ACTE I - SCENE VIII



LES MEMES, FRANCINE.

FRANCINE (dès le pas de la porte et en décrivant le même trajet que CHANAL.)
Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

CHANAL
Ah ! non, tu ne devineras jamais ! Apprête-toi à tomber de ton haut.

FRANCINE
Et pourquoi, mon Dieu ?… (Voyant MASSENAY qui s'incline.)
Monsieur !…

CHANAL (qui a vu le jeu de scène.)
Ah ! oui, c'est vrai !… mon ami Massenay !… Emile Massenay…

FRANCINE
Très heureuse, monsieur. Vous portez là un nom !…

MASSENAY (blagueur, à CHANAL.)
Voilà, ça y est !

FRANCINE
Est-ce que vous êtes parent du musicien ?

MASSENAY (avec un sourire plein d'humilité.)
Mon Dieu, non, madame… je n'ai pas cet honneur ! Mon nom s'écrit : A, Y.

FRANCINE (marivaudant.)
Je le regrette pour vous.

MASSENAY (marivaudant.)
Mais moi aussi, madame… Mais c'est la faute à l'A, Y.

CHANAL (gaiement.)
Quoi ? quoi ? "A, Y" ? quoi ? c'est Massenay… tu as l'air étonnée… Massenay qui sort de Saint-Louis…

FRANCINE
Bien oui, tu sais, moi, je n'en sors pas.

CHANAL (revenant à ses moutons et contenant avec peine sa joie.)
Ah ! non, mais tu ne sais pas ce que je viens d'apprendre ?… tiens-toi bien ! (Ménageant bien son effet.)
Coustouillu… (Un petit temps.)
est amoureux de toi !

FRANCINE (sur le même ton que CHANAL.)
Qui est-ce qui t'a dit ça ?

CHANAL
Massenay.

FRANCINE (étonnée.)
Monsieur ?

MASSENAY (protestant.)
Oh ! Permets !… Je n'ai pas pu dire une chose que je ne savais pas ! Je t'ai confié que Coustouillu était tellement amoureux d'une femme mariée que lorsqu'il était en sa présence il en devenait complètement idiot… voilà tout… Alors, toi, tu m'as répondu : "C'est ma femme ! " C'est pas la même chose.

CHANAL
Oui, enfin, ça revient au même !… (A FRANCINE.)
Eh ! bien, hein ? J'espère qu'en voilà une bonne ? Tu ne t'en serais jamais doutée ?

FRANCINE (avec le plus grand calme.)
Moi ?… je le savais !

CHANAL (ahuri, bouche bée, regarde MASSENAY avec de grands yeux, regarde sa femme, puis.)
Tu savais qu'il était amoureux de toi ?

FRANCINE (simplement.)
Mais dame…

CHANAL (même jeu.)
C'est pas possible !… Il t'a fait des déclarations ?

FRANCINE
Jamais !… C'est bien pour ça !… on peut douter de l'amour d'un homme qui vous dit : "Je vous aime", mais on peut être certaine de l'amour de celui qui fait tout pour vous le cacher.

CHANAL (bien naïvement.)
Je ne m'étais jamais aperçu de rien.

FRANCINE (avec une gentille ironie.)
Oh ! bien toi, tu es un mari !… tu ne peux pas avoir la prétention de voir les choses avant les autres.

MASSENAY (souriant.)
Vous êtes caustique, madame.

CHANAL
Elle a un peu raison dans l'espèce. Oh ! mais maintenant à la réflexion, il y a un tas de choses qui m'ouvrent les yeux… Tiens ! tout à l'heure, les asperges !

MASSENAY
Les asperges ?

CHANAL
Oui, et l'autre jour, les brugnons… (A MASSENAY.)
Figure-toi, ma femme n'a qu'à jeter un mot en l'air, devant lui ; dire : "Ah ! j'ai vu de beaux brugnons chez un tel !…" Ou "tiens, je mangerais bien des asperges !…" Crac, deux heures après, tu vois revenir mon Coustouilllu avec une corbeille de brugnons ou une botte d'asperges…

MASSENAY
Vraiment ?

FRANCINE
Oui, je n'ose plus rien dire.

CHANAL
Et il n'y a pas ! il ne fait ça que pour elle. L'autre jour, j'avais des douleurs dans le ventre, je dis devant lui : "Ah ! J'aimerais bien avoir un cataplasme! " Eh bien, il n'a pas bronché !… Si ç'avait été ma femme, ah ! là, là !… il l'aurait plutôt posé lui-même.

FRANCINE
Tu es bête !

CHANAL
D'ailleurs, tu auras l'occasion de l'observer, maintenant que nous allons nous revoir. (A sa femme.)
Car, tu ne sais pas : Massenay… je viens de lui louer l'entresol.

FRANCINE
Allons donc !

CHANAL
Au fait, je vais préparer le bail… tu m'attends cinq minutes ?

MASSENAY
Je t'en prie !…
(Mouvement simultané des trois personnages. - CHANAL remonte dans la direction de son cabinet. FRANCINE remonte un peu dans sa direction, MASSENAY gagne à gauche jusqu'au piano.)

CHANAL (au moment d'entrer dans son cabinet.)
Tenez-vous mutuellement compagnie, je reviens dans un instant…
(Il sort en refermant la porte sur lui.)

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