ACTE III - SCENE VIII
HUBERTIN, puis MASSENAY, AUGUSTE.
HUBERTIN (il est dans la tenue du second acte, c'est-à-dire complètement dévêtu, recouvert simplement de son grand pardessus; il a son chapeau claque sur la tête.)
N'ayez donc pas peur mes poulettes! C'est moi! Hubertin!… C'est peureux les femmes! (Il va s'asseoir à droite de la table apercevant le service à thé.)
Tiens du thé… c'est gentil d'y avoir pensé !… Après une nuit de bombe, une tasse de thé, ça remonte. (Tout en parlant, il vide le flacon de rhum dans la tasse sans y verser, bien entendu, la moindre goutte de thé; il prend le sucrier comme quelqu'un qui va se servir, puis, le remettant en place.)
Non, merci ! jamais de sucre dans mon thé. (Buvant sa tasse d'un trait.)
Ah ! ça fait du bien l (Après réflexion.)
Un peu froid!
AUGUSTE (faisant irruption du fond; apercevant sur le champ HUBERTIN, à MASSENAY qui surgit aussitôt.)
Là! Monsieur, là! il est là!
MASSENAY (accourant.)
Où ça? où ça? (Courant à HUBERTIN?)
Ah! par exemple vous allez me fiche le camp, vous! et un peu vite!
HUBERTIN (avec calme, sans bouger de sa place.)
Ah ! Emile, tu sais! faut pas me parler comme ça.
MASSENAY
Oui, attendez! je vais mettre des gants!… Allez! allez! ou je vous fais sortir par mon domestique.
(AUGUSTE esquisse la volte discrète d'un homme qui n'a aucune envie d'en venir aux mains.)
HUBERTIN (sévèrement, en se levant.)
Emile !
MASSENAY
Et puis, il n'y a pas d'Emile! Je vous défends de m'appeler "Emile" ! vous ne me connaissez pas…
HUBERTIN (se tordant.)
Ah! maman… !
(Il passe à gauche et va s'affaler sur un canapé.)
MASSENAY (désespéré.)
Ah ! mon Dieu, mon Dieu !
HUBERTIN
Ecoute !
MASSENAY (bourru.)
Non.
HUBERTIN (levant la main comme un écolier.)
Je voudrais poser une question !
MASSENAY
Rien du tout…
HUBERTIN (se levant.)
Une question, et je pars.
MASSENAY (rongeant son frein.)
Oh!… Eh bien! quoi? dépêchez-vous !
HUBERTIN
Pourquoi as-tu pris mes vêtements?
AUGUSTE
Hein?
MASSENAY (gêné à cause d'AUGUSTE.)
Moi! moi j'ai…!
HUBERTIN (se laissant tomber contre MASSENAY qui le retenait du plat de la main, le bras tendu.)
Evidemment, puisqu'on ne les a pas retrouvés dans la chambre.
AUGUSTE (à MASSENAY.)
Comment, alors les vêtements que Monsieur avait, c'était…?
MASSENAY (arc-bouté contre HUBERTIN pour l'empêcher de tomber sur lui. A AUGUSTE.)
Quoi? quoi? de quoi vous mêlez-vous? Qu'est-ce que vous allez vous imaginer? Puisqu'ils viennent d'Amiens mes vêtements.
HUBERTIN (parlant dans le nez de MASSENAY, ce qui le fait pivoter autour de ce dernier toujours arc-bouté contre lui.)
Moi, tu sais, ce que j'en fais, c'est pas pour moi! C'est Gaby qui m'a flanqué à la porte, en me disant : "Tu ne rentreras que quand tu auras retrouvé tes vêtements ! "
MASSENAY
Oui, bon! ça va bien! Je vais vous en faire donner des vêtements; mais à une condition : c'est que vous ficherez le camp après. (Signe d'acquiescement d'HUBERTIN.)
C'est juré?
HUBERTIN (tendant le bras devant lui comme pour prêter serment, et envoyant un jet de salive dans le visage de MASSENAY toujours arc-bouté contre lui.)
Tthue!… c'est juré!
MASSENAY (le repoussant loin de lui et s'essuyant la figure.)
Oh!… cochon.
HUBERTIN (que cette poussée augmentée de son propre poids envoie jusqu'à la gauche de la table.)
Oh! Eh! ben quoi, on se quitte?
MASSENAY (d'une voix désespérée.)
Oh ! non, non ! mais qui est-ce qui a donné mon adresse à cet homme-là ?
HUBERTIN
Chut, là! eh!… c'est notre concierge! chut.
(Il s'affale sur la chaise.)
MASSENAY
Notre c… ! Ah ! bien ! celui-là, quand je le verrai !