ACTE I - SCENE VII



CHANAL, puis ETIENNE, puis MASSENAY.

CHANAL (qui pendant ce qui précède a réglé son phonographe, le met en mouvement, puis se plaçant face au pavillon, recommence son discours.)
"Ma chère sœur !… ainsi c'est un fait accompli ! de ce jour te voilà mariée !… Ce soir tu connaîtras le grand mystère à quoi rêvent les jeunes filles…"
(Sur ces dernières répliques, ETIENNE tenant à la main un plateau avec une carte a paru au fond, suivi de MASSENAY. Celui-ci reste à attendre dans le hall pendant qu'ETIENNE descend en scène.)

ETIENNE (entrant, à pleine voix.)
Monsieur !…

CHANAL (furieux, arrêtant d'un coup de main le mouvement de l'appareil.)
Allez-vous vous taire, nom de nom ?

ETIENNE (interloqué, faisant un pas vers CHANAL.)
Monsieur ?

CHANAL
Vous ne voyez pas que je parle ?

ETIENNE (avec un calme imperturbable.)
A qui ?

CHANAL
Est-ce que ça vous regarde ? Pas à vous en tout cas !… C'est à croire que c'est une gageure, ma parole ! Madame d'abord, vous après ! Quoi ? Qu'est-ce que vous voulez ?

ETIENNE
Monsieur, c'est un monsieur qui désire parler à Monsieur.
(MASSENAY peu à peu s'est avancé et arrêté sur le pas de la porte laissée ouverte par ETIENNE.)

CHANAL (qui ne se doute pas que MASSENAY l'entend.)
Oui. Eh ! bien je m'en fiche de votre monsieur ! Il m'embête ; qu'est-ce qu'il me veut ?

ETIENNE
Voici sa carte.

CHANAL (prenant la carte.)
Et je m'en fiche de sa carte, comme de lui ! Je n'y suis pour personne, vous m'entendez ! Allez lui dire qu'il m'embête.

MASSENAY (qui sur le pas de la porte a assisté à la scène, très aimablement.)
Je suis vraiment confus, monsieur, de voir que je vous dérange.

CHANAL (que cette intervention inattendue fait sursauter et retourner sur soi-même.)
Hein !(Subitement calmé et avec la cordialité la plus grande.)
Mais pas du tout, monsieur ! Mais je vous en prie !…
(En ce disant il est remonté jusqu'à MASSENAY toujours sur le pas de la porte.)

MASSENAY
Je vous assure monsieur, si vous êtes occupé, je peux revenir.

CHANAL (insistant.)
Mais du tout ! du tout ! Qu'est-ce qui peut vous faire supposer?… Comment donc !

MASSENAY
On n'est pas plus aimable.
(Il passe devant CHANAL et redescend dans la direction de la table de droite ; pendant qu'il a le dos tourné, CHANAL expédie ETIENNE en lui faisant en pantomime force remontrances: "Ah ! vous n'en faites jamais d'autres ! ", haussement d'épaules puis geste qui signifie : "C'est bien, allez. " Sortie d'ETIENNE.)

CHANAL (redescend au-dessus et à droite de la table, très empressé.)
Et qu'y a-t-il pour votre service ?
(Il lui indique le siège à gauche de la table.)

MASSENAY (s'asseyant à gauche de la table.)
C'est à monsieur Chanal que j'ai l'honneur de parler ?

CHANAL (s'asseyant face à MASSENAY.)
Parfaitement.

MASSENAY (insistant.)
… Monsieur Chanal propriétaire de cet immeuble ?

CHANAL
Oui, enfin… l'immeuble appartient à ma femme, mais étant chef de la communauté…

MASSENAY
… cela revient au même. Eh ! bien, voici monsieur (Déposant son chapeau à sa gauche, sur la table)
 : j'ai vu que vous aviez l'entresol à louer.

CHANAL
En effet, monsieur.

MASSENAY
Je cherche justement un pied-à-terre… Cet appartement me conviendrait.

CHANAL
Ah ?… Vous l'avez visité ?

MASSENAY (très net.)
Non, c'est inutile ! Il me convient comme ça.

CHANAL (interloqué.)
Ah ?

MASSENAY
Il est de ?…

CHANAL (évaluant son homme.)
Il est de… hein ?… euh… trois mille… euh… huit…

MASSENAY
Mettons quatre mille en chiffre rond.

CHANAL (ouvrant de grands yeux.)
Comment ?

MASSENAY
Je dis : mettons quatre mille.

