Acte III - Scène V



(LES MÊMES , IRÈNE)

IRÈNE(dans l'atrium, s'adressant à l'un des photographes qui sort précisément à ce moment de scène. )
C'est bien ici la salle des mariages?

PHOTOGRAPHE
Oui, madame, c'est ici.

LE MAIRE(imposant silence à Marcel et Amélie qui, devant sa table, lui expliquent ce qui s'est passé. )
Enfin, voyons ! y êtes-vous?

MARCEL ET AMÉLIE(regagnant vivement leurs places. )
Voilà, monsieur le maire ! Voilà !

LE MAIRE
Monsieur Marcel Courbois !

MARCEL
J'y suis, monsieur le maire !

AMÉLIE(en reprenant sa place, apercevant Irène, au fond. )
Ah ! madame !

LE MAIRE
Consentez-vous à prendre pour épouse…

AMÉLIE(à Marcel. )
Dis donc ! madame là-bas !

LE MAIRE
Mademoiselle Clémentine.

MARCEL(se tournant du côté indiqué. )
Qui ?… Irène !…

LE MAIRE
Amélie.

AMÉLIE
Oui !

LE MAIRE
Pochet ?

MARCEL(dos au maire, à pleine voix, en joignant les mains de surprise à la vue d'Irène. )
Non ?

TOUS(tandis que Marcel et Amélie envoie des "bonjour" de la tête à Irène. )
Hein !

LE MAIRE(se méprenant sur la réponse de Marcel. )
Comment "non" !

MARCEL(se retournant à l'exclamation du maire. )
Quoi ? Ah ! ça !… mais naturellement, voyons…

LE MAIRE
Quoi "naturellement" ? Vous consentez, oui ou non ?

MARCEL
Mais oui ! (Faisant des petits bonjours à Irène qui les lui rend.)
Bonjour… Bonjour !…

LE MAIRE
Mademoiselle Clémentine-Amélie Pochet !

AMÉLIE(à Marcel, sans entendre qu'on s'adresse à elle. )
C'est gentil à elle d'être venue.
(Elle fait des sourires et des petits saluts de la tête à Irène.)

LE MAIRE(répétant en voyant qu'Amélie ne l'écoute pas. )
Mademoiselle Clémentine !… Clémentine ! Amélie !… Mademoiselle Pochet !

POCHET(à sa fille, la rappelant à la situation. )
Amélie !

AMÉLIE
Voilà ! voilà !

LE MAIRE(à Mouilletu. )
Mais qu'est-ce que c'est que ces gens-là ?

POCHET
Fais donc attention à ce que tu fais !

AMÉLIE
Oui, oui. (A mi-voix à Pochet.)
C'est parce qu'il y a madame au fond, madame de Premilly !

POCHET
Madame ? Non? Madame est là?… Ah ! tiens, oui ! (Avec force courbettes adressées à Irène mais entre chair et cuir.)
Ah ! Madame !… Bonjour, madame !
(Pochet, Amélie et Marcel ne sont occupés que d'Irène.)

LE MAIRE
Enfin, mademoiselle Pochet, est-ce pour aujourd'hui?

AMÉLIE
Voilà, voilà, monsieur le maire !… (Indiquant de la tête Irène qui est allée s'asseoir en tête, côté public, de la dernière banquette.)
C'est parce qu'il y a madame…

LE MAIRE(lui coupant la parole. )
Oui, bon ! (Changement de ton.)
Mademoiselle Clémentine-Amélie Pochet… consentez-vous à prendre, pour époux, M. Marcel Courbois?

AMÉLIE
Mais ça va de soi !

LE MAIRE
En voilà une réponse !

AMÉLIE
Pardon !… Oui ! monsieur le maire ! Oui.

LE MAIRE
Au nom de la loi !… Je déclare M. Joseph-Marcel Courbois et mademoiselle Clémentine-Amélie Pochet, unis par le mariage.

LE GÉNÉRAL(à pleine voix. )
Bravo !

TOUTE LA BANDE(entraînée par le bravo du général. )
Bravo !

LE MAIRE(frappant sur la table et avec énergie. )
Messieurs ! Messieurs ! nous ne sommes pas ici au spectacle !

