ACTE III - SCENE V



LES MÊMES, AUGUSTE, puis LAPIGE.

SOPHIE (allant à AUGUSTE qui descend.)
Eh bien, qu'est-ce que c'est ?

AUGUSTE
Madame, c'est un maçon.

TOUS
Un maçon ?

AUGUSTE
Qui apporte les vêtements de Monsieur.

TOUS
Hein ?

SOPHIE
Comment, les vêtements de monsieur ?

AUGUSTE
Oui, Madame… qu'il a trouvés dans la rue.

TOUS (stupéfaits.)
Oh !

SOPHIE
Dans la rue ?

BELGENCE
Les vêtements de monsieur ?

SOPHIE
Eh ! bien, et monsieur ? et monsieur ?

BELGENCE et PLANTELOUP
Oui ?

AUGUSTE (avec un geste de découragement.)
Il n'était pas dedans !

PLANTELOUP
Pas dedans !

SOPHIE
Voyons ! voyons, ce n'est pas possible !

AUGUSTE
Dame, autant que j'ai pu comprendre, parce qu'à vrai dire ce maçon…

SOPHIE
Quoi ? il ne parle pas français ?

AUGUSTE
C'est pas ça ; mais il aboie.

SOPHIE, BELGENCE, PLANTELOUP
Hein ?

AUGUSTE
Alors c'est un peu disloqué tout ce qu'il dit.

SOPHIE
Allez ! Allez ! faites-le entrer, nous verrons bien.

AUGUSTE
Oui, Madame.

PLANTELOUP
C'est ça ! c'est ça.
(Sortie d''AUGUSTE.)

SOPHIE (à BELGENCE.)
Ses vêtements ! ses vêtements dans la rue ! Qu'est-ce que ça peut vouloir dire ?

BELGENCE
On ne peut pourtant pas admettre qu'il se promène tout nu.

PLANTELOUP (qui était remonté, redescendant en se frottant les mains.)
Bravo ! ça se corse, ça se corse !
(Il va côté gauche de la table parler à son secrétaire.)

SOPHIE (à BELGENCE, indiquant PLANTELOUP.)
Non, mais regardez-le, il est content lui ! il est content !

BELGENCE (essayant de la calmer.)
Voyons ! Voyons !

SOPHIE (rageuse.)
Oh !

AUGUSTE (introduisant LAPIGE.)
Là ! entrez !
(Entre LAPIGE, figure réjouie, heureux de vivre. Il tient sa casquette à la main et avance d'un pas chaloupant.)

SOPHIE
C'est vous… ? C'est vous qui avez trouvé les vêtements… ?

PLANTELOUP (lui coupant la parole.)
Permettez ! Permettez ! c'est à moi à poser les questions.

SOPHIE
Non, mais pardon, je veux lui demander…

PLANTELOUP
Justement ! justement, c'est moi que ça regarde.

SOPHIE
C'est trop fort ! Enfin, il me semble que ça m'intéresse plus que vous !

PLANTELOUP
Oh ! je vous en prie, madame, veuillez ne pas empiéter sur mes attributions.

SOPHIE (hors de ses gonds.)
Oh !
(Elle se laisse emmener pas BELGENCE qui l'exhorte au calme, et se résigne à s'asseoir sur le fauteuil qu'elle occupait précédemment.)

PLANTELOUP (qui a repris sa place à droite de la table.)
Avancez mon ami. (LAPIGE s'avance.)
C'est vous alors qui avez trouvé les vêtements de monsieur Massenay dans la rue ? (Au moment où LAPIGE va répondre, PLANTELOUP à SOPHIE)
C'est bien ce que vous vouliez demander, madame ?

SOPHIE (avec humeur.)
Mais oui, monsieur ! mais oui.

PLANTELOUP
Vous voyez que je pouvais le faire aussi bien que vous et au moins vous ne risquez pas de poser une question inconsidérée qui pourrait entraver la marche de notre enquête.(SOPHIE hausse les épaules. A LAPIGE.)
Répondez mon ami.

LAPIGE
Euh… (Aboyant.)
Ouahouah ! ouahouah ! ouahouah !

SOPHIE (pendant que LAPIGE continue à aboyer.)
Ah ! mon Dieu.! qu'est-ce qu'il a ?

PLANTELOUP (sur les aboiements de LAPIGE.)
Qu'est-ce qui vous prend ?

AUGUSTE
C'est ce que j'ai dit à Madame.

LAPIGE (qui n'a pas cessé d'aboyer pendant ces répliques.)
…Ouahouah ! Ne faites pas attention messieurs, madame, ça me prend comme ça dans les moments d'émotion et puis…(Grognement de chien.)
rrrrre… ouah !… Ça passe !

BELGENCE
Comme c'est curieux.

SOPHIE
Voyons mon ami, ce n'est pas le moment de vous troubler.

PLANTELOUP
Aboyez une bonne fois, et que se soit fini.

LAPIGE
Merci, monsieur, ça va comme ça.

PLANTELOUP
Oui ? Alors dites-nous ce que vous savez.

LAPIGE
Eh ! bien voilà, je me rendais ce matin à mon chantier lorsque dans la rue du Colisée…

SOPHIE
Rue du Colisée ?

LAPIGE
A peu près devant le n° 21.

PLANTELOUP (au secrétaire.)
21, rue du Colisée, notez !