CHANAL
Comment "mettons quatre mille ! " ? Vous ne m'avez pas compris, je vous ai dit…

MASSENAY
Si, si !… Ça m'est plus commode !… Quatre mille, c'est clair, c'est net ; c'est divisible par quatre, ça fait mille francs par trimestre ; pas de calcul à faire ; on sait toujours ce qu'on a à donner… j'aime mieux ça ! Laissez-moi ça à quatre mille, qu'est-ce que ça vous fait ?

CHANAL (accommodant.)
A moi. Oh ! rien du tout ! Va pour quatre mille ! je ne veux pas vous contrarier.

MASSENAY (s'inclinant.)
On n'est pas plus aimable !… Maintenant, s'il y a des réparations à faire…

CHANAL
Je m'en charge.

MASSENAY (froidement.)
Moi aussi.

CHANAL (interloqué.)
Ah ?… bien !… (A ce moment une réflexion lui vient : il se mord les lèvres, a un hochement de tête comme pour dire : "Je te vois venir mon bonhomme ! " puis, avec beaucoup de ménagement.)
Seulement je dois vous avertir d'une chose… A vous voir si arrangeant il m'est permis de supposer qu'une arrière-pensée…

MASSENAY (bien ingénu.)
Quoi donc ?…

CHANAL (avec force circonlocutions.)
Eh ! bien voilà… Je comprends très bien qu'un homme jeune… Mon Dieu on n'est pas de bois !… Mais je vous l'ai dit, l'immeuble étant à ma femme, sur la question de moralité… dam !… (Plus nettement.)
Enfin, aux termes du bail, vous devez habiter bourgeoisement.

MASSENAY (souriant.)
Mais je l'entends bien ainsi.

CHANAL (de plus en plus interloqué.)
Ah ?…

MASSENAY
Je n'ai aucunement l'intention d'amener des femmes du dehors.

CHANAL (tenant à y mettre du sien.)
Oh ! mon Dieu, vous savez, entre nous… il ne faudrait pas prendre non plus au pied de la lettre… Il viendrait une dame, par hasard…

MASSENAY (protestant avec conviction.)
Mais non, mais non.

CHANAL
Je ne dis pas ça pour vous inciter à mal ! mais enfin vous auriez une relation que le concierge n'a pas à savoir… si c'est votre mère ou votre sœur.

MASSENAY (id.)
Mais aucune relation ! pas plus avec ma mère qu'avec ma sœur !

CHANAL (se défendant.)
Oh ! oh ! croyez bien que je n'ai jamais pensé !…

MASSENAY (affirmatif.)
Je vous certifie que jamais votre concierge ne verra entrer une femme chez moi.
(Il se lève, et gagne un peu à gauche.)

CHANAL (convaincu, se levant également.)
Allons, monsieur, mes compliments ! Je vois que nous nous accorderons sans peine ! Dieu merci, si tous les locataires étaient comme vous, le métier de propriétaire serait plus agréable.

MASSENAY
Ah bien vous savez ; tel qu'il est, c'est encore tout de même celui qui trouvera le plus d'amateurs.

CHANAL (riant.)
Hé ! hé ! hé ! (A part, remontant vers son cabinet.)
Il est drôle. (Haut.)
Allons, j'ai des baux tout préparés, désirez-vous que nous signions tout de suite ?

MASSENAY (qui est près du piano.)
Volontiers.

CHANAL (qui a la carte de MASSENAY en mains.)
Si vous voulez me donner votre nom.

MASSENAY (de sa place, indiquant du doigt la carte que CHANAL tient.)
Mais… sur ma carte.

CHANAL
Oh ! c'est juste… (Lisant en marchant dans la direction de son cabinet.)
"Emile Massenay. " (S'arrêtant étonné)
Tiens ?…

MASSENAY (comme un homme habitué à ce genre de remarque.)
Non !… homonyme !

CHANAL (à qui ce nom évoque un autre souvenir.)
Oui, oui je vois, mais non, c'est…

MASSENAY (souriant.)
Ah ! C'est qu'on me la fait tout le temps !

CHANAL (sans l'écouter, cherchant dans ses souvenirs.)
"Massenay" ? "Massenay" ?(Brusquement, redescendant de quelques pas dans sa direction.)
Vous n'avez pas été élève à Saint-Louis ?

MASSENAY (avec une jovialité étonnée.)
Oui, jusqu'en seconde.

CHANAL (ravi.)
C'est ça ! Mais moi aussi ! Elle est bien bonne !… Chanal ! tu ne te rappelles pas Chanal ?

MASSENAY (consultant ses souvenirs.)
Chanal ?…
(Il est placé de façon à tourner légèrement le dos à CHANAL.)

CHANAL (étourdiment, lui envoyant un bon renfoncement dans le dos.)
Mais si, voyons… idiot !

