LES MEMES, MADELEINE.
MASSENAY (qui s'est retourné à l'entrée de MADELEINE.)Qu'est-ce qu'il y a, Madeleine?
MADELEINEC'est la robe que Madame m'a demandée!
FRANCINE (allant à MADELEINE.)Ah !
MADELEINE (tout en étalant la robe sur le canapé.)Elle n'était pas dans l'armoire, Marie l'avait mise à la lingerie pour la brosser.
(Elle va porter la table servie qui gène, au-dessus du piano contre sa partie cintrée.)MASSENAY (qui a regardé successivement chacun des personnages d'un air ahuri.)Comment, ta robe? Tu ne vas pas t'habiller ici, je suppose?
FRANCINE (qui est en train de déboutonner son corsage.)Pourquoi pas? Il n'y a personne.
MASSENAYComment, "personne"? Eh bien, et lui?
(Il indique CHANAL.)FRANCINE (sur un ton d'insouciance.)Oh! lui, il me connaît!
CHANAL (bon enfant.)Je ne compte pas, moi.
MASSENAY (gagnant à droite, tout en maugréant.)Tu ne comptes pas ! Tu ne comptes pas !
MADELEINE (joviale.)Monsieur a été assez longtemps le mari de Madame !
MASSENAY (avec rage faisant demi-tour sur lui-même.)Ah ! je ne vous demande pas votre avis, à vous !
FRANCINE (à MADELEINE, tout en haussant les épaules.)Ça n'a aucune importance. Allez!
(Elle retire son corsage.)MASSENAY (rageur.)C'est bien! C'est très bien! Si tu trouves que c'est convenable !
(Il remonte entre la table et la cheminée.)CHANAL (le suivant du regard et sur un ton ironique.)Tu es jaloux de moi?
MASSENAY (très vexé mais ne voulant pas l'avouer.)Du tout! du tout!… Je trouve seulement que dans le salon… ! Enfin, ça va bien, n'en parlons plus!
(Il arpente la scène au fond de long en large, jetant de temps en temps des regards rageurs sur les trois personnages qui ne font pas plus attention à lui que s'il n'existait pas. MADELEINE, près du piano, aide FRANCINE à se dévêtir. Celle-ci retire tranquillement sa jupe que MADELEINE va porter sur le canapé où elle prendra en échange la nouvelle jupe. CHANAL planté toujours à la même place considère cet habillage en badaud et sans la moindre malice. Mais cela suffit à exaspérer MASSENAY; une ou deux fois il semble près d'intervenir mais il se retient. Enfin n'y tenant plus, il fait en lui-même : "oh! non, non! " puis prenant un brusque parti, il descend derrière CHANAL, le prend par les deux épaules et lui fait faire demi-tour sur place; cependant ne voulant pas que son acte puisse être mis sur le compte de la jalousie, il prend un air dégagé tandis que CHANAL interloqué roule des yeux ahuris.) Et à part ça, mon cher Chanal…?
CHANAL (comprenant soudain son idée de derrière la tête. A part, avec un sourire ironique.)Ah?… bon!
MASSENAY…Quoi de neuf?
CHANAL (à part.)Gros malin, va!
(Haut.) Mais… rien!
MASSENAYAha?
(CHANAL n'ayant rien d'autre à dire tourne la tète du côté de FRANCINE; MASSENAY qui a passé son bras sur l'épaule de CHANAL, de façon à avoir la main en regard de son cou, lui retourne vivement la tête de son côté d'une pression brusque de la main contre la nuque.) Y a… y a longtemps qu'on ne s'est vu.
CHANALUn an !
MASSENAY (à court de conversation.)Eh! oui!
(CHANAL tourne de nouveau la tète, MASSENAY la lui tourne de la même façon.) Un an!… Moi aussi.
CHANAL (souriant.)Naturellement.
(Même jeu à froid de CHANAL puis de MASSENAY.)MASSENAYNaturellement oui, oui !
(CHANAL tourne la tête, MASSENAY la lui retourne.)CHANAL (avec une conviction pleine d'ironie.)Ah ! non je t'en prie, écoute ! laisse ma tête tranquille !
MASSENAYOh ! pardon.
CHANALC'est vrai, ça!
