Acte III - Scène VII



(MARCEL , ETIENNE , PUIS LE MAIRE , PUIS IRÈNE , PUIS VAN PUTZEBOUM , BIBICHON , MOUILLETU , ET UNE PARTIE DE LA NOCE . Tandis qu'Etienne a gagné légèrement à gauche devant la scène, à peu près à l'extrémité de la banquette des enfants d'honneur, Marcel redescend un peu et s'arrête à hauteur du milieu de la dernière banquette, s'accroupissant légèrement sur les genoux, les mains appuyées sur les cuisses, regardant Etienne avec malice.)

MARCEL
Ehé !

ETIENNE(lui donnant la réplique de son côté. )
Ehé !

MARCEL(même jeu. )
Ca y est !

ETIENNE(même jeu. )
Ca y est !

MARCEL ET ETIENNE(riant tous les deux comme deux complices. )
Eh ! eh ! eh ! eh ! eh ! eh ! eh !

MARCEL(retirant son chapeau qu'il a gardé sur la tête et le déposant sur la dernière banquette, tout en s'élançant radieux vers Etienne. )
Ah ! Merci, mon bon Etienne ! Merci !

ETIENNE
Tu es content, hein?

MARCEL
Si je le suis ! Ah !… Non, mais crois-tu, hein? Crois-tu que ça a pris !

ETIENNE(froidement ironique. )
Oui, hein !

MARCEL
Ce qu'il a marché, le parrain ! Ah ! la bonne farce ! la bonne farce !
(Il accompagne chaque "bonne farce !" d'une forte tape dans le dos d'Etienne, à la hauteur de la naissance de l'épaule.)

ETIENNE(à son tour, même jeu que Marcel. )
Oh ! oui, la bonne farce ! la bonne farce !… Et meilleure encore que tu ne l'imagines.

MARCEL(même jeu que précédemment. )
Oh ! non ! (Tape.)
Oh ! non ! (Tape.)

ETIENNE(même jeu que Marcel. )
Oh ! si ! Oh ! si !

ETIENNE ET MARCEL(face à face, se riant mutuellement dans le nez. )
Hé ! hé ! hé ! hé ! hé ! hé ! hé !

MARCEL
Il ne peut y avoir une meilleure farce que d'avoir fait croire au parrain que ce mariage était vrai.

ETIENNE
Si ! si !… Il peut y en avoir une meilleure encore !

MARCEL(même jeu que précédemment. )
Oh ! non ! Oh ! non !

ETIENNE(même jeu que précédemment. )
Oh ! si ! Oh ! si !

ETIENNE ET MARCEL(riant. )
Hé ! hé ! hé ! hé ! hé ! hé ! hé !

ETIENNE
C'est de t'avoir fait croire à toi que ce mariage était faux.

MARCEL(ne comprenant pas et riant encore à moitié. )
Oui !… Euh ! Quoi ?

ETIENNE
Tu as cru que c'était une blague ? Eh bien ! il est vrai, mon vieux ! il est vrai !

MARCEL(devenant anxieux. )
Hein !

ETIENNE
Ah ! tu m'as pris ma maîtresse ! Ah ! tu as couché avec elle !

MARCEL
Comment ! tu sais?

ETIENNE
Oui, je sais !

MARCEL(ne pouvant réprimer un geste nerveux. )
Ouche !

ETIENNE
Eh bien, mon vieux, couche encore si tu veux ! Tu n'as plus à te gêner; c'est ta femme à présent; tu es marié avec elle !

MARCEL(lui sautant à la gorge. )
Qu'est-ce que tu dis?

ETIENNE( qui a esquivé le coup en se baissant brusquement et en passant sous les bras tendus de Marcel. )
Bonsoir ! Bien du plaisir… (Arrivé presque à la baie.)
Occupe-toi d'Amélie !

MARCEL(affolé, se précipitant à sa suite. )
Etienne ! Etienne !

ETIENNE(dans l'embrasure de la baie, d'une voix lointaine. )
Occupe-toi d'Amélie !
(Il disparaît.)

MARCEL(titubant comme un homme ivre. )
Etienne ! Etienne ! voyons ! (Voyant le maire qui, son chapeau sur la tête, sort de chez lui en mettant ses gants.)
Ah ! Toto Béjard ! (Se précipitant vers lui.)
Venez ici, vous ! Vite, venez !
(Il le saisit au collet.)

LE MAIRE(ahuri. )
Hein !

MARCEL(le secouant. )
Qu'est-ce qu'il y a de vrai là-dedans !

LE MAIRE(se dégageant )
Quoi ! quoi ! qu'est-ce qui vous prend encore?

MARCEL
Dans mon mariage? Est-ce vrai? Est-ce vrai, que j'ai épousé Amélie?

LE MAIRE
Comment, si c'est vrai ! Mais naturellement que c'est vrai !

MARCEL
Qu'est-ce que vous dites !

LE MAIRE
Qu'est-ce que vous croyez donc que vous venez de faire, alors?

MARCEL
Moi, moi, j'ai épousé… ! mais je ne veux pas ! je veux divorcer !

LE MAIRE(passant devant lui comme pour s'en aller. )
Mais ce n'est pas mon affaire.

MARCEL(le rattrapant par le pan de sa redingote et le ramenant à lui. )
Vous n'êtes donc pas Toto Béjard?

LE MAIRE
Moi !… (Bien net.)
Je suis le maire de l'arrondissement !…

MARCEL(se trouvant mal. )
le maire de l'arr… ah ! ah !
(Il se laisse tomber en avant; le maire n'a que le temps de le rattraper dans ses bras.)

LE MAIRE
Hein ! Eh ! bien, voyons ! Voyons !

IRÈNE(arrivant du fond gauche. )
Eh bien, mon ami… C'est comme ça que…?

MARCEL(hagard. )
Irène ! Je suis marié à Amélie !

IRÈNE(bondissant. )
Qu'est-ce que vous dites?

LE MAIRE( à Marcel toujours effondré contre sa poitrine. )
Allons, monsieur… !

MARCEL
Etienne a abusé de ma confiance. Je suis marié à Amélie d'Avranches !

IRÈNE
Vous êtes… ! Ah ! Ah !
(Elle s'affaisse dans les bras du maire.)

LE MAIRE(un personnage dans chaque bras. )
Ah ! mon Dieu ! elle aussi ! (Appelant.)
Au secours ! Du monde ! Mouilletu ! Cornette ! Au secours !
(Aux appels du maire, aux cris de pâmoison des deux amants, tout le monde accourt de tous côtés.)

TOUS(arrivant. )
Qu'est-ce qu'il y a? Qu'est-ce qu'il y a?

MARCEL(aux abois. )
J'ai épousé Amélie !

TOUS
Hein!

MARCEL(même jeu. )
J'ai épousé Amélie d'Avranches.

BIBICHON
Qu'est-ce que tu dis?

VAN PUTZEBOUM(qui est accouru par le fond et descendu par la droite. )
Mais qu'est-ce que ça est donc, filske?

MARCEL(passant son bras autour du cou de Van Putzeboum et d'une voix désespérée. )
Ah ! mon parrain !… J'ai épousé Amélie d'Avranches !

VAN PUTZEBOUM
Eh ! bien, quoi? Ca je sais bien. Gottferdom !

BIBICHON
Nom d'un chien ! et moi qui ai signé Bibichon !(Pendant que le rideau tombe, Marcel répète lamentablement:)
"J'ai épousé Amélie d'Avranches !"
(Fin du premier tableau du troisième acte.)

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