ACTE III - SCENE VII



LES MEMES, moins PLANTELOUP, LAPIGE, BELGENCE et LE SECRETAIRE.

MASSENAY (arpentant la scène.)
Ah ! non, quelle brute ! quelle brute ! quelle brute !

SOPHIE (qui pendant la sortie a gagné la droite de la scène, devant la banquette.)
Bah! qu'est- ce ça fait? l'important : c'est que tu sois là, que tu me sois rendu.

MASSENAY (allant à elle et la serrant dans ses bras.)
Ma chérie !

AUGUSTE
Monsieur n'a plus besoin de nous?

MASSENAY
Hein? non!… si!… apportez-moi mon vêtement d'intérieur… Et vous, Marthe, du thé bien chaud. , avec du rhum.

MARTHE
Oui, Monsieur.
(Elle sort par le fond pendant qu1'AUGUSTE sort, premier plan droit.)

SOPHIE (qui pendant ce qui précède a de nouveau traversé la scène, et un genou sur le canapé, l'avant-bras sur le bois du dossier, dévore son mari des yeux à celui-ci qui vient la rejoindre.)
Ah ! mon chéri ! mon chéri! j'ai cru que je devenais folle! je ne pouvais pas supposer ce voyage, n'est-ce pas?

MASSENAY
Evidemment ! évidemment !
(Il s'assied sur le canapé.)

SOPHIE (s'asseyant également près de lui et se pelotonnant contre sa poitrine.)
Oh! mais maintenant je ne regrette pas les moments d'angoisse que je viens de traverser ! Au contraire ! je ne sais pas si ça n'est pas salutaire ces émotions-là ? il me semble que ça retrempe l'amour ! qu'on savoure mieux son bonheur après ! (Sur un ton profond.)
Vois-tu, il faut vraiment perdre son mari pour comprendre combien on l'aime !

MASSENAY (souriant.)
Diable! c'est cher!

AUGUSTE (revenant de la chambre de son maître avec un vêtement d'intérieur sur le bras.)
Le vêtement de Monsieur.
(Il va le poser sur une chaise volante qui est derrière le canapé.)

MASSENAY (quittant sa femme pour aller se changer derrière le canapé.)
Ah ! merci.

MARTHE (entrant avec un plateau sur lequel est le service à thé et un flacon de rhum.)
Le thé de Monsieur !

MASSENAY (tout en se changeant aidé par AUGUSTE, indiquant d'un geste de la tète, la table de droite.)
C'est bien ! posez ça là !

MARTHE
Oui, Monsieur!
(Elle sort du fond. A ce moment on entend carillonner le téléphone.)

SOPHIE (assise sur le canapé.)
Voyez donc, Auguste ! on sonne au téléphone.

AUGUSTE (tout en courant vers le téléphone.)
Oui, Madame! (Il décroche le récepteur, puis.)
Allô ! Allô ! Eh ! ben?… hein?… Ah ! parfaitement.

MASSENAY (toujours derrière le canapé, s'habillant.)
. Qu'est-ce que c'est ?

AUGUSTE (du ton le plus naturel, sans quitter le récepteur qu'il a conservé à la main.)
C'est de la morgue, Monsieur.

MASSENAY
Comment de la morgue?

AUGUSTE
Oui, Monsieur… (Reprenant sa communication.)
Allô!… hein! qu'est-ce que vous dites?… Comment "on l'a repêché" ?

MASSENAY
Quoi? qu'est-ce qu'on a repêché?

AUGUSTE
C'est pour avertir qu'on a repêché le corps de Monsieur…

MASSENAY
Comment on a repêché…?

AUGUSTE
…dans un état de décomposition avancée.

SOPHIE (tressaillant à cette idée, et se retournant un genou sur le canapé pour serrer les mains de son mari.)
Oh ! mon pauvre chéri !

MASSENAY
Mais non, mais non! mais c'est pas vrai! ils sont fous !