FRANCINE (à MADELEINE qui lui a passé sa jupe.)Là, agrafez-moi, Madeleine.
MADELEINEC'est que j'ai peur, Madame; les doigts d'une cuisinière c'est toujours un peu gras.
(A MASSENAY.) Si Monsieur voulait…
MASSENAY (qui sans en avoir l'air a maintenu CHANAL face à lui pour l'empêcher de regarder du côté de FRANCINE.)Moi?
(A CHANAL afin qu'il ne se retourne pas.) Bouge pas!
(Il passe devant CHANAL et se dirige vers FRANCINE.)FRANCINEOh ! non, lui, il est trop maladroit !
MASSENAY (vexé.)Ah? bon! ,. , bien, bien!
(Il remonte d'un pas rageur, tandis que MADELEINE range la jupe retirée sur le canapé.)FRANCINE (très naturellement, tout en se tournant face au piano de façon à présenter la croupe à CHANAL.)Tiens, Alcide, veux-tu…?
CHANAL (qui est resté sagement le dos tourné, se retournant à cette invite, et allant à FRANCINE)Moi? volontiers.
(MASSENAY lui jette un regard furieux, mais ne dit rien se contentant d'arpenter nerveusement la scène, au fond de long en large; on l'entend ronchonner de temps en temps entre ses dents : "Ces façons!… On n'a jamais vu…! Aucune pudeur! " Tout cela est peine perdue, ni FRANCINE ni CHANAL ne font attention à ce qu'il peut faire, ce dernier tout à l'agrafage de la jupe de FRANCINE.)MASSENAY (tout à coup sortant de ses gonds. A part.)Oh! non, non…!
(Il se précipite sur CHANAL qu'il fait pirouetter et passer au 4.) Allons! en voilà assez!
TOUSHein!
FRANCINEAh ! çà, tu deviens fou?
MASSENAY (qui a arraché brutalement des mains de MADELEINE le corsage qu'elle tient, voulant le passer de force lui-même à FRANCINE.)Allez ! allez ! mets ton caraco !
FRANCINE (furieuse de sa brutalité.)Ah! mais à la fin… !
MASSENAY (id.)Allez ! Allez !
CHANALOh !
MASSENAY (à MADELEINE.)Et vous, allez, filez ! emportez tout ça et qu'on ne vous voie plus !
MADELEINE (détalant prudemment en emportant les effets retirés par FRANCINE.)Oui, Monsieur, oui !
(Elle sort de gauche.)MASSENAYAh ! nous allons voir si on va se moquer longtemps de moi ici !
FRANCINEEn tous cas tu fais bien tout ce qu'il faut pour ça.
MASSENAYC'est possible! Mais je t'ai épousée et tu m'obéiras!
FRANCINE (se montant.)Prends garde ! ne me pousse pas à bout !
MASSENAYParce que?
FRANCINEParce que j'en ai assez ! j'en ai assez! j'en ai assez !
MASSENAYOh! moi aussi, j'en ai assez !
FRANCINEAh! C'est comme ça! Eh! bien c'est toi qui l'auras voulu !
(Elle descend à gauche.)MASSENAYOui! je connais le refrain : tu prendras un amant! Eh ! bien prends-le donc cet amant puisque tu en meurs d'envie ! Prends-le une bonne fois et que je te pince ! c'est tout ce que je demande !
FRANCINEC'est bien, tu n'auras pas à me le dire deux fois.
MASSENAYA ton aise !
(Il remonte vers son cabinet.)CHANAL (le suivant.)Mais tu es fou ! On ne défie pas une femme !
MASSENAYFiche-moi la paix !.
(Il disparaît dans son cabinet dont il laisse la porte ouverte derrière lui.)CHANALOh!… Mais quel bâton de
poulailler!…
(Entrant dans le cabinet.) Massenay!… voyons! Massenay!
(Il disparaît. On sonne à la cantonade.)FRANCINE (très nerveuse arpentant la scène et allant dans la direction du cabinet.)Oh! non, il n'aura pas à me le dire deux fois!… l'imbécile! l'imbécile! l'imbécile!
(A ce moment dans le hall paraît COUSTOUILLU accompagné d'ETIENNE.)ETIENNE (dans le hall.)Voici justement Madame, Monsieur !
(Il se retire; COUSTOUILLU entre seul.)