ACTE IV - SCENE X



LES MEMES, FRANCINE, puis ETIENNE et COUSTOUILLU

FRANCINE (descend entre piano et mur, et arrivée devant le canapé, sur un ton persifleur.)
Eh! bien, voilà!… j'ai choisi un amant!

MASSENAY (gouailleur.)
Ah?

FRANCINE
Tu as fait tout ce qu'il fallait pour ça; tu m'as bien poussée à bout… tu n'auras à t'en prendre qu'à toi-même! Demain, ce sera chose accomplie.

MASSENAY (ironique.)
Ah? c'est demain?… Tu es bien aimable de me prévenir.

FRANCINE (gouailleuse.)
Oui, tu n'en crois pas un mot.

MASSENAY (id.)
Mais si… mais si!…

FRANCINE
Et pourtant, c'est l'exacte vérité!…

MASSENAY
Parfait! Parfait! Et… quel est celui qui?

FRANCINE
Oh ! Ça c'est mon secret ! Tu ne penses pas que je vais aller te le dire!

MASSENAY (s'inclinant ironiquement.)
Oh ! pardon ! pardon !
(Il gagne vers CHANAL tandis que FRANCINE remonte à gauche du piano.)

CHANAL (bas à MASSENAY.)
Parbleu! C'est bien ça : c'est Coustouillu !

MASSENAY (haussant les épaules.)
Ah! ouat, Coustouillu !

CHANAL
Bien ! bien ! N'empêche que si tu le voyais entrer ne bafouillant plus… et parlant comme tout le monde… !

ETIENNE (annonçant.)
Monsieur Coustouillu!
(Entrée de COUSTOUILLU entièrement transformé : il est à l'aise, le ton dégagé, le geste large et parle d'abondance.)

COUSTOUILLU
Allez, Etienne ! inutile de m'annoncer. (Sans transition tout en descendant vers MASSENAY et CHANAL qui coude à coude l'un contre l'autre le regardent bouche bée.)
Bonjour, mon cher Massenay ! Comment ça va aujourd'hui? Quel temps, hein? Un soleil radieux! Je passais devant tes fenêtres, je me suis dit : "Je vais monter lui serrer la main ! " Tu as bonne mine tu sais ! C'est vrai, il a bonne mine.

MASSENAY (n'en croyant pas ses oreilles.)
Il parle !

COUSTOUILLU (toujours sur le même ton.)
Tiens, Chanal!… Ah! bien!… un revenant alors!
(Il va lui serrer la main.)

CHANAL (ahuri, et sur le même ton que MASSENAY.)
Tu parles !

COUSTOUILLU (allant à FRANCINE qui, ayant fait le tour du piano pendant ce qui précède, est redescendue peu à peu à l'angle droit du piano et du canapé.)
Quant à vous, madame, je vous gardais pour la bonne bouche : la dernière!… Vous allez bien depuis hier?

FRANCINE (bas et vivement. )
Mais faites donc attention, voyons ! vous ne bafouillez plus!…

COUSTOUILLU (bas et vivement.)
Ah ! oui ! (Haut et essayant maladroitement de bafouiller.)
Hein? euh! je… je… parce que le le…

MASSENAY (qui ne s'y trompe pas, gouailleur.)
Oui, oui, oui !

COUSTOUILLU
Alors, mon cher, euh… !

MASSENAY (lui soufflant, moqueur.)
…Massenay!

COUSTOUILLU (sur le même ton.)
Massenay… oui, euh!…

MASSENAY
Et puis, je ne sais pas pourquoi tu te remets à bafouiller! tout à l'heure, quand tu es entré, il semblait que tu étais guéri.

COUSTOUILLU
Hein? euh!… Je vais te dire : depuis quelque temps, je suis un traitement pour ça, et ça va beaucoup mieux; tiens, tu vois.

MASSENAY (toujours ironique.)
Oui, oui, oui !

CHANAL (à part.)
Mon Dieu, les pauvres !

COUSTOUILLU
Mais ce n'est pas tout ça ! Voici ce qui m'amène : je voulais te faire part d'une idée que j'ai eue et savoir si elle t'agrée…

MASSENAY (affectant un air très intéressé.)
Vraiment?… Et quoi donc?

