ACTE I - SCENE IV



LES MEMES, ETIENNE puis COUSTOUILLU.

ETIENNE (annonçant.)
Monsieur Coustouillu !

CHANAL (arrêté dans son mouvement de sortie.)
Coustouillu ? (A ETIENNE.)
Faites entrer.
(ETIENNE sort.)

HUBERTIN (que ce nom a frappé.)
Quel Coustouillu?

CHANAL (avec une certaine fierté.)
Mais… lui-même ! le seul ! Coustouillu le député, le leader de l'opposition, le fameux tribun.

HUBERTIN
Oui ? oh ! que je serais heureux… ! J'admire tellement son éloquence! Vous permettez ?

CHANAL
Comment donc !
(FRANCINE se lève. A ce moment, suivi d'ETIENNE qui l'introduit, paraît COUSTOUILLU ; type superbe de tribun aux épaules puissantes, au large plastron ; tète de lion, aux cheveux blonds, ondés et en coup de vent ; barbe blonde et carrée. Mais contrastant avec cet aspect, une allure profondément gênée, une timidité exagérée que le personnage s'efforce à dissimuler sous un air qui veut être à l'aise et sous des sourires qui ne sont que des rictus. Il tient une superbe botte d'asperges sous son bras gauche.)

CHANAL
Entre, mon vieux ! justement on parlait de toi.
(Sortie d'ETIENNE.)

COUSTOUILLU
Ah ? aha ? (Profondément troublé, il éprouve on ne sait pourquoi le besoin d'aller fermer la porte par laquelle il vient d'entrer. Mais ses mains sont prises l'une par sa botte d'asperges, l'autre par son chapeau ; pour en libérer une, il met son chapeau sur la tête ! Au moment où il ferme la porte, ETIENNE ferme de l'autre côté ; il n'arrive qu'à se faire pincer les doigts.)
Oh !

CHANAL
Laisse donc, Etienne fermera.

COUSTOUILLU
Vi ! Vi ! (Il dépose son chapeau sur la petite table au fond puis se donnant un air dégagé, il va à CHANAL la main tendue.)
Ça va bien ?

CHANAL (qui est placé juste à la hauteur et à un mètre à droite environ de la chaise volante qui est au fond.)
Mais pas mal, merci.

COUSTOUILLU
Ah ?… vivi… (En se retournant pour aller saluer FRANCINE, il donne naturellement dans la chaise qu'il renverse.)
Oh !
(Il se frotte le genou.)

CHANAL (railleur.)
Naturellement !… Enfin tu devrais la connaître depuis le temps que tu l'accroches chaque fois que tu entres dans ce salon. (En riant, à HUBERTIN)
Ça finit par avoir l'air d'être de l'adresse.

COUSTOUILLU (qui pendant ce qui précède, a ramassé la chaise tombée, et ahuri, au lieu de la poser, la conserve pendue à son poignet, très troublé.)
Hein ? oui… non… tu sais c'est que c'est le… hein ?

CHANAL
Bon, ça va bien ! Va, ne te trouble pas.

FRANCINE (charitable.)
Mais c'est toi qui le troubles toujours ! (A COUSTOUILLU)
Allons ! Monsieur Coustouillu, ne vous occupez pas de ce que vous dit mon mari, et venez me dire bonjour.

COUSTOUILLU (se précipitant.)
Oh ! (Dans sa précipitation, avec le pied de la chaise qu'il tient, il accroche et renverse la chaise volante qui est à côté du tabouret du piano)
Oh !

CHANAL (pendant que COUSTOUILLU ramasse comme il peut la chaise tombée, sans déposer celle qu'il a en main et va la replacer un peu au-dessus du piano.)
Là, vlan ! Non, ne dirait-on pas qu'il vise ?

COUSTOUILLU (de plus en plus décontenancé, esquisse un rire qui sonne faux et va vers FRANCINE la main tendue, sans s'apercevoir qu'à son poignet pend toujours la chaise volante.)
Chère Madame…!

FRANCINE (riant et gentiment.)
Déposez donc votre chaise, monsieur Coustouillu.

COUSTOUILLU (confus.)
Oh ! pardon !
(Il va déposer la chaise.)

CHANAL (à part.)
Quel type !

COUSTOUILLU (qui est redescendu, à FRANCINE.)
Madame… ! (Il lui donne une vigoureuse poignée de main. Allant à CHANAL et lui baisant la main)
Cher ami…

CHANAL (narquois.)
Non, mon vieux, c'est le contraire.

COUSTOUILLU
Oh !
(Il fait mine de retourner à FRANCINE.)

CHANAL
Non, va, ça va bien ! (Le faisant passer 3 pour le présenter à HUBERTIN qui depuis l'entrée de COUSTOUILLU est resté bouché bée devant la scène qui se joue devant lui)
Tiens, je te présente monsieur Hubertin qui désire vivement faire ta connaissance.

COUSTOUILLU (enchanté de cette diversion.)
Ah ? aha ?

HUBERTIN
Certes! Permettez-moi, monsieur, de me dire un de vos plus fervents admirateurs.

