ACTE IV - SCENE IV



LES MEMES, moins MADELEINE, MASSENAY.

ETIENNE (qui a aperçu MASSENAY au fond, le signalant.)
Ah ! voici Monsieur !

MASSENAY (descendant à demi en scène ; il a son chapeau sur la tête et paraît d'humeur massacrante. Apercevant sa femme, il la regarde par-dessus son épaule puis d'un ton sec.)
Ah ?… enfin !… (A ETIENNE lui tendant son chapeau.)
vous m'apporterez un peu de viande froide sur un plateau, Etienne !

ETIENNE
Oui, Monsieur.
(Il sort en laissant ouverte la porte sur le hall.)

MASSENAY (tout en retirant nerveusement ses gants)(il descend vers CHANAL comme s'il en appelait à lui et continue son mouvement en courbe de façon à ce que FRANCINE reçoive la fin de son observation.)
Je n'ai pas encore déjeuné, moi, à l'heure qu'il est !
(Il remonte.)

CHANAL
Eh bien, Massenay ! c'est comme ça qu'on me dit bonjour ?

MASSENAY (allant serrer la main de CHANAL, en restant au-dessus de lui.)
Bonjour, Chanal. (Revenant à ses moutons.)
Je ne sais pas si c'était ainsi de ton temps, mon cher ? mais voilà à quelle heure on peut se mettre à table, avec madame !

FRANCINE (toujours debout dans l'angle du piano et du canapé, d'un ton dédaigneux et par- dessus son épaule.)
Tu n'avais qu'à te mettre à table sans moi.

MASSENAY (du tac au tac et également par-dessus son épaule.)
On n'est pas marié pour prendre ses repas chacun de son côté !

FRANCINE (id.)
En tout cas, si tu avais été là, il y a assez longtemps que je suis rentrée.

MASSENAY (marchant sur elle et tranchant comme une lame de couteau.)
C'est faux ! il y a un quart d'heure ; le concierge me l'a dit.

FRANCINE (sur un ton d'ironie méprisante.)
Ah ! si tu interroges le concierge !

MASSENAY (renonçant à se contenir.)
Enfin, où as-tu été ?

FRANCINE (les yeux au plafond.)
Demande au concierge.

MASSENAY (comme s'il allait sauter sur elle.)
Francine !

FRANCINE (daignant descendre les yeux sur lui.)
Quoi ?

MASSENAY (se dominant et remontant rageusement.)
Oh !

CHANAL (conciliant.)
Allons ! Allons !… Allons, mes enfants ! (Se levant.)
Vous n'allez pas choisir le jour où je viens, pour vous disputer.
(Tout en parlant, il remonte jusqu'à la gauche de MASSENAY.)

FRANCINE (traversant la scène en biais, de façon à arriver au-dessus de la table de droite.)
Oh ! il ne choisit pas !

MASSENAY (emboîtant le pas derrière FRANCINE, tandis que CHANAL découragé s'assied sur le tabouret de piano.)
Tu vas me dire comme toujours que tu as déjeuné chez ta mère ?(FRANCINE qui a continué de descendre entre la table et la cheminée, hausse les épaules.)
Eh ! bien, non ! car je viens, moi, de chez ta mère ! J'ai voulu en avoir le cœur net… et tu n'y as pas déjeuné depuis samedi.

FRANCINE (qui, toujours suivie par MASSENAY, se trouve devant la table de droite, se retournant avec un superbe dédain vers MASSENAY.)
C'est pour m'apprendre ça que tu es sorti ? Tu pouvais aussi bien rester chez toi… Je te ferai remarquer que j'ai déjeuné tous les jours ici ; comme j'ai l'habitude de ne déjeuner qu'une fois…!

MASSENAY (gêné par cet argument sans réplique, mais avec mauvaise foi.)
Oui, oh !…

FRANCINE (indiquant son déjeuner.)
Quant à aujourd'hui : voilà un plateau qui m'attend ; si tu avais pris la peine de regarder avant de parler… !
(En parlant, la démarche hautaine, elle a traversé la scène jusqu'au piano.)

MASSENAY (ne voulant pas s'avouer vaincu.)
Bon, soit ! C'est possible ! déjeuner ou pas déjeuner, cela importe peu dans l'espèce. Tout ça ne m'explique pas ce que tu peux faire dehors tous les jours jusqu'à des heures indues ?

FRANCINE (sentant la moutarde lui monter au nez.)
Oh !

CHANAL (descendant entre eux, pour tenter une nouvelle intervention.)
Ecoutez, mes enfants !…

MASSENAY (l'écartant et lui imposant silence.)
Non, pardon !