MASSENAY (instinctivement, se mettant sur la défensive.)
Vous dites ?

CHANAL (confus.)
Oh ! pardon !

MASSENAY (se remettant dans la situation.)
Non, non ! Allez donc !… du moment que nous avons été camarades ! Seulement, n'est-ce pas ? sur le moment !… la passe a été si rapide !!! j'ai été pris au dépourvu… Mais un instant ! le temps de réendosser ma tunique de potache et ça va aller tout seul !… (Prenant du champ et lui envoyant à son exemple une formidable tape dans le dos.)
Alors, tu disais donc, idiot?

CHANAL (exultant.)
Aha ! A la bonne heure ! Toujours le même !… vieux copain!… (Bien face à luit en le -prenant par les deux revers de sa jaquette.)
Je disais donc : Tu ne te rappelles pas Chanal ?

MASSENAY (cherchant.)
Attends donc ! C'est pas un petit dont on disait que le père était cocu ?…

CHANAL (bien naturellement.)
Mais non voyons, c'est moi !

MASSENAY (décontenancé par son impair.)
Oh ! Oh !… Mais oui que je suis bête! je le sais bien parbleu, que c'est toi, puisque je suis ici !… Où avais-je la tête ?

CHANAL
A la bonne heure ! Tu me reconnais maintenant. Ah ! vieux copain va!… (Dans un besoin d'expansion, il attire brusquement MASSENAY à lui en lui faisant un étau de son bras droit passé le long des épaules ; MASSENAY répond à son élan en lui passant le bras autour de la taille et ainsi, hanche contre hanche, ils arpentent la scène, d'abord vers la droite puis vers la gauche)
Ça me fait plaisir de te revoir…

MASSENAY
Mais… moi aussi.

CHANAL
Il n'y a pas, quand on a usé ses culottes ensemble au collège et qu'on se retrouve… eh ! ben tu sais… (S'arrêtant, lâchant MASSENAY et avec profondeur)
On se crée de nouvelles connaissances dans la vie, mais un camarade d'enfance, ça ne se refait pas !…

MASSENAY (qui s'est arrêté en même temps que CHANAL, gagnant t'extrême gauche, blagueur.)
Oui… surtout à notre âge !

CHANAL
C'est vrai ! (Sentimental)
Ah ! c'est loin tout ça !… (Changeant de ton)
Mais tiens, assieds-toi donc. (Il lui indique le canapé, sur lequel ils s'asseyent tous deux. Une fois qu'ils sont bien assis, CHANAL, revenant à ses souvenirs de jeunesse, joyeusement)
Ah ! ce bon Massenay ! Dis donc : tu te rappelles Bourrache ?… qui était si rigolo ?…

MASSENAY (souriant et intéressé.)
Oui.

CHANAL
Je le vois quelquefois.

MASSENAY
Ah ?

CHANAL
Il n'a pas changé, figure-toi ! toujours aussi rigolo !

MASSENAY
Allons donc !

CHANAL
Oui ! Ah ! il porte la joie avec lui cet homme là… Il est huissier.

MASSENAY
Ah !… joyeux en effet !

CHANAL
Eh ! bien et Poteau ? Tu te rappelles Poteau ?

MASSENAY
Non.

CHANAL
Mais si : qui avait une sœur qui venait le voir au parloir… (Voyant que MASSENAY n'a pas l'air de se rappeler, cherchant à lui rafraîchir la mémoire)
Une sœur qui nous faisait de l'œil !… Allons ! voyons !… elle louchait ! Même ça lui permettait de faire de l'œil à deux élèves à la fois… (Désappointé)
Tu ne te rappelles pas Poteau ?

MASSENAY
Pas du tout !

CHANAL (n'en revenant pas.)
C'est drôle !… (Changeant de ton)
Eh ! bien il est mort.

MASSENAY (avec un soubresaut comme s'il avait reçu un choc ; puis.)
Poteau est mort ?… Oh !… pauvre Poteau !…

CHANAL (avec conviction.)
C'est triste hein ?… à notre âge !

MASSENAY (avec intérêt.)
Oh !… Et de quoi ?

CHANAL (avec un geste désolé.)
Une affection au cœur…

MASSENAY (avec compassion.)
Au cœur !

CHANAL
Oui… pour une actrice… qui avait trop de tempérament!… C'est ça qui l'a tué : un jour après déjeuner… on lui avait pourtant dit que sur la digestion!…

MASSENAY
Aïe ! aïe aïe !

CHANAL
Oui je t'en fiche!… Ah! ça n'a pas traîné : il a été enlevé… Vlan!… sur le coup.

