ACTE PREMIER - Scène V



(LES MÊMES , ETIENNE , PALMYRE , YVONNE BOAS , BIBICHON , VALCREUSE , PUIS POCHET)

ETIENNE(qui paraît le premier, avec un sursaut d'ahurissement en apercevant Adonis sur les genoux d'Amélie. )
Oh !

TOUS(comme un écho avec le même sursaut. )
Oh !

ADONIS(en voyant Etienne, pivotant sur les genoux d'Amélie et cherchant à se dégager de ses bras. )
Laisse-moi ! laissez-moi !
(Il file à l'extrême gauche.)

AMÉLIE(sans se lever, du ton le plus naturel. )
Eh ! ben?… quoi?

TOUS(estomaqués. )
Oh !

POCHET(paraissant à la porte du fond. )
Eh ! ben, ça y est?

ETIENNE( furieux, descendant en scène, à Pochet. )
Tenez, monsieur, soyez content ! je viens de trouver madame avec son domestique sur les genoux !…

POCHET(ravi. )
Ah? Parfait !… la paix est faite alors? C'est très bien !

TOUS
Hein?

ETIENNE
Elle couche avec le valet de pied, parbleu ! elle couche avec le valet de pied !
(Ensemble)

AMÉLIE(se dressant, indignée. )
Qu'est-ce que tu dis?

ADONIS(bondissant en avant. )
Qu'est-ce que vous dites?

POCHET(avec un sursaut d'indignation. )
Malheureux ! (D'un geste digne, il reboutonne sa redingote, fait à froid deux pas jusqu'à Etienne, puis théâtralement:)
C'est son frère !

TOUS(ahuris. )
Hein !

AMÉLIE ET ADONIS(faisant instinctivement chacun un pas vers Pochet et sur un ton de reproche. )
Papa !

POCHET(revenant se placer entre Adonis et Amélie. Ils forment ainsi une ligne en sifflet, face à Etienne qui est debout, à gauche du canapé. )
Ah ! Et puis, zut ! quoi ! c'est lâché. J'vois pas pourquoi je cacherais une chose qu'est chic à Amélie !… (Une main sur l'épaule d'Amélie.)
Quand il s'agit de sa famille au moins elle ! elle n'a pas les pieds nickelés !… comme tant d'autres ! Elle s'est dit: (Martelant chaque phrase en l'accompagnant d'une légère tape de la main sur l'épaule d'Amélie.)
"J'ai un frère; j'ai des devoirs !" Et, elle l'a pris chez elle !… comme domestique !

AMÉLIE
Voyons, papa !

POCHET
Si, si ! Je tiens à z'y leur dire ! (Aux autres.)
Eh ben ! combien que vous en trouvez qui auraient fait ça? TOUS ,(échangeant entre eux leur impression. )
Ah ! oui, oui !… ça oui !… ah ! évidemment !

POCHET(sans lâcher Amélie de sa main gauche, prenant la tête d'Adonis de la main droite. )
Mon pauvre petit, va ! De quoi on te supposait capable ! (Il l'embrasse. Après quoi, allant à Etienne.)
J'espère qu'après ça, monsieur, vous ne refuserez pas d'obtempérer au retrait de vos allégations suppositoires…

ETIENNE(l'air gouailleur et le ton un peu faubourien. )
Quoi?

POCHET(le dos à demi tourné au public, et en plein nez à Etienne. )
… et pornographiques !
(Il remonte pour redescendre n° 2.)

AMÉLIE(faisant un pas vers Etienne et gentiment, indiquant Adonis. )
Va !… donne-lui la main !

ETIENNE(avec hauteur. )
A lui?

BIBICHON(lui envoyant une petite tape sur le haut de la jambe. )
Quoi !… C'est ton beau-frère.

ETIENNE(protestant. )
Oh !… de la main gauche.