ETIENNE(se levant et à part, avec une joie mal contenue. )
Ouf, ça y est !

MARCEL
Qu'est-ce que tu dis?

ETIENNE(affectant l'indifférence. )
Hein ? Rien; je dis: "Ça y est !"

MARCEL
Ah ! oui, ça y est ! (A Amélie.)
Ça y est ! (A Amélie.)
Ça y est ! (A Irène de loin, à voix basse mais poussée - en agitant en l'air son chapeau comme un tambour de basque.)
Ça y est !
(Irène fait en souriant signe que oui.)

MOUILLETU
Si vous voulez venir signer l'acte, monsieur et madame les mariés? Messieurs les parents?… Messieurs les témoins?
(Tout le premier rang se lève et va signer à la table de Cornette, sauf Pochet et Amélie qui vont à la table de Mouilletu. Adonis va s'asseoir à la place de Van Putzeboum et la petite grimpe sur les genoux de Palmyre assise sur la première chaise du second rang.)

LE MAIRE(indiquant l'endroit où, sur le registre, doit signer Amélie. )
Si vous voulez signer là… (Avec intention.)
mademoiselle ! (Après qu'Amélie a signé.)
Merci… madame ! (Pendant qu'Amélie remonte pour signer sur l'autre registre, et se croise avec Marcel qui vient de signer au fond, Pochet signe sur le registre de Mouilletu, et, cédant la plume à Marcel, remonte à son tour. Le maire, se penchant vers Marcel pendant que celui-ci signe.)
Ils ne sont guère raisonnables, monsieur le marié, vos amis.

MARCEL(tout en signant. )
Excusez-les ! Ils ne savent pas garder comme vous leur sérieux.

LE MAIRE
Comment?

MARCEL(tout en reculant vers son fauteuil. )
Admirable, monsieur Toto ! Admirable !
(A ce moment, Van Putzeboum, venant de signer au fond, passe entre lui et la table du maire pour aller à la table de Mouilletu.)

LE MAIRE
Quoi ! quoi, Toto?

MARCEL(un doigt sur la bouche. )
Chut ! (Indiquant Van Putzeboum en train de signer, et à voix basse.)
Le parrain ! le parrain, là ! Chut !

LE MAIRE(à haute voix. )
Je ne comprends pas ce que vous dites.

MARCEL(sur les charbons. )
Oui, bon, ça va bien !

LE MAIRE(insistant bien. )
Quoi? "le parrain ! le parrain !"

VAN PUTZEBOUM(dont l'attention est attirée par cette apostrophe. )
Comment ?

MARCEL(attrapant de la main gauche Putzeboum par le bras et l'envoyant à sa droite. )
Mais rien ! mais rien du tout !

LE MAIRE( à part. )
C'est des mariés de Charenton, positivement !

MARCEL(à Etienne, qui revient de signer. )
Quelle rosse, ton Toto Béjard ! il s'amuse à me faire marcher.

ETIENNE(sans se déconcerter. )
Je te l'ai dit : c'est un blagueur à froid.

MOUILLETU(après les signatures, aux mariés. )
Messieurs les mariés, si vous voulez avancer pour recevoir les compliments de M. le Maire.
(Tout le monde a repris sa place. Adonis et la petite se précipitent à leur place; Marcel et Amélie, seuls debout, s'avancent devant la table du maire.)

LE MAIRE
Monsieur et madame Courbois !…

MARCEL(se penchant vers le maire et vivement à mi-voix. )
Pas de blagues, hein?

LE MAIRE(interloqué et à haute voix. )
Quoi ?

MARCEL
Non, non, rien ? Ça va bien !

LE MAIRE(le considère un instant, lève les yeux au ciel en poussant un soupir, puis reprenant. )
Monsieur et madame Courbois ! Bien que peut-être je n'aie pu trouver chez vous… (Appuyant sur les mots.)
et vos amis… ( Murmures dans l'Assistance. )
Quoi?

LE MAIRE(encore plus appuyé. )
… la gravité que j'étais en droit d'attendre au cours de cette cérémonie… (Murmures dans l'Assistance.)
Oh !