FRANCINE (exaspérée.)
Je vais chez mon amant, là ! Es-tu content ?

MASSENAY (aigre et persifleur.)
Je commence à le croire.

FRANCINE (bondissant.)
Quoi ?

MASSENAY (id.)
Après tout, ce ne serait pas le premier.

FRANCINE (id.)
Qu'est-ce que tu dis ?

MASSENAY (sec.)
Parfaitement !

CHANAL (révolté.)
Oh !

FRANCINE (indignée.)
Moi ? moi, j'ai eu des amants?

MASSENAY (méchant.)
Oui, toi !

FRANCINE (suffoquée.)
Qui ? qui ? nomme m'en un !

MASSENAY
Mais… moi !

FRANCINE et CHANAL
Oh !
(Elle gagne nerveusement l'extrême gauche suivie de CHANAL qui s'efforce à la calmer.)

MASSENAY
Parfaitement !
(Il gagne l'extrême droite.)

FRANCINE (indignée, l'indiquant de la main.)
C'est lui ! lui qui me reproche !

MASSENAY (pivotant sur lui-même.)
Il ne s'agit pas de rep… (L'arrivée d'ETIENNE qui entre avec un plateau servi, lui coupe la parole. Silence général mais on sent tout le monde tendu. MASSENAY les deux mains derrière le dos, arpente la scène jusqu'au fond puis redescend. Apercevant ETIENNE pivotant à droite puis à gauche, pour trouver une table où poser son plateau, avec humeur.)
Eh ! bien, c'est fini ! Quand vous aurez fini de valser… posez ça là !
(Il indique la table de droite.)

ETIENNE (posant le plateau sur la table.)
Oui, Monsieur. (Sans se rendre compte qu'il est de trop, et que MASSENAY bout littéralement, il met bien tranquillement de l'ordre sur le plateau, puis :)
J'ai mis du sel, de la moutarde…

MASSENAY (agacé et impatient de le voir partir.)
Bon, bon ! ça va bien !…

ETIENNE (calme.)
Oui, Monsieur.
(Il remonte de son même pas tranquille et sort en laissant la porte ouverte derrière lui.)

MASSENAY (qui est remonté derrière ETIENNE avec des envies de le pousser dehors, redescendant vivement des qu'il est hors de vue, reprenant sur le diapason qu'il a quitté.)
… Il ne s'agit pas de reproches ! Mais je dis que ce que tu as fait pour moi, tu as bien pu le faire pour d'autres.

FRANCINE (à CHANAL.)
Voilà ! voilà ! tu l'entends !

CHANAL
Massenay, comment peux-tu… !

MASSENAY
Oh! mon ami, c'est très joli de le faire au beau sentiment! mais n'empêche qu'on raisonne!… qu'on se dit qu'on n'est pas mieux qu'un autre… et qui si une femme a pu une fois… !
(Il gagne la droite.)

CHANAL
Oh !

MASSENAY (se retournant.)
Parfaitement ! et surtout quand on la voit sortir tous les jours…

CHANAL (qui l'a suivi dans son mouvement bon enfant et bien inconscient.)
Tu sais, mon ami, c'était déjà comme ça de mon temps, alors… !

MASSENAY (avec un rire sardonique.)
Ah ! ah ! Elle est bien bonne ! Si tu crois me tranquilliser en me disant cela !… on sait ce qui se passait pendant ce temps-là, n'est-ce pas ? Je peux en parler ; et tu ne t'en doutais pas !… Eh bien, qui me dit qu'il ne s'en passe pas autant sans que je m'en doute ?… Ce n'est pas elle qui viendra me le raconter, bien sûr !
(Il s'assied nerveusement le dos à demi tourné à ses partenaires, le menton dans sa main gauche, sur le fauteuil de droite de la table.)

FRANCINE (indignée.)
Oh !… (Allant jusqu'à CHANAL qui tient le milieu de la scène.)
Et voilà comme il me récompense de tout ce que j'ai fait pour lui ! (L'avant-bras gauche sur l'épaule de CHANAL)
Quand je pense que j'étais la femme d'un honnête homme, (Du revers de la main droite elle frappe sur la poitrine de CHANAL pour l'indiquer.)
que pour cet être, j'ai foulé aux pieds le bonheur de cet honnête homme ! (Nouvelle tape dans l'estomac de CHANAL)
Je l'ai trompé! (Id.)
Oui, oui (Id.)
trompé !

CHANAL (qui apprécie peu ce genre de discussion.)
Ecoutez, si on ne parlait pas de moi !

