ACTE II - SCENE IV



MASSENAY, HUBERTIN, FRANCINE, LE COMMISSAIRE, CHANAL, le secrétaire du commissaire, un serrurier.

CHANAL (redescendant et à lui-même avec désillusion.)
Massenay ! C'était Massenay !

LE COMMISSAIRE
Inutile de vous cacher, madame.

CHANAL
Ce n'était pas Coustouillu !
(Le secrétaire et le serrurier, qui étaient restés sur le pas de la porte, descendent se ranger à droite.)

LE COMMISSAIRE (voyant que FRANCINE ne répond pas.)
Vous entendez, madame?

FRANCINE (sortant la tête de dessous les couvertures.)
Monsieur?

CHANAL (indigné.)
Toi ! Toi, malheureuse !

FRANCINE (de l'air le plus ingénu, la voix très perchée.)
Quoi?… Quoi?… Qu'est-ce que tu vas encore t'imaginer?

CHANAL (ahuri de son aplomb.)
Comment?

FRANCINE (id.)
Alors, parce que tu me trouves ici…?

CHANAL
Ah! non, non, je t'en prie… (Au commissaire.)
Monsieur le commissaire, veuillez… !

FRANCINE (qui s'est levée à ce mot, tout en restant au bord du lit, en protégeant ses épaules nues avec les couvertures. Jouant l'indignation.)
Le commissaire ! (Donnant une légère tape sur l'épaule de MASSENAY pour en appeler à lui.)
C'est ça, il me soupçonne !…

MASSENAY
C'est admirable !

FRANCINE
C'est bien, monsieur le commissaire, je ne m'abaisserai pas jusqu'à me disculper… Constatez, monsieur, constatez!

MASSENAY (effondré.)
Mon Dieu, que c'est embêtant !

LE COMMISSAIRE
Vous reconnaissez madame que vous êtes Mme Francine Moustier, femme Chanal?

FRANCINE
Je le reconnais, monsieur.

LE COMMISSAIRE
Et vous, monsieur?

MASSENAY (comme sortant d'un rêve.)
Moi aussi.

LE COMMISSAIRE
Non ! Votre état-civil.

MASSENAY (se levant.)
Ah ! mon…? Emile Massenay.

LE COMMISSAIRE
Massenay?
(Instinctivement il met la main à son chapeau.)

MASSENAY
Non, non!

CHANAL (avec pitié.)
Non!… Ça n'est même pas lui!

MASSENAY
…Trente-sept ans, rentier, demeurant 28, rue de Longchamp.

LE COMMISSAIRE
Et vous reconnaissez avoir été surpris tous les deux en flagrant délit!…

FRANCINE (commençant à perdre patience.)
Tout, monsieur le commissaire, tout… et encore davantage. Ça vous suffit-il?

LE COMMISSAIRE
Mon Dieu, je crois qu'on serait exigeant d'en demander plus que ça. (A CHANAL.)
N'est-ce pas?…
(Geste d'acquiescement de CHANAL.)

FRANCINE (comme une femme qui en a pris son parti. Sur un ton aigre.)
Bon ! eh! bien, maintenant, monsieur le commissaire, je voudrais bien m'habiller, par conséquent, n'est-ce-pas… ?
(Tout en parlant, elle enfile son corsage.)

LE COMMISSAIRE
Comment donc ! nous n'avons plus qu'à nous retirer… Vous voudrez bien seulement, Madame… (A MASSENAY.)
et Monsieur, passer aujourd'hui à notre commissariat entre une heure et deux pour signer le procès-verbal de constat que je vais faire préparer… (Signe d'assentiment de la part de MASSENAY et FRANCINE. A CHANAL.)
Monsieur Chanal, vous avez des instructions à me donner… si vous voulez m'accompagner…

CHANAL (remontant pendant que le secrétaire et le serrurier sortent de scène.)
Je vous suis!(En remontant il est forcé de passer devant MASSENAY qui s'escrime toujours à chausser ses souliers. Il l'a à peine dépassé qu'il s'arrête et d'un air méprisant par-dessus son épaule.)
Vous venez, monsieur?

MASSENAY (le corps courbé sur ses souliers, sans relever la tête.)
Oui monsieur! Seulement…

CHANAL
Seulement quoi ?

MASSENAY
C'est mes souliers… (Relevant la tête seulement à ce moment et bien naïvement.)
Vous n'auriez pas une corne?

CHANAL (se cabrant sous l'éperon.)
Vous dites?.

MASSENAY (s'apercevant de son impair.)
Non-non ! Non-non !

CHANAL
Ah ! çà, monsieur, c'est une plaisanterie ?

MASSENAY (vivement.)
Je vous assure! Je n'ai pas voulu…

CHANAL (avec dignité.)
C'est bien, monsieur; vous voudrez bien être à une heure au commissariat… (Remontant et trouvant le commissaire qui attend.)
Passez, monsieur le commissaire.

LE COMMISSAIRE (poliment.)
Je vous en prie.

CHANAL (lui rendant sa politesse.)
Je n'en ferai rien !

LE COMMISSAIRE (s'incline puis.)
Vous êtes chez vous.
(Il passe.)

CHANAL (le suivant tout en protestant contre son affirmation.)
Hein ?… Mais pas du tout ! mais pas du tout ! je ne suis pas chez moi !

LE COMMISSAIRE (sortant, tout en marchant la tête tournée du côté de CHANAL à qui il parle.)
Pardon! Ce n'est pas ce que je voulais dire.
(Ils sortent.)

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