COUSTOUILLU
Aha ? vivi !

CHANAL (indiquant la botte d'asperges qu'il a toujours sous le bras.)
Mais dépose donc ça !… De quoi as-tu l'air ?

COUSTOUILLU
Hein ? ah ! vivi.
(Il retire la botte de dessous son bras, regarde à droite et à gauche où il peut la déposer et finit par la tendre à HUBERTIN.)

CHANAL
Mais pas à monsieur !

COUSTOUILLU (ne sachant que dire.)
Hein ! oui… C'est des euh ! des… des branches, (Se reprenant)
des… des asperges.

CHANAL
Merci ! Je vois bien, je n'avais pas pris ça pour des cannes à sucre ! En voilà une idée de se promener avec ça.

FRANCINE
Vous aimez donc à ce point les asperges, monsieur Coustouillu ?

COUSTOUILLU (bien angoissé.)
Non.

CHANAL
Alors quoi ?

COUSTOUILLU (perdant complètement pied.)
Hein ? euh ! oh ! t'sais c'est… c'est pour…!

CHANAL (sans pitié.)
Ah ! oui, oui ! pour te donner une contenance.

COUSTOUILLU
Voilà !… vi !

CHANAL
Ah ? Mes compliments !… Note que ça te va très bien ! mais c'est égal…! je sais bien qu'à cette époque-ci c'est une primeur… (Brusquement)
Enfin, tu n'es pas fou ? Tu sais que tu es déjà emprunté dans tes mouvements, et tu vas te coller une botte d'asperges sous le bras pour faire tes visites… (COUSTOUILLU rit d'un air gêné)
Mais va donc déposer ça dans l'antichambre.

COUSTOUILLU (enchanté de se débarrasser.)
Vi.
(Il remonte vivement. Apercevant sur son chemin la chaise dans laquelle il s'est déjà accroché, au moment où il arrive sur elle, il décrit un mouvement en faucille pour l'éviter.)

CHANAL (applaudissant.)
Bravo !

COUSTOUILLU (s'efforçant de rire.)
Héhé !
(Il sort.)

FRANCINE (une fois COUSTOUILLU sorti.)
Pauvre garçon !

CHANAL
On n'a pas idée d'être timide comme ça !

HUBERTIN
J'en suis ahuri ! Devant une assemblée, personne n'est plus à l'aise : c'est un foudre d'éloquence…

CHANAL
… il est là devant nous trois, plus personne.

HUBERTIN
Oui… ! Il est timide au singulier et audacieux au pluriel.

CHANAL
Voilà.

FRANCINE
Mais aussi ce n'est pas le moyen de le mettre à son aise que de le taquiner tout le temps.
(COUSTOUILLU rentre débarrassé de sa botte d'asperges.)

CHANAL
Ah ! te voilà ? tu as déposé ta botte ?

COUSTOUILLU (s'efforçant de sourire et sans presque descendre.)
Hein ? euh… oui, oui !

CHANAL
Eh ! bien, tu ne te sens pas plus à ton aise comme ça ?

COUSTOUILLU
Si !… sisi !
(A ce moment paraît ETIENNE, portant la botte d'asperges d'une main et une carte sur un plateau.)

ETIENNE (présentant le tout à FRANCINE.)
Pour madame.

FRANCINE (qui est debout à l'angle du piano et du canapé, étonnée.)
Pour moi ?
(Elle va prendre la botte et la carte des mains d'ETIENNE qui sort aussitôt. COUSTOUILLU qui est au supplice depuis l'entrée d'ETIENNE, et voudrait être à cent pieds sous terre, se glisse en se faisant aussi petit que possible derrière FRANCINE de façon à venir occuper la place que celle-ci vient de quitter entre le canapé et le piano.)

FRANCINE (lisant la carte.)
Alphonse Coustouillu !
(Elle se retourne vers COUSTOUILLU qui, tout confus, cherche à se dérober, va donner de la jambe contre le bras du canapé, n'a que le temps de l'enjamber pour ne pas perdre complètement l'équilibre et finit par tomber assis sur ce siège.)

FRANCINE (le grondant amicalement.)
Oh ! Monsieur Coustouillu !

COUSTOUILLU (essayant un air dégagé.)
Pffeu ! oh !
(Il se relève.)

CHANAL
Comment, c'était pour nous ?… oh ! mon pauvre vieux, et moi qui te blaguais tout à l'heure… parce que tu étais grotesque avec ! C'était pour nous !… Une botte d'asperges au mois de mars ! C'est de la folie, tu sais !… mais c'est très gentil !

COUSTOUILLU (qui est remonté derrière le piano.)
Mais non, mais non…

FRANCINE
Je vais dire, tout de suite qu'on les fasse pour ce soir et vous viendrez les manger avec nous.
(COUSTOUILLU très ému, s'incline gauchement ; FRANCINE sort gauche deuxième plan.)

CHANAL
C'est ça ! (A HUBERTIN.)
Moi, pendant ce temps-là, je vais vous chercher votre monnaie.

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