LE MAIRE
… cela ne m'empêche pas de me conformer aux usages. Et, vous épargnant tout long discours, je
viens vous prier, monsieur et madame Courbois…

LE GÉNÉRAL
Bravo!

LE MAIRE(jette un regard sévère vers le Général, puis. )
… d'agréer simplement les vœux sincères que le maire forme pour votre bonheur.

TOUS
Bravo !

AMÉLIE
Je vous remercie bien, monsieur le maire.

MARCEL
Moi de même ! croyez bien que… (Se penchant et à mi-voix.)
Non mais… tout à l'heure, je vous disais: "C'est le parrain !" parce que c'est à lui qu'on fait la blague.

LE MAIRE(opinant du bonnet sans comprendre. )
Oui, oui ! (Après un temps.)
Quelle blague?

MARCEL(lui envoyant un coup de chapeau dans l'estomac. )
Ah ! farceur, va !

LE MAIRE(estomaqué. )
Hein !

MARCEL
En tout cas, très bien joué ! Admirable cabotin !
(Il regagne sa place en riant.)

LE MAIRE
Quoi !

AMÉLIE(grimpant à moitié sur l'estrade. )
C'est comme la loupe, là !… Ah ! c'qu'elle est rigolo !
(Sur ces derniers mots, entre ses doigts qu'elle crispe, d'un geste rapide, elle fait mine de saisir la loupe du maire et vivement va rejoindre sa place.)

LE MAIRE(furieux. )
Ah ! mais dites donc, madame ! (A part, exaspéré.)
Ah ! mais ils m'embêtent, les mariés ! (Avec humeur, à l'assistance.)
Messieurs, mesdames, bonsoir !
(Suivi de Cornette, il regagne son cabinet, légèrement conspué par l'assistance, en mal de joie.)

MOUILLETU(sortant de sa place et gagnant un peu vers les mariés. )
Messieurs, mesdames, la cérémonie est terminée; si vous voulez vous ranger là, pour le défilé des invités.
(Tout le monde se lève; l'orchestre attaque la marche nuptiale de Mendelssohn.)

MARCEL
Viens, Amélie ! prends garde à la traîne !

AMÉLIE
C'est à papa qu'il faut dire ça. (A Pochet.)
Papa, ne me marche pas dessus !

POCHET
A pas peur ! je prends mes distances.
(Marcel se place devant la première chaise du second rang. Amélie prend le n° 1 à sa droite. On commence à défiler devant eux; Pochet d'abord, puis Virginie, qui, après avoir embrassé les mariés, vont se placer à leur suite pour recevoir les félicitations à leur tour; passent ensuite Adonis et la petite.)

AMÉLIE(après avoir embrassé la petite, à Adonis. )
Prends bien soin de la petite ! Si elle a besoin de quelque chose…

ADONIS
Ah ! non, merci. Je sors d'en prendre.
(Continuation du défilé; passent Van Putzeboum, Etienne, le Général et Bibichon. Pendant ce temps-là, les invités des autres rangs sont remontés vers le fond pour redescendre par la droite et passer devant les mariés et les parents. Après quoi, ils remontent par l'extrême gauche pour gagner l'atrium par la baie. Mouilletu, à droite, fait le service d'ordre. Chacun, en passant, fait un compliment au marié, à la mariée; les uns leur serrent la main, d'autres les embrassent. On entend des: "Ah ! tous mes vœux, mon cher !… Eh bien, dis donc, tu ne t'embêtes pas !… Mon chou, tu as été épatante !… Rends-la heureuse !… Quelle robe, ma chère, c'est un rêve !" et tout le temps le refrain de Pochet à chaque invité: "Vous venez au linche, hein? c'est chez Gilet; vous venez au linche?" Ce défilé ne doit pas s'exécuter trop vite - on a le temps. Le dialogue en est laissé à la fantaisie des interprètes. Tous les invités ont peu à peu gagné l'atrium, sauf Etienne qui, après être remonté comme tout le monde par le fond gauche, fait le tour par le fond et revient se placer contre le manteau d'Arlequin droit.)

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