MASSENAY (dans un besoin de riposte s'est levé et fonçant sur sa femme dont CHANAL seul le sépare.)
Et pourquoi l'as-tu trompé ?
(Comme FRANCINE, il accompagne sa question d'une tape dans le creux de l'estomac de CHANAL.)

FRANCINE (débordant sur la poitrine de CHANAL pour mieux parler dans le nez de son mari.)
Pourquoi ? parce que je t'aimais.

MASSENAY (même jeu que FRANCINE.)
Tu m'aimais ?

FRANCINE (id.)
Oui, je t'aimais !

MASSENAY (haussant les épaules.)
Ricanant. Oh ! tu m'aimais ! (A CHANAL lui indiquant sa femme avec un nouveau haussement d'épaules.)
Elle m'aimait !
(Les deux mains dans les poches de son pantalon, il arpente nerveusement jusqu'au fond, pour redescendre s'asseoir sur le tabouret à gauche de la table aussitôt la passade de CHANAL.)

CHANAL (allant s'asseoir sur le fauteuil à droite de la table.)
Oh ! que je goûte peu cette conversation !

FRANCINE (qui dans le même état de nerfs que MASSENAY a arpenté jusqu'à l'extrême gauche, pivotant pour remonter d'un pas saccadé jusqu'au fond, tandis que son mari, assis sur le tabouret, tournant le dos à sa femme, le coude gauche sur la table et la tête dans sa main, l'écoute les yeux au plafond, la jambe droite agitée d'un mouvement nerveux.)
Malheureusement je t'aimais ! Je le paye assez cher aujourd'hui. (Descendant entre la cheminée et la table et prenant cette dernière comme tribune.)
Le grand tort que nous avons nous autres femmes, c'est, pour amant, de chercher toujours un homme que nous aimons ; alors que la vérité serait d'en chercher un qui nous aime !
(MASSENAY hausse les épaules et lui tourne le dos.)

CHANAL (avec une sage philosophie.)
Ou de n'en pas chercher du tout.

FRANCINE (qui est redescendue davantage.)
Ce n'est pas toi que j'aurais dû choisir, c'est Coustouillu ! Coustouillu qui m'aimait ! (En appelant à CHANAL.)
n'est-ce pas ? (Moue de CHANAL.)
qui se rongeait pour moi, lui ! et qui ne m'aurait jamais reproché… lui !… Oh ! non !
(Elle redescend complètement à droite.)

MASSENAY (exaspéré.)
Mais va donc le chercher, ton Coustouillu ! mais il est encore temps ! Il est toujours là, tu sais ! tu peux le prendre !

FRANCINE (comme si elle allait sauter à la figure de MASSENAY, fonçant sur le fauteuil de CHANAL et écrasant les épaules de ce dernier sous sa poitrine pour défier son mari de plus près.)
D'abord, mets-toi bien en tête que je le prendrai si je veux !

MASSENAY (à CHANAL avec un ricanement rageur.)
Tu l'entends, hein ? Tu l'entends, ta femme !

FRANCINE
Oui, et puis, tiens ! je te préviens charitablement : Tu joues là un jeu dangereux, mon ami ! (MASSENAY hausse les épaules, se lève et gagne la gauche avec un air persifleur. Mais FRANCINE qui ne lâche pas prise ainsi, fait par en dessus, le tour de la table pour redescendre aussitôt vers son mari)
A force de corner sans cesse aux oreilles d'une femme qu'elle doit avoir un amant, il arrive qu'elle finit par se familiariser avec cette idée. Et prends garde, quand une femme a ça dans la tête!…

MASSENAY (au comble de la rage lui jetant l'insulte à la face.)
Mais dis donc : "quand elle a ça dans le sang ! "

FRANCINE (bondissant sous l'outrage et dans le nez de MASSENAY.)
C'est pour moi que tu dis ça ?

MASSENAY (nez à nez avec FRANCINE.)
Oui, c'est pour toi ! oui, c'est pour toi!… courtisane !
(Il pivote et gagne l'extrême-gauche.)

FRANCINE (avec un soubresaut en arrière.)
Quoi ?

CHANAL (qui s'est dressé comme mû par un ressort, poussant une exclamation de colère.)
Ah ! (Du plat de la main il donne un violent coup sur la table, traverse la scène en quatre massives enjambées et, arrivé à MASSENAY, d'un coup sec de la main droite il ramène le revers droit de sa jaquette, de la main gauche le revers gauche, se boutonne d'un air de défi, puis.)
En voilà assez !

