEL
Ah ! vous savez?…

TOUS
Oui, oui, nous savons !

MARCEL
"Ecoute, filseke ! je suïé en peine, hein? Je ne saurai pas être là pour la cérémonie ! mais, si ça t'est quifquif, aussitôt marié, je te ferai parvenir le montant de ta fortune." Comment, si ça m'est quifquif ! Tu parles !
(Irène remonte un peu, dégageant Amélie qui remonte aussi légèrement, dégageant à son tour Pochet. Ils sont ainsi tous trois un peu en sifflet.)

ETIENNE
Allons ! Parfait ! tout va comme sur des roulettes.

AMÉLIE(tendant la main. )
Monsieur mon fiancé, voici ma main.

MARCEL(allant avec un zèle comique prendre la main qu'elle lui tend. )
Ah !… mademoiselle !
(Il lui baise la main.)

POCHET(écartant les bras. )
Mon gendre, dans mes bras !

MARCEL(passant devant Amélie et donnant l'accolade à Pochet. )
Beau-père, vous me comblez !

ETIENNE
Et quand doit-il venir, ton parrain?

MARCEL(le bras droit autour des épaules de Pochet. )
Mais je ne sais pas ! aujourd'hui !… tout à l'heure !… tout de suite !… (Sonnerie.)
Le voilà !
(Il lâche Pochet et va vers Etienne, extrême-droite.)

IRÈNE(pivotant sur les talons et gagnant vers la baie. )
Oh ! là, là, je m'esquive, alors, moi !

AMÉLIE(remontant, suivie de Pochet, à la suite d'Irène. )
Alors, cette fois, tout de bon, madame part?

IRÈNE(tout en marchant. )
Mais oui, ma fille ! Je n'ai que faire dans cette entrevue de famille !
(Amélie, Pochet et Irène, sont entre le piano et la baie; Etienne est remonté par la droite, Marcel est devant le canapé.)

MARCEL(à Adonis, qui paraît à la porte du vestibule. )
Eh bien?… C'est mon parrain?

ADONIS(ANNONÇANT .)
Le général Koschnadieff !

TOUS(comme si on leur parlait chinois. )
Quoi?

MARCEL
Ah?… c'est pas lui !
(Il remonte vers le groupe par la gauche du canapé.)

AMÉLIE
Qu'est-ce que c'est que ça, Koschnadieff?

ADONIS
J'sais pas !

ETIENNE
Qu'est-ce qu'il veut?

ADONIS(avec son rire benêt. )
J'sais pas !

AMÉLIE
Eh bien ! va lui demander !

ADONIS(même jeu. )
Oui !
(Il sort.)

IRÈNE(prenant congé. )
Allons, ma bonne Amélie !…

AMÉLIE
Ah ! madame, je ne saurais dire combien j'ai été heureuse !…

IRÈNE
Vous êtes une brave fille.

AMÉLIE
Si jamais Madame a besoin de moi… ou de mon père…

POCHET(au-dessus des deux femmes. )
Oh ! tout dévoué !

IRÈNE
Merci, ma bonne ! Merci, Pochet !

ADONIS
(rentrant. )
Eh bien, voilà: il dit que c'est pour une entrevue diplomatique !

AMÉLIE
Quoi, "diplomatique"?

ETIENNE
Oh ! ben quoi !… Reçois-le ! tu verras bien.

AMÉLIE
Fais-le entrer… Je suis à lui tout de suite.

ETIENNE(à Marcel, qui, près d'Irène, cause avec elle. )
Pendant ce temps-là, je vais me remettre en bourgeois !… Tu viens, Marcel?

MARCEL
Tu parles !… (A Irène.)
Alors, au revoir, ma petite Irène !… tu rentres tout de suite, hein? Au revoir !

IRÈNE
Au revoir, Marcel ! Au revoir, Amélie !

AMÉLIE
Oh ! mais, nous reconduisons Madame.

POCHET
Ah ! bien, comme de juste !

IRÈNE(à Etienne. )
Monsieur !

ETIENNE
Madame, très heureux ! (A Marcel.)
Viens, toi !
(Marcel et Etienne sortent par la droite, premier plan.)

AMÉLIE
Tenez par ici, madame.
(Pochet, Irène, Amélie sortent par la baie: on les verra passer par la suite à travers la glace sans tain.)

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