ACTE I - SCENE V



COUSTOUILLU, HUBERTIN, puis FRANCINE.
(COUSTOUILLU, toujours debout derrière le piano, attend bien que les deux personnages soient sortis ; alors se ressaisissant brusquement, il lance comme un regard de défi dans la direction d'HUBERTIN, donne un bon coup de poing sur le couvercle du piano, puis allant droit à HUBERTIN et lui mettant son doigt presque sous le nez, avec une rage débordante.)

COUSTOUILLU
Vous devez me prendre pour un imbécile, hein ?

HUBERTIN (ahuri de cette sortie intempestive.)
Moi !

COUSTOUILLU (gagnant la gauche en arpentant la scène.)
Si, si, je sais ce que je dis ! (Faisant demi-tour sur place.)
Eh ! bien il est possible que j'aie pu en avoir l'air ; mais vous saurez que je ne le suis pas.

HUBERTIN
Mais monsieur, jamais, je vous assure !…

COUSTOUILLU (esquissant à nouveau son mouvement vers la gauche.)
Oui, oui ! ça va bien !(Revenant sur HUBERTIN.)
Eh ! bien je vous montrerai moi que je ne suis pas un imbécile… Je voudrais que quelqu'un vienne me le dire en face !… Je lui ferais voir, moi, si je suis un imbécile.
(Il regagne vers la gauche.)

HUBERTIN (exagérément aimable.)
Vous ? mais tout le monde le sait bien !

COUSTOUILLU (faisant brusquement demi-tour sur lui-même.)
Quoi ? Que je suis un imbécile ?

HUBERTIN (inconsidérément.)
Oui… hein ! Mais non ! Qu'est-ce que vous me faites dire !… Un imbécile vous ! Mais qui pourrait penser ça?

COUSTOUILLU (regagnant la gauche.)
Oui. , oh !

HUBERTIN
Vous qui soutenez un ministère ou le renversez comme un château de cartes…

COUSTOUILLU (qui est arrivé à l'extrême gauche, se retournant brusquement avec un coup de poing sur le coin du couvercle du piano.)
Oui. Eh ! bien je l'engage à se tenir le Ministère. Ah ! j'ai l'air d'un imbécile ! eh ! bien je lui ferai voir demain au Ministère si je suis un imbécile ! Ah !… ça me soulagera.
(Il remonte nerveusement en passant derrière le piano.)

HUBERTIN (à part.)
Mais qu'est-ce qu'il a ?

COUSTOUILLU (dans le cintre du piano. -)
Ah ! mais vous ne me connaissez pas ! Je monterai à la Tribune, et savez-vous ce que je dirai à la Chambre, eh ! bien je lui dirai mille tonnerres !…

FRANCINE (arrivant de gauche et descendant par le milieu de la scène.)
Voilà, c'est fait !…

COUSTOUILLU (brusquement paralysé par l'entrée de FRANCINE.)
Euh je… euh! je… c'est… c'est euh !…

FRANCINE
Mais qui est-ce qui criait donc comme ça ? (A HUBERTIN.)
C'est vous, monsieur ?

HUBERTIN
Non… c'est monsieur.

FRANCINE
Vous, monsieur Coustouillu ? Ce n'est pas possible !

COUSTOUILLU (essayant de se donner l'air dégagé.)
Oui. Oh !… Pffu !
(Dans son trouble il a pris machinalement le chapeau de FRANCINE laissé sur le piano et s'évente avec. Il s'en aperçoit peu de temps après, fait un "oh ! " à peine perceptible et repose vivement le chapeau à sa place.)

FRANCINE
Monsieur Coustouillu élevant la voix ! Oh ! je regrette de n'avoir pas vu ça ! pour la rareté du fait !…

COUSTOUILLU (riant jaune.)
Oho !

HUBERTIN (à part.)
Quel drôle de personnage.

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