AMÉLIE
Eh ! bien, donne-lui celle-là ! On n'est pas à un côté près !
(Elle pousse Adonis vers Etienne.)

ETIENNE(très ennuyé, hésite un instant, jette un regard comme à regret sur sa main qu'il retire de sa poche, puis prenant son parti, lui tend cette main, qu'il tient basse et à distance. )
Dédaigneusement, la tête tournée du côté opposé à Adonis. Soit ! Allons ! (A Adonis, lui tendant la main.)
Ca… ça va bien?

ADONIS(bon enfant, lui serrant la main. )
Mais, pas mal ! Vous aussi?

ETIENNE
Pas mal, merci ! (A Amélie.)
Là, es-tu contente?
(Il remonte au fond, près du piano. On sonne.)

AMÉLIE
Adonis, on a sonné ! Embrasse ta sœur, mon chéri ! (Adonis saute à son cou comme un gamin.)
Et va ouvrir !

ADONIS
Oui !
(Il court en sautillant jusqu'à la porte du fond et sort.)

BIBICHON(le regarde sortir, puis sur un ton d'admiration comique. )
C'est beau la famille !

ETIENNE
Qui est-ce qui peut venir à cette heure-ci? Tu attends du monde?

AMÉLIE(remontant vers le piano. )
Non, personne.

YVONNE(esquissant le geste de se retirer. )
Ecoute ! si tu as du monde… !

PALMYRE(à l'imitation d'Yvonne. )
Nous allons te laisser.

AMÉLIE(les retenant. )
Ah ! non, ne me lâchez pas ! Vous allez m'attendre par là !… (Elle indique la base.)
Ce ne sera pas long ! (A Adonis qui revient.)
Eh ! bien?…

ADONIS(avec un petit sourire bête. )
C'est une dame qui demande à te parler en particulier !

ETIENNE(horripilé, )
"A te parler en particulier" ! (A Amélie.)
Non ! Ecoute, choisis !… Si c'est ton domestique, qu'il ne te tutoie pas ! Si c' est ton frère, enlève-lui la livrée.

AMÉLIE
Oh ! ne rase pas ! (A Adonis.)
Qui est cette dame?

ADONIS(bien bêta, toujours souriant. )
J' sais pas !

AMÉLIE
Comment, "tu ne sais pas."

ADONIS
Elle n'a pas voulu dire son nom !

AMÉLIE(à ses amis. )
Oh ! mauvais !… (A Adonis.)
C'est une femme bien?

ADONIS(faisant proutter ses lèvres. )
Pffût ! (Avec dédain.)
Ça a l'air d'une femme du monde.

ETIENNE
Vous êtes gentil pour les femmes du monde.

ADONIS(descendant un peu en scène et sur un ton gavroche. )
Enfin, elle n'a pas le chic d'Amélie ! Elle est habillée sombre !

BIBICHON(toujours assis sur le canapé. )
Monsieur aime le tape-à-l'oeil.

ADONIS
Tu parles !

BIBICHON
Hein !

AMÉLIE ET POCHET(le rappelant à l'ordre. )
Adonis !

ETIENNE(le rappelant à l'ordre. )
Eh ! ben !

ADONIS
Oh ! pardon ! Ca m'est échappé !

AMÉLIE
Ca doit être quelque quêteuse. Les femmes du monde ne viennent jamais chez vous que dans ces cas-là. (A Adonis.)
Fais-la entrer; nous verrons bien.
(Adonis repart en gambadant et sort par le fond.)

ETIENNE(sur le seuil de la baie. A Amélie. )
Nous t'attendons par là.

TOUS(le suivant. )
C'est ça !

BIBICHON(qui, pendant ce qui précède, s'est levé et est remonté par la droite du canapé. A Boas, en le saisissant par le bras. )
Allez ! viens, Gueuldeb !…

BOAS(entraîné par Bibichon. )
Ah ! Bibichon ! la barbe !
(Ils sortent.)

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