MASSENAY (qui sur le coup de poing donné sur la table par CHANAL, prévoyant l'altercation a fait quelques pas vers la droite de façon à se trouver au moment de la provocation près et à droite du piano, toisant CHANAL.)
Quoi ?

CHANAL
Je ne permettrai pas qu'on parle à ma… (Se reprenant.)
à ta femme comme ça devant moi,

MASSENAY (persifleur.)
Oh ! mais pardon, mon petit, hein ? Tant qu'elle a été ta femme et qu'elle a eu des amants, je ne m'en suis pas mêlé.

CHANAL
Comment des amants ?

FRANCINE (qui indignée était remontée au moment de la provocation, redescendant au 3.)
Je n'en ai eu qu'un.

CHANAL (entre eux deux, soulignant.)
Qu'un !

MASSENAY
C'est un de trop !

FRANCINE (gagnant la droite.)
Oh !

MASSENAY
En tout cas, je t'en prie, maintenant, laisse-moi diriger mon ménage comme je l'entends.
(Il va bouder contre le piano, un genou sur le tabouret, les bras croisés sur la caisse.)

CHANAL (obsédé par cette discussion, remonte jusqu'au fond, en se prenant la tête dans les deux mains ; puis, de là, après un gros soupir, avec énergie.)
Voyons, mes enfants, je vous en supplie !

FRANCINE (à CHANAL.)
Ah! Et puis tiens, tu as raison! je ne sais pas pourquoi je m'abaisse à discuter !

MASSENAY (persifleur.)
Mais oui, comment donc !

CHANAL (lève des yeux excédés au ciel, puis.)
Comme si vous ne feriez pas mieux de déjeuner !

FRANCINE (les lèvres pincées.)
Absolument !
(Elle traverse la scène pour aller au canapé.)

CHANAL (une fois la passade.)
De manger votre viande, là… tant qu'elle est froide.

FRANCINE (s'asseyant et se disposant à déjeuner.)
C'est vrai ça !… Quand je me serai rendue malade… !

MASSENAY (ironique, tout en traversant la scène devant CHANAL, pour aller s'asseoir sur le tabouret de la table de droite.)
Ce sera une occasion pour dire que c'est de ma faute.
(Il prend tout en parlant son plateau qui est sur la table, et après avoir tiré avec son pied le petit tabouret de pied pour s'exhausser les jambes, il place le plateau sur ses genoux.)

CHANAL (faisant le bourru.)
Allons, voyons ! As-tu fini, toi ?

MASSENAY (hypocritement, tout en s'installant pour déjeuner sur ses genoux.)
Moi ? Mais qu'est-ce que je fais ? Est-ce que j'ai dit quelque chose ?

FRANCINE (tout en mangeant du bout des lèvres, et sur un ton de vinaigre, sans daigner regarder son mari.)
Non ! c'est le chat !

MASSENAY (tout en mangeant.)
C'est elle qui tout de suite s'emporte parce que je me suis permis de demander timidement…

FRANCINE (même jeu.)
Oh ! timidement !

MASSENAY (id.)
Si on ne peut plus poser une question maintenant… !
(Ils mangent tous deux avec des figures longues d'une aune.)

CHANAL
Ah ! mes enfants ! Mes enfants !… Quand on pense que la vie est si courte, et que vous vous la gâchez à plaisir !… (Tous deux, la fourchette d'une main, le couteau de l'autre, lèvent les bras et les yeux au ciel.)
Et tout ça pour rien ! (Geste de protestation de part et d'autre ; CHANAL répétant avec énergie.)
Pour rien ! Si vous pouviez prendre l'habitude de vous expliquer simplement, au lieu de partir tout de suite en guerre…

MASSENAY
Ah ! combien de fois je l'ai dit !

CHANAL (affectant le ton bourru.)
Mais à commencer par toi ! (Changeant de ton.)
Si tu lui avais demandé simplement : "Où as-tu été ? "

MASSENAY (bien doux.)
C'est ce que j'ai dit : "Où as-tu été ? "

CHANAL
Oh ! pardon ! tu as dit : (Ton bourru.)
"Où as-tu été ? " Tandis que si tu avais dit :(Voix sucrée.)
Où as-tu été, ma chérie pour rentrer déjeuner, (Appuyant sur le TROIS.)
à trois heures de l'après-midi ?…" Elle t'aurait répondu : "Mon chéri!…" Là, comme deux amours "J'ai été à l'enterrement des Duchaumel. "

MASSENAY (à ce mot, reste coi, la fourchette en l'air sur le chemin de sa bouche ; il demeure un instant interdit, puis un peu penaud.)
L'en… