Acte de mariage - Scène III



(LES MÊMES , MARCEL , LE COMMISSAIRE)

MARCEL
Entrez ! monsieur le commissaire ! (A Amélie.)
Ma chère amie; je suis désolée, mais !…

LE COMMISSAIRE(parlant à la cantonade. )
Vous deux, gardez les issues !
(Le commissaire paraît, le chapeau sur la tête, son écharpe à la main.)

AMÉLIE(au commissaire. )
Vous désirez, monsieur?

LE COMMISSAIRE(avec un sursaut de stupéfaction en se trouvant en face d'Amélie. Se découvrant. )
Une dame ! (A Amélie.)
Excusez-moi, madame ! C'est monsieur, qui… (A Marcel.)
Eh bien ! où est-il, votre cambrioleur?

MARCEL
Mon camb…

AMÉLIE(lui coupant la parole. )
Quel cambrioleur?

LE COMMISSAIRE
Mais, je ne sais pas !… Monsieur m'avait dit !…

MARCEL
Ah ! Je vous ai dit… je vous ai dit !… parce que si je ne vous avais pas dit, vous ne seriez pas venu ! Mais il n'y a ici qu'un cambrioleur, c'est celui de mon honneur.

LE COMMISSAIRE(fronçant les sourcils. )
Quoi ?

MARCEL
Veuillez constater, je vous prie, la présence ici de l'amant de madame, le jour même de ses noces.
(Amélie hausse les épaules et gagne la droite devant le lit.)

LE COMMISSAIRE
Hein?

MARCEL
Constatez, monsieur: le lit défait ! la tenue de madame !… (prenant en main sa robe de mariée sur le coin du canapé)
… et sa robe de mariée encore là, toute chaude !
(Il repose la robe sur le pied du lit.)

LE COMMISSAIRE(décontenancé et hésitant. )
C'est… vrai, madame?

MARCEL(au-dessus du canapé. )
Oserez-vous nier ?

AMÉLIE
Ah ! ma foi, tu as raison ! Autant le divorce qu'un ménage dans ces conditions-là. (S'asseyant sur le canapé, une jambe sur l'autre et sur un ton de bravade.)
Eh bien ! oui, monsieur ! c'est vrai.
(Le commissaire s'incline en écartant les bras, devant l'aveu.)

MARCEL(triomphant, )
Enfin !

LE COMMISSAIRE
Et… votre complice?

AMÉLIE(indiquant d'un geste indifférent par-dessus son épaule, le cabinet de toilette. )
Là ! dans le cabinet de toilette !… (A part, avec désinvolture, pendant que le commissaire remonte vers le cabinet.)
Après tout, avec un prince !…
(Elle fait claquer sa langue.)

LE COMMISSAIRE(qui a remis son chapeau sur la tête, tout en remontant vers le cabinet de toilette. En poussant la porte. )
Sortez, monsieur ! nous savons que vous êtes là.
(Il redescend à gauche, tandis que Marcel s'écarte un peu dans la ruelle non loin du pied du lit. Un temps. Soudain venant de droite du cabinet de toilette, le prince paraît, toujours dans la même tenue; il a ramené les bords de son chapeau sur son nez et pris les pans de sa cravate, dans son chapeau pour en couvrir son visage; il s'avance, la tête penchée sur l'épaule droite.)

LE PRINCE
C'est bien ! me voici.

MARCEL
Constatez, je vous prie, le déshabillé de monsieur !

LE PRINCE(du tac au tac. )
Permettez ! C'est monsieur qui m'a jeté mes vêtements par la fenêtre.

LE COMMISSAIRE(presque sous le nez du prince et sur un ton brutal et cassant. )
S'il les a jetés, c'est sans doute que vous ne les aviez pas sur vous !… Votre nom?
(Il redescend un peu à gauche.)

LE PRINCE
Impossible !… Je voyage incognito !

LE COMMISSAIRE(croyant qu'on se moque de lui et sur le ton d'un homme qui ne supportera pas la plaisanterie. )
Quoi ?

MARCEL
Il suffit ! Monsieur est Son Altesse Royale le prince Nicolas de Palestrie !