MASSENAY
Sur le coup ? (Douloureusement)
Ah !… pauvre Poteau !

CHANAL (hochant la tête tristement.)
Ah ! oui… (Il reste un instant rêveur; soudain sa figure change d'expression, il regarde MASSENAY, puis)
Mais au fait qu'est-ce que tu me chantes ?… t'as pas pu le connaître Poteau : c'est à Henri IV que j'ai été avec lui.

MASSENAY
Ah ! à la bonne heure ! je me disais aussi… mais alors je m'en fous!… qu'est-ce que tu veux que ça me fasse qu'il soit mort, Poteau ?

CHANAL (se levant et gagnant le milieu de la scène.)
C'est vrai, puisqu'il était à Henri IV.

MASSENAY (se levant également.)
D'ailleurs je peux dire que du collège, je ne vois plus personne ! Quand on est sur les bancs, on croit qu'on sera amis pour la vie, et puis… chacun va de son côté… Il n'y en a guère qu'un avec qui j'aie conservé des relations… un qui a fait son chemin, celui-là !… D'ailleurs c'est toujours ceux-là qu'on retrouve… ceux-là ou les tapeurs !… Je ne sais pas si tu t'en souviens, c'est le député Coustouilllu.

CHANAL (gaîment.)
Coustouillu ! Ah ! bien je te crois ! (Remontant légèrement dans la direction de la porte de gauche qu'il indique)
Il est ici !

MASSENAY (qui a suivi son mouvement.)
Ici ?

CHANAL (redescendant.)
Oui, en train de tenir compagnie à ma femme. C'est un de mes amis intimes ! Il ne décolle pas de la maison.

MASSENAY
Allons donc ! Ah ! bien c'est curieux : moi, je suis très lié avec lui, il ne m'a jamais parlé de toi.

CHANAL
Oh ! bien, cependant !…

MASSENAY
Ah ! tu le connais ?… Eh ! bien, hein ? le malheureux ! Crois-tu que son amour le met dans un état ?

CHANAL (bien naïvement.)
Son amour ?… Il a un amour ?

MASSENAY
Il ne te l'a pas dit ?

CHANAL
Non !

MASSENAY
Comment, mais il ne parle que de ça. Un amour sans espoir.

CHANAL
Ah ! bien par exemple ! Pour qui ?

MASSENAY
Ah ! ça… Je sais que c'est une femme mariée, mais voilà tout. Coustouillu, c'est la discrétion même : il m'entretient de ses intrigues, mais anonymement.

CHANAL
Il ne m'en a pas ouvert la bouche !… Est-il bête de faire des cachotteries avec moi !… sans compter qu'à lui tout seul il n'arrivera à rien.

MASSENAY (s'asseyant de côté sur la chaise à gauche de la table, de façon à faire face à CHANAL et à être adossé à la table.)
C'est bien ce qui l'enrage.

CHANAL
Au moins, moi, j'aurais pu lui être de bon conseil… je lui aurais dis ce qu'il y avait à faire ; je connais la femme !

MASSENAY (curieux.)
Tu la connais ?

CHANAL (remettant les choses au point.)
Je connais la femme… en général ! Enfin, je ne sais pas, j'aurais été le clairon qui sonne la charge ! "Aïe donc, là !… en avant marche !… C'est qu'ça donc ! on" n'a donc pas de c… cœur au ventre ! " J'aurais même dit la chose plus crûment, mais pour toi, je mets des formes.

MASSENAY
Si tu crois que je ne lui ai pas dit tout ce qu'il y avait à dire…

CHANAL
Eh bien, qu'est-ce qui le gêne ? le mari ?

MASSENAY
D'abord.

CHANAL
La belle affaire ! Quand il y aurait un cocu de plus !…

MASSENAY
Ecoute, je ne voudrais pas non plus le faire meilleur qu'il n'est… Je crois que le mari n'est que la raison secondaire ; au besoin, il passerait très bien par-dessus… Mais ce, sur quoi il ne saurait passer, c'est sa sotte timidité : Le malheureux, il n'a pas de chance ! Dès qu'il est amoureux d'une femme, il n'y a plus personne !… Tant qu'il n'est pas arrivé à ses fins, il est comme un idiot, et naturellement, par simple réciproque, tant qu'il est comme un idiot, il n'arrive pas à ses fins… ce qui fait qu'il suffit qu'il soit épris d'une femme, pour être sûr de se brosser.

CHANAL
Pauvre bougre !

MASSENAY (se levant.)
A moins !… à moins que, par une de ces coïncidences inespérées, la femme n'en vienne elle-même à faire les avances ou à le prendre de force.

