ACTE III - SCENE III



LES MEMES, BELGENCE.

SOPHIE (voyant entrer BELGENCE introduit par AUGUSTE.)
Ah ! vous !…

BELGENCE (entrant rapidement et courant à elle, pendant qu'AUGUSTE sort en emportant la lampe qu'il éteint.)
Eh ! bien, quoi donc, ma pauvre amie ? Qu'est-ce qui se passe ?
(Il s'assied près d'elle et lui prend les mains dans les siennes.)

SOPHIE
Ah ! mon ami, je suis folle d'inquiétude ! Vous me pardonnerez de vous avoir téléphoné à pareille heure…

BELGENCE
Mais, comment donc !… Vous savez bien que…

SOPHIE (sans l'écouter.)
… Mais, je me trouvais tellement désemparée ! tellement seule !… j'ai éprouvé le besoin de sentir un ami près de moi… quelqu'un qui pût m'être un appui, un conseil… Je ne sais plus où donner de la tête ! Mon mari ! Mon mari qui n'est pas rentré à cette heure-ci !

BELGENCE
Oui, c'est ce que vous m'avez téléphoné. C'est épouvantable !

SOPHIE
Qu'est-ce qu'il a pu devenir, mon Dieu ? Car enfin, ça n'est pas naturel ; ça ne lui est jamais arrivé ; je le disais encore tout à l'heure… à l'homme du téléphone, tenez !… Ah ! il y a un malheur, bien sûr !.

BELGENCE (se levant et descendant légèrement.)
Un malheur ! Comme vous y allez ! Un malheur n'arrive pas comme ça !

SOPHIE
Ah ! Laissez donc… je ne me fais pas d'illusions maintenant… (Eclatant en sanglots.)
Il est mort, mon Dieu, il est mort !

BELGENCE (revenant à elle, et sans s'asseoir, essayant de la réconforter.)
Voyons! Voyons ! Ah ! là, mon Dieu !

SOPHIE (toujours sanglotant.)
Vous ne voyez toujours rien, Marthe ?

MARTHE (du seuil de la fenêtre.)
Rien Madame.

SOPHIE (id.)
Là, vous l'entendez ! ce n'est pas moi qui le lui fais dire.

MARTHE (pleurant.)
Ça, c'est la vérité : je dirais le contraire que je mentirais !

BELGENCE (à SOPHIE, affectueusement bourru.)
Allons, voyons, voyons !… On est des hommes que diable ! tout n'est pas perdu ; et tant qu'il y a de l'espoir, on n'a pas le droit de se laisser abattre ! il faut agir !

SOPHIE
Mais quoi ? quoi ? Qu'est-ce que vous voulez que je fasse ?

BELGENCE
Je ne sais pas, mais il faut !… Tenez, moi, j'ai agi : J'avais à passer devant le commissariat pour venir ici ; je suis entré. Le commissaire est un de mes amis ; je lui ai dit : "Mon cher Planteloup, il faut m'accompagner chez madame Massenay qui a égaré son mari…" Il m'a répondu : "Je vous suis. " Et il va venir. Il n'est pas très fort… mais enfin, il est de la police, il peut nous être utile.

SOPHIE (sanglotant la tête dans ses mains, les coudes sur les genoux.)
Il est mort, mon Dieu, il est mort.

BELGENCE
Ah ! là, mon Dieu ! s'il est permis de se mettre dans un état pareil… (S'asseyant à côté d'elle et s'efforçant de la consoler.)
Mon amie, je vous en supplie…! pour moi ! ça me fait mal de vous voir pleurer comme ça ! Voyons, voyons !… je vous en supplie Sophie !…(S'agenouillant devant elle.)
Sophie !… Vous savez que je vous ai toujours aimée.

SOPHIE (relevant la tète, et sur un ton indigné.)
Quoi ?

BELGENCE (la main droite sur son front, le regard dans l'espace, sans même se rendre compte de l'énormité de son aveu.)
Oh ! oui, je vous ai aimée ! Je me suis toujours tu, parce que vous étiez mariée… Mais puisqu'aujourd'hui je puis parler…

SOPHIE (se dressant tout debout, et avec indignation.)
Mais c'est horrible ce que vous dites là !
(Elle passe au 2, laissant BELGENCE tout seul à genoux.)

BELGENCE (ahuri, sans se lever.)
Quoi ?

SOPHIE
Me faire une déclaration en un pareil moment !

BELGENCE (se levant et allant à elle.)
Moi ! moi ! j'ai fait une déclaration ?

SOPHIE
Ah ! Taisez-vous ! taisez-vous ! Un tel sacrilège !… Mais quelle femme croyez-vous donc que je sois, pour supposer que j'écouterais favorablement une déclaration ?… alors que mon mari n'est plus !

BELGENCE
Mais non, mais non ! vous n'avez pas compris !… C'était une façon de vous dire que je vous étais tout dévoué… que vous pouviez user de moi,. , compter sur moi…

SOPHIE (avec un revirement complet, s'adossant contre la poitrine de BELGENCE.)
Ah ! c'est ça, c'est ça ! dites-moi ça ! Voyez-vous c'eût été trop mal… vis-à-vis de lui, le pauvre cher homme… (Mélodramatiquement.)
Ah ! il vous aimait bien allez !

BELGENCE (touché.)
Pauvre Emile !

SOPHIE
Hier encore il me le disait : "Ce brave Belgence, il n'est pas toujours amusant mais c'est un bon garçon ! (BELGENCE ému, s'essuie du bout du doigt une larme qui perle au coin de l'oeil.)
Qui est-ce qui aurait pu penser, quand il me disait ça hier, qu'aujourd'hui… !

BELGENCE (avec un hochement de tète.)
Oui !
(Profond soupir des deux personnages. On sonne.)

SOPHIE (bondissant.)
On a sonné ! (Appelant en remontant)
Marthe !

BELGENCE (appelant.)
Marthe !

SOPHIE (s'égosillant.)
Maaarthe ! (MARTHE accourt effarée.)
On a sonné, voyons!

MARTHE
Oui, Madame !
(Elle se dirige en courant vers la porte donnant sur le vestibule.)

BELGENCE
Ça doit être M. Planteloup, le commissaire de police.
(Au moment où MARTHE est déjà sur le pas de la porte, celle-ci s'ouvre brusquement et AUGUSTE allant presque donner dans la bonne, fait irruption.)

AUGUSTE
Madame, c'est M. Planteloup, commissaire de police.

SOPHIE
Vite ! Faites-le entrer.
(Elle redescend devant le canapé pendant qu'AUGUSTE remonte pour introduire PLANTELOUP. BELGENCE remonte également à la rencontre de ce dernier.)

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