LE COMMISSAIRE(avec un sursaut en arrière. )
Hein ?
(Instinctivement il se découvre.)

LE PRINCE(avec dépit. )
Ah ! maracache !
(D'un geste d'humeur, il envoie son chapeau en arrière de sa tête, ce qui fait tomber sa cravate à sa place.)

MARCEL
Constatez, monsieur le commissaire ! constatez !

LE COMMISSAIRE(qui n'entend plus du tout de cette oreille, descendant à gauche. )
Oh ! non… Oh ! non-non !

MARCEL(ahuri. )
Quoi?

LE COMMISSAIRE
Non-non-non-non-non-non !… Une Altesse Royale ! merci ! l'immunité diplomatique !… Tu-tu-tu- tu ! je n'ai pas envie de créer des complications au gouvernement !

MARCEL(traversant la scène et allant au commissaire. )
Qu'est-ce que vous dites?

LE COMMISSAIRE(sans le toucher, l'écartant du geste. )
Oh ! Arrangez-vous ! Arrangez-vous ! Moi, ça ne me regarde pas.

LE PRINCE(étonné lui-même de ce revirement, mais heureux d'approuver le commissaire. )
Absolument !

MARCEL(n'en croyant pas ses oreilles. )
Mais, monsieur le commissaire, je suis le mari offensé, et…

LE COMMISSAIRE
Ah ! Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise? (Avec la plus entière mauvaise foi.)
D'abord, je n'en sais rien, moi. Qu'est-ce qui me le prouve?

LE PRINCE
Oui, quoi?

MARCEL
Comment ! Qu'est-ce qui vous le prouve? Mais qu'est-ce qu'il vous faut? Regardez la tenue de madame ! le prince sans vêtements !…

LE COMMISSAIRE(lui coupant brutalement la parole et nez contre nez avec Marcel. )
C'est vous !… qui les avez jetés par la fenêtre.

LE PRINCE(sur le même ton. )
C'est lui qui les a jetés par la fenêtre !

MARCEL(ahuri d'avoir ainsi à se défendre. )
Ça prouve qu'il ne les avait pas sur lui…

LE COMMISSAIRE(écartant de grands bras. )
En voilà une preuve !

LE PRINCE(haussant les épaules. )
C'est idiot !

MARCEL(indiquant Amélie assise sur le canapé. )
Et puis madame a avoué !… Qu'est-ce qu'il vous faut de plus?

LE COMMISSAIRE(furieux de cette insistance, grimpant sur ses ergots et allant se camper, tel un coq au combat, la poitrine contre la poitrine de Marcel. )
Ah ! Et puis, en voilà assez ! Je n'ai pas de leçon à recevoir de vous.

MARCEL
Hein ?

LE PRINCE
A la bonne heure !

LE COMMISSAIRE(toujours contre poitrine, nez contre nez, avec Marcel ahuri. Pivotant autour de lui de façon à gagner le n° 2. )
Considérez-vous comme bien heureux que je ne vous dresse pas procès-verbal pour fausse déclaration à un magistrat.

MARCEL
Moi !

LE COMMISSAIRE
Oui, vous ! oui, vous ! Car enfin, où est-il votre cambrioleur, hein ? Où est-il ?

MARCEL(complètement interloqué. )
Mais je… mais je…

LE COMMISSAIRE
Oui ! Eh bien, que ça ne vous arrive plus !
(Il remonte vers le prince.)

LE PRINCE
Bravo !

MARCEL(reste un instant comme assommé, puis au public. )
C'est moi le cocu ! et c'est moi qu'on engueule !

LE COMMISSAIRE(au prince tout près de lui et l'échine courbée à hauteur de sa ceinture. )
Oh ! Monseigneur ! Je suis désolé ! Je supplie Votre Altesse d'agréer mes excuses. (Redressant un peu l'échine.)
Tout ça, c'est la faute de ce maladroit !

LE PRINCE(battant l'air avec son doigt d'un geste brusque et sous le nez du commissaire. )
Vous !… je vous fais commandeur de l'ordre de Palestrie !

