Acte de mariage - Scène IV



(LES MÊMES , ETIENNE , HABIT NOIR COMME À LA MAIRIE)

ETIENNE(paraissant et s'arrêtant le chapeau sur la tête, les mains dans ses poches, sur le pas de la porte. )
Bonjour, les époux !

AMÉLIE
Toi !

MARCEL(s'avançant vers lui à pas lents, comme un fauve. )
Qu'est-ce que tu viens faire?
(Le prince gagne un peu à droite)

ETIENNE(sur le ton dégagé et persifleur. )
Rien ! Voir si ça va comme vous voulez? Si vous êtes heureux?

MARCEL
Si nous sommes heureux? Ah ! canaille !
(Il le prend par le bras et le fait brutalement passer à sa gauche.)

ETIENNE
Eh bien, quoi donc?

MARCEL(au prince. )
Monseigneur ! vous avez vu jouer le Fil à la patte?

LE PRINCE(qui ne comprend pas. )
Fil à la patte? Quoi? quelle patte?

MARCEL(tout en fouillant dans la poche de derrière de son pantalon. )
Eh bien ! nous allons vous en rejouer une scène ! et pas au chiqué, cette fois !

ETIENNE(qui ne comprend pas où il veut en venir. )
Qu'est-ce qu'il dit?

MARCEL
Vous avez besoin d'un vêtement, monseigneur !

LE PRINCE
Certes, par notre Père !

MARCEL
C'est très bien ! (A Etienne.)
Ton pantalon ! donne-moi ton pantalon !

ETIENNE(qui croit à une plaisanterie. Gouailleur. )
Quoi ?

MARCEL(qui a tiré de sa poche un revolver qu'il braque sur Etienne. )
Ton pantalon, ou je tire !

LE PRINCE(qui se trouve sur la ligne du tir entre Marcel et Etienne. )
Eh ! là ! Eh ! là !
(Il remonte vivement et gagne près de la cheminée.)

ETIENNE
Ah çà ! tu plaisantes !

MARCEL
Je plaisante ! tiens !
(Il tire en l'air.)

ETIENNE(faisant un bond en arrière. )
Ah !

AMÉLIE(tombant sur le canapé au pied du lit. )
Ah !

LE PRINCE(descendant n° 1. )
Ah !
(En même temps un morceau de plâtre se détache du plafond et tombe par terre.)

AMÉLIE(devant le dégât. )
Oh ! mon plafond !
(Elle s'est relevée et descend un peu à droite.)

MARCEL
Oui, oh ! ben, ton plafond… zut ! (A Etienne.)
Allons ! ton pantalon, ou je te tue comme un chien.

ETIENNE(suppliant. )
Marcel !…

MARCEL(agitant le revolver braqué sur Etienne. )
Veux-tu vite…

ETIENNE(terrorisé. )
Oui !… Oui-oui !
(Il est debout devant le canapé, déboutonne vivement ses bretelles.)

MARCEL
Allez ! Allez ! plus vite que ça.

ETIENNE(retirant précipitamment son pantalon. )
Voilà ! voilà !
(Il passe le pantalon que Marcel prend de la main gauche sans cesser de tenir Etienne en joue.)

MARCEL(jetant par-dessus son épaule le pantalon au prince. )
Tenez ! attrapez, monseigneur !

LE PRINCE
Merci !… (Il enfile vivement le pantalon.)
Oho ! il va craquer !

MARCEL(à Etienne. )
Et maintenant, ton habit ! ton gilet !

ETIENNE
Marcel, voyons !

MARCEL
Veux-tu donner ton habit et ton gilet !

ETIENNE(retirant habit et gilet. )
Voilà ! voilà ! (A part.)
Il est fou ! Il est complètement fou !
(Il remet le gilet et l'habit à Marcel.)

MARCEL(jetant les vêtements au prince. )
Voilà, monseigneur ! (Brusquement.)
Monseigneur ! pendant que vous y êtes, voulez-vous le caleçon?

LE PRINCE
Non, merci ! j'ai le mien et il est plus beau.

ETIENNE(s'avançant piteux et suppliant jusqu'à Amélie, qui est à l'extrême droite. )
Amélie, je t'en prie !

AMÉLIE(passant devant Etienne. )
Oh ! ça ne me regarde pas ! Ca ne me regarde pas !

MARCEL(allant au prince qui a sur lui le pantalon de Marcel, mais n'a passé ni le gilet ni l'habit. )
Et maintenant, monseigneur, excusez-moi ! mais pour le projet que je médite, la présence de Votre Altesse est de trop.

LE PRINCE
Je comprends !… Monsieur est mon remplaçant.

MARCEL
Vous l'avez dit, monseigneur !

LE PRINCE
C'est bien ; je me sauve ! Au revoir ! et bonne chance ! Au revoir, Amélie !

AMÉLIE(faisant la révérence. )
Au revoir, monseigneur !

LE PRINCE(est allé jusqu'à la porte dont il a poussé le battant comme pour sortir, puis, se ravissant, fait volteface, et, après deux pas à froid, à Etienne qui est piteusement à l'extrême droite appuyé contre le lit, se faisant un écran de son chapeau haut de forme tenu contre le ventre. )
Cocoï boronzoff ! Lapépétt alagoss !

ETIENNE
Quoi ?

LE PRINCE
Yamolek, Groubouboul !
(Il sort.)

ETIENNE(voyant le prince s'en aller avec ses affaires. )
Non, mais c'est ça ! Il emporte mes vêtements et encore il m'engueule ! (Voulant courir après le prince.)
Eh ! là-bas, vous !

MARCEL(arrêtant son élan par la menace de son revolver. )
Bouge pas, toi ! ou je te brûle

ETIENNE(reculant, de façon à revenir à sa place primitive. )
Ah ! çà ! où veux-tu en venir?

MARCEL(prenant la main d'Amélie. )
Où je veux en venir? A te faire pincer en flagrant délit avec ma femme.

AMÉLIE
Absolument !

MARCEL(la main gauche dans la main droite d'Amélie. Avançant ainsi qu'Amélie à pas lents cadencés et successifs dans la direction d'Etienne. )
Ah ! Tu es l'amant de ma femme !

AMÉLIE(même jeu. )
Ah ! le jour même de ses noces, on te surprend avec elle !

ETIENNE(bouche bée. Affalé face à eux sur le bord du lit. )
Hein ?

MARCEL(de même. )
Ah ! l'on te trouve en caleçon dans la chambre conjugale !…

AMÉLIE(de même. )
Ah ! Amélie se trouve avec toi en jupon !

ETIENNE(au public, désespéré. )
Ils sont fous ! Ils sont fous !

MARCEL(un genou sur le canapé du pied du lit. )
Eh bien, le commissaire !

AMÉLIE(appuyée des deux mains sur le bout du pied du lit. )
Le commissaire !
(A ce moment, on frappe à la porte.)

MARCEL(prêtant l'oreille. )
Qui est là ?

VOIX DU COMMISSAIRE(sur le même ton que Marcel et Amélie, et comme un écho de leur voix. )
Le commissaire !

MARCEL ET AMÉLIE(avec une même révérence. )
Le voilà !

ETIENNE(abruti. )
Ah !

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