COUSTOUILLU
Eh bien voilà : je trouve qu'amis comme nous le sommes, nous demeurons bien loin les uns des autres…

FRANCINE, MASSENAY, CHANAL (à part.)
Hein?
(Pendant ce qui suit, en entendant COUSTOUILLU s'enferrer, MASSENAY qui est côte à côte avec CHANAL, mais un peu plus en avant que lui, manifeste sa satisfaction en lui donnant sur la poitrine de petites tapes du plat de la main renversée. CHANAL lui donne malicieusement une bonne tape sur la main.)

COUSTOUILLU (sans s'apercevoir du jeu de scène.)
Tu as un entresol à louer… Qu'est-ce que tu dirais de m'avoir pour locataire?

MASSENAY (hypocritement.)
Toi? ,

FRANCINE (à part.)
L'imprudent !

MASSENAY (allant à COUSTOUILLU.)
Mais à la bonne heure ! Toi ! Toi ! mais je crois bien ! un ami comme toi ! Parle-moi de ça !
(Il remonte au-dessus de la table pour redescendre entre celle-ci et la cheminée, cela jusqu'au fauteuil droite de la table qu'il tire à lui de façon à l'amener devant la dite table, à laquelle aussitôt il s'installe pour écrire.)

COUSTOUILLU
Brave ami!

CHANAL (à part, allant à la cheminée.)
Non, quel rôle joue-je, mon Dieu? Quel rôle joue-je?

MASSENAY (s'apprêtant à écrire.)
Quand veux-tu ça?

COUSTOUILLU
Mais tout de suite… j'emménage demain et je couche après-demain.

MASSENAY (ironiquement.)
Et tu couches après demain!… Parfait, parfait!… (Affectant l'air contrarié.)
Ah! diable! c'est qu'après-demain je ne serai pas là!… (Avec perfidie.)
Je passe toute la journée jusqu'au lendemain à Rouen.

COUSTOUILLU et FRANCINE
Ah !
(Ils échangent un coup d'œil de connivence. CHANAL trouvant qu'il va trop loin, a posé comme pour l'arrêter sa main droite sur le poignet gauche de MASSENAY. De la main droite celui-ci donne une tape sur la main de CHANAL, puis)

MASSENAY
Mais au fait, tu n'as pas besoin de moi ! le concierge sera là pour t'installer.

COUSTOUILLU
Oui, oui, ne t'inquiète pas.

MASSENAY (écrivant.)
Je vais m'occuper de ça tout de suite.

COUSTOUILLU
Merci.

CHANAL (à part.)
Ah ! le malheureux !

COUSTOUILLU (bas à FRANCINE.)
Mercredi soir alors?

FRANCINE (sur le ton d'une personne décidée à la vengeance.)
Soit !

CHANAL (s'approchant et jetant un coup d'œil par-dessous l'épaule de MASSENAY.)
Qu'est- ce que tu écris là?

MASSENAY (qui vient d'apposer sa signature au bas de la lettre qu'il vient d'écrire.)
Tiens, lis!
(Il remet le papier à CHANAL et descend à gauche de la table, tandis que CHANAL descend par la droite.)

COUSTOUILLU (près de FRANCINE)(de loin.)
C'est mon bail?

MASSENAY (avec un sourire machiavélique.)
Oui, oui ! c'est ton bail.

COUSTOUILLU (de confiance, à FRANCINE.)
C'est mon bail.

CHANAL (lisant.)
"Monsieur le Procureur de la République!…"

MASSENAY (lui enlevant subitement le papier des mains.)
Chut ! Tais-toi !

CHANAL (avec inquiétude.)
Mais. qu'est-ce que tu comptes faire?

MASSENAY
Tu le demandes? mais exactement ce que tu as fait pour moi.

CHANAL
Le flagrant délit?

MASSENAY
Ah! mon cher, je suis de ton école : "le mariage est une partie de baccara…? "(Désignant COUSTOUILLU.)
A lui les cartes ! la main passe!

CHANAL
La main passe?

MASSENAY
La main passe.

CHANAL
Ah!… non, non, ça n'est plus une main!… c'est une muscade !
(FIN)

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