CHANAL
Ce qui est peu probable.

MASSENAY
Oui… surtout avec la femme mariée en question… Il paraît qu'elle ne fait pas plus attention à lui que s'il n'existait pas !… et alors lui, il est annihilé, quand elle est là ; il bafouille, il rougit, il n'ose pas ouvrir la bouche, il ne sait pas où se mettre !…

CHANAL (avec bonhomie.)
Oh ! ça, tu sais, il est comme ça ici ; alors !…

MASSENAY (interdit.)
Ah ! il ?…

CHANAL (flairant subitement la réalité.)
Eh ! mais, dis donc !…

MASSENAY (vivement, le comprenant à demi-mot.)
Non, non !

CHANAL
Si, si ! (Avec jovialité, en se donnant une tape sur la cuisse.)
Ah ! bien, elle serait pommée, celle-là !… La femme mariée : c'est peut-être ma femme.

MASSENAY
Ta femme ?…

CHANAL
Mais oui !… son trouble devant elle, ses bafouillages : je m'explique maintenant !…

MASSENAY (affolé de son impair, essayant de le réparer.)
Hein ! Mais non ! mais non ! Qu'est-ce que tu vas t'imaginer ?… En voilà une idée !… Est-ce que j'aurais été te raconter ?… Ah ! bien, j'ai fait un joli coup !… si tu vas te fourrer dans la tête, maintenant !… Ah ! là, là… En voilà une gaffe !

CHANAL (sans s'émouvoir et avec un bon sourire d'insouciance.)
Mais laisse donc! ça n'a pas d'importance !… Je trouve ça très drôle, au contraire… En somme, quoi ? il est amoureux de ma femme ?… eh, bien ! où est le mal ?… tant que ça ne va pas plus loin !… et comme ma femme est une femme honnête.

MASSENAY (avec conviction.)
Oh ! oui.

CHANAL (très positif.)
Oui, toi tu n'en sais rien ; tu dis ça par politesse ; mais moi, je le dis parce que je la connais… Par conséquent, de ce côté, je suis bien tranquille ; d'autre part, Coustouillu : pas dangereux !…

MASSENAY (avec conviction.)
Oh ! non.

CHANAL
Tant que je le verrai bafouiller avec ma femme, je pourrai être tranquille comme Baptiste.

MASSENAY
Oh ! comme tous les Baptistes réunis !

CHANAL (ne pouvant s'empêcher de rire.)
Oh ! que c'est drôle. Non, Coustouillu amoureux de ma femme !… Ah !… il faut que je lui dise ça pour la faire rire !… (Passant au-dessus du piano pour gagner la porte par où est sortie FRANCINE et appelant.)
 : Francine ! VOIX DE FRANCINE, à la cantonade. Quoi ?

MASSENAY (allant jusqu'au piano.)
Oh ! surtout, eh !… pas un mot de tout ça à Coustouillu ! Il ne me le pardonnerait pas !

CHANAL
Voyons ! ça va sans dire… (Riant.)
Le pauvre garçon, il en aurait une congestion !

MASSENAY (riant également.)
Comme Poteau.

CHANAL (riant.)
Oui… (Changeant de ton.)
Eh ! là ! hé ! mais préventive, celle-là!

MASSENAY
Naturellement !

CHANAL (appelant à nouveau.)
Eh ! bien Francine !

VOIX DE FRANCINE
Mais quoi ?

CHANAL
Eh bien, viens !
(Il redescend entre mur et piano pour gagner le milieu de la scène en passant devant le canapé.)

Autres textes de Georges Feydeau

Un fil à la patte

"Un fil à la patte" est une comédie en trois actes de Georges Feydeau. Elle raconte l'histoire de Fernand de Bois d'Enghien, un homme qui souhaite rompre avec sa maîtresse,...

Un bain de ménage

"Un bain de ménage" est une pièce en un acte de Georges Feydeau. Elle se déroule dans un vestibule où une baignoire est installée. La pièce commence avec Adélaïde, la...

Tailleur pour dames

(Au lever du rideau, la scène est vide.)(Il fait à peine jour. Étienne entre par la porte de droite, deuxième plan.)(Il tient un balai, un plumeau, une serviette, tout ce...

Séance de nuit

(JOSEPH PUIS RIGOLIN ET EMILIE BAMBOCHE Au lever du rideau, Joseph achève de mettre le couvert. Par la porte du fond, qui est entr'ouverte, et donne sur le hall où...

Par la fenêtre

Un salon élégant. Au fond, une porte donnant sur un vestibule : à gauche, premier plan, une fenêtre ; — à droite, second plan, une cheminée, surmontée d'une glace ; ...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024