LAPIGE
J'ai trouvé ces vêtements que je reconnus devoir appartenir à un M. Massenay, 28, rue de Longchamp, grâce aux papiers que renfermait le portefeuille contenu dans les poches avec d'autres menus objets.
(Il remet l'habit au commissaire.)

PLANTELOUP
Ah ! voyons ? voyons ?
(BELGENCE et Sophie ont couru à la table et se partagent les vêtements avec le commissaire. Celui-ci prend le gilet, SOPHIE prend, l'habit, BELGENCE le pantalon, ils se mettent à fouiller les poches.)

SOPHIE
Le portefeuille ! Oui… ! oui, voilà !
(Elle le dépose tristement sur la table.)

PLANTELOUP
Une boîte à cachous.
(Il la pose sur la table.)

BELGENCE
Une bourse, un trousseau de clés.
(Il pose le tout sur la table.)

SOPHIE (fouillant une autre poche.)
Ses gants, son mouchoir.

PLANTELOUP (id.)
Une correspondance d'omnibus.

BELGENCE (id.)
De la menue monnaie.

PLANTELOUP (qui a introduit ses doigts dans une autre poche, poussant un cri.)
Oh !

TOUS
Quoi ?

PLANTELOUP (retirant sa main, avec un cure dent piqué au bout d'un doigt, entre ongle et chair.)
Un cure-dent ! c'est bête de mettre ça à même la poche !

BELGENCE (tirant un revolver de la poche à revolver.)
Un revolver.

SOPHIE (navrée retournant à sa place suivie de BELGENCE)(tous deux ont reposé, elle l'habit, lui le pantalon sur la table.)
Oui, tout ça est bien à lui !

PLANTELOUP (qui a pris en main le revolver.)
Toutes les cartouches sont intactes! ceci tendrait à prouver que la victime a été surprise puisqu'elle n'a pas eu à se servir de son arme.

SOPHIE (avec douleur.)
Mon Dieu !

PLANTELOUP (tout en remettant pendant ce qui suit les différents objets dans les poches, à l'exception du revolver qu'il oublie sur la table, à LAPIGE.)
Et comment se trouvaient-ils là ces vêtements, vous ne savez pas ?

LAPIGE (impuissant à répondre.)
Ah ! çà…? tout ce que je puis dire c'est qu'ils étaient là sur le ouahouah ! ouahouah ! ouahouah !

PLANTELOUP (pendant que l'autre aboie.)
Allons, bon, voilà que ça le reprend !

SOPHIE
Mais voyons, mon ami, puisque c'était fini.

BELGENCE
Ça allait si bien !

PLANTELOUP
Ne vous troublez pas mon garçon ! Sur le quoi, voyons ?

LAPIGE
Sur le ouahouah ! ouahouah !

SOPHIE (venant à son aide.)
Sur le trottoir ?

LAPIGE (grognement de chien.)
Rrrrre… ouah ! oui.

PLANTELOUP
Eh ! bien voilà "sur le trottoir" ! Ça n'est pas difficile ! Vous voyez madame le dit et elle ne se croit pas obligée d'aboyer. Diable ! ça va être commode si à chaque question… Il y a longtemps que ça vous est arrivé ?

LAPIGE
Cette nuit.

PLANTELOUP
Non, je parle de votre ouahouah !

LAPIGE
Ah !… c'est de naissance !

PLANTELOUP
Ah ?…

LAPIGE
C'est ma mère qui a été impressionnée par un lévrier…

PLANTELOUP (profond.)
Un lévrier ! oui… oui !

LAPIGE
Qui lui était grimpé dessus.

PLANTELOUP (id.)
Oui, je comprends ! de sorte que vous seriez né de madame votre mère et de ce lévrier ?

LAPIGE (se récriant.)
Mais non ! Mais non ! c'est pendant que ma mère était dans une position intéressante que ouah-ouah ! ouah-ouah !

PLANTELOUP (vivement.)
Oui-oui, oui-oui ! ne vous donnez pas la peine, j'ai compris. C'est comme qui dirait une envie à l'envers ! une envie dont on n'aurait pas eu envie ! Voilà oui, oui.

SOPHIE (agacée.)
Mais enfin, monsieur, nous sortons de la question ! Il s'agit de mon pauvre mari.

PLANTELOUP
Mais madame, je suis bien obligé pour étayer mes recherches… c'est drôle ça ! (A LAPIGE.)
Et en dehors de ces vêtements, vous n'avez rien trouvé? aucun indice qui puisse nous mettre sur la voie ?… (LAPIGE écarte de grands bras en signe d'ignorance.)
C'est bien mon ami, allez vous asseoir !… et n'aboyez que quand on vous interrogera.
(LAPIGE remonte et va s'asseoir à une place que lui indique AUGUSTE.)

PLANTELOUP (au secrétaire.)
Ecrivez : "Nous, commissaire de police… etc… etc… ayant été avisé de la disparition mystérieuse de M. Massenay…

SOPHIE (brusquement imposant silence à tout le monde)
Chut !

TOUS (chuchoté.)
Qu'est-ce qu'il y a ?

SOPHIE
Ecoutez !… il me semble que j'ai entendu un bruit de clé, dans la serrure de la porte du grand escalier.

TOUS (id.)
Hein ?… mais non… mais non.

SOPHIE
Si ! si ! on marche !
(Grand silence. Tout le monde tend l'oreille, on entendrait voler une mouche.)

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