LE COMMISSAIRE(très ému. )
Hein? Moi? Monseigneur ! (Se confondant en courbettes.)
Oh ! Monseigneur ! Quel honneur ! Comment pourrai-je exprimer à Votre Altesse !…

LE PRINCE(le renvoyant du geste. )
Oui, c'est bien, allez !
(Il tourne les talons sans plus s'occuper de lui.)

LE COMMISSAIRE(avec la plus plate obéissance. )
Oui, monseigneur. (S'inclinant profondément.)
Monseigneur ! (Un pas à reculons. Nouvelle salutation à Amélie.)
Madame ! (De même, à Marcel, exactement sur le même ton qu'il a dit "Monseigneur ! Madame !":)
Idiot !

MARCEL(se tournant à moitié vers lui. )
Quoi ?

LE COMMISSAIRE(dans le même mouvement. Nouveau pas à reculons, nouvelle et dernière salutation. )
Monseigneur ! (Se redressant et tournant les talons. A la cantonade.)
Venez, vous autres ! Il n'y a pas plus de cambrioleur que dans ma main !
(Il sort.)

MARCEL(qui n'en est pas encore revenu. )
Ah ! bien, elle est raide, celle-là !

AMÉLIE(au prince qui arpente nerveusement la scène de haut en bas. )
Monseigneur, je suis désolée qu'à cause de moi !…

LE PRINCE(à Amélie. )
Oui, oh ! A Marcel. Ah ! vous avez fait des propretés, vous !
(Il remonte.)

MARCEL
Allez, allez, monseigneur ! vous avez raison ! puisqu'il est avéré que vous jouissez d'un privilège !… que vous avez tous les droits ! Je m'incline et je vous fais mes excuses.

LE PRINCE(qui n'a pas cessé d'arpenter et est redescendu à ce moment près de Marcel. )
Je me plaindrai demain… à la Présidence !…
(Il remonte.)

MARCEL(toujours à gauche de la scène. )
Oh ! ça, la présidence… dans cette affaire-là !…

LE PRINCE(redescendant, à Marcel. )
Je regrette que ma situation ne me permette pas de donner à votre conduite les suites qu'elle comporte !
(Il remonte.)

MARCEL
Je le regrette aussi, monseigneur.

LE PRINCE(toujours nerveux. )
Oui !

AMÉLIE
Monseigneur, du calme !

LE PRINCE(presque crié. )
Je suis calme !
(Il continue à arpenter.)

MARCEL
D'ailleurs, maintenant que le coup a raté, je puis bien dire que je suis désolé d'avoir eu à tomber précisément sur Votre Altesse, mais je n'avais pas le choix.

LE PRINCE(toujours arpentant. )
Non, non, se permettre !…

AMÉLIE
Et tout ça ! tout ça, par la faute d'Etienne !

MARCEL
Oui, Ah ! Ce que je lui garde un chien de ma chienne, à celui-là.

AMÉLIE
Et moi donc !

LE PRINCE(brusquement redescendant près de Marcel et se campant devant lui. )
Enfin, quoi? Quoi? Vous ne pensez donc pas que je vais rester ainsi en chemise et en caleçon ! Vous allez me prêter un costume… que je m'en vaille !

MARCEL
Mais je n'en ai pas !

LE PRINCE
Eh bien, trouvez-en un ! Ca ne me regarde pas ! donnez-moi le vôtre. En ce disant, il lui pince, en la secouant, la manche de son habit à hauteur du biceps.

MARCEL(se dégageant et passant n° 2. )
Ah ! bien plus souvent, par exemple !

LE PRINCE(revenant à la charge. )
Allez ! Allez !

MARCEL(se garant. )
Mais non !… mais non !… (Entendant un bruit de voix à la cantonade. Impérativement, au prince.)
Chut !

LE PRINCE(interloqué. )
Quoi ?
(Amélie, le prince et Marcel prêtent l'oreille.)

VOIX D'ETIENNE
Monsieur et madame sont là?

MARCEL(à Amélie. )
Mais c'est Etienne, ma parole !

AMÉLIE
Il a le culot de venir se payer notre tête !

MARCEL
Ah ! bien, lui, il va me payer ce qu'il m'a fait !
(Le prince un peu au fond, Marcel au milieu de la scène, Amélie plus bas.)

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