AUGUSTE
Qu'est-ce qu'il faut répondre?…

MASSENAY
Mais dites qu'ils sont fous ! que ça n'est pas!… Attendez ! (Complètement rhabillé, il va au téléphone et prend le récepteur des mains d'AUGUSTE, qui dès lors va ramasser les vêtements que MASSENAY vient de quitter.)
Allô!… Bonjour monsieur! mon domestique me dit… il y a sûrement une erreur… quoi? Mais je vous assure!… c'est lui-même qui vous parle !… hein ? Si vous pouvez en disposer ? Mais je crois bien ! disposez ! disposez !… Comment ?… du tout, du tout, il n'y a pas de mal !… Je vous remercie, vous êtes bien aimable. (Il raccroche le récepteur, puis descendant et gagnant la gauche pendant qu'AUGUSTE emporte les vêtements dans la chambre de droite.)
Ils sont très obligeants à la morgue! Ils me disent : "Tout à votre service à une autre occasion. "

SOPHIE
Tu vois tout de même ton équipée?

MASSENAY
Eh! oui, elle a remué le monde mon équipée! (S'étalant avec délice.)
Ah ! ça fait tout de même du bien de se sentir tranquille chez soi… après tant de tribulations! on respire.
(A ce moment on entend dans la coulisse un violent tapage qui peu à peu devient plus distinct en se rapprochant.)

MASSENAY et SOPHIE
Qu'est-ce que c'est que ça?…

VOIX DE MARTHE
Au secours! au secours! voulez-vous me laisser…

SOPHIE (se levant ainsi que MASSENAY.)
Mais c'est la voix de Marthe.

VOIX D'HUBERTIN
Allons voyons, bébé!

MASSENAY
Mon Dieu! est-ce que je rêve?…

VOIX DE MARTHE (poussant un cri.)
Aïe!… ah! mais dites donc, impudent personnage…

SOPHIE (terrifiée, se serrant contre MASSENAY.)
Emile! qu'est-ce c'est encore?

MASSENAY (atterré.)
Je ne sais pas!

MARTHE (faisant irruption.)
Au secours! Monsieur!… un ivrogne! il y a un ivrogne!

SOPHIE
Un ivrogne?

MASSENAY
Dieu !

MARTHE
Oui, Madame… qui est lubrique sur moi!…

SOPHIE
Qu'est-ce que vous dites?

MARTHE (se frottant la croupe.)
Il m'a pris le fond, Madame!

SOPHIE
Oh !

MARTHE
Oui, Madame, c'est la vérité ! je dirais le contraire que je mentirais.

MASSENAY (arpentant la scène et se parlant à lui-même.)
Hubertin ! Hubertin encore ! Ah ! non, ça ne va pas recommencer.

SOPHIE
Emile, je t'en prie, va voir ! mets-le à la porte.

MASSENAY
Oui, par exemple ! ça ne vas pas traîner.
(Il remonte.)

SOPHIE
Non, non, n'y va pas seul. (Allant jusqu'à la porte de droite et appelant.)
Auguste! Auguste!

AUGUSTE (accourant.)
Madame!

SOPHIE
Vite! il y a un ivrogne qui s'est introduit dans l'appartement.

AUGUSTE
Un ivrogne!

SOPHIE
Allez avec Monsieur !

MASSENAY
C'est ça venez avec moi.
(Il remonte et sort.)

AUGUSTE (le suivant.)
Ah! bien par exemple celui-là!…
(Ils sortent par le fond.)

SOPHIE (redescendant.)
Ah ! quelle journée, mon Dieu, je m'en souviendrai !

MARTHE
Ça c'est la vérité, Madame, je dirais !… (Poussant un cri en apercevant HUBERTIN qui entre par la porte droite, deuxième plan.)
Ah !
(Elle se sauve éperdue par le fond.)

SOPHIE
Ah !
(Elle se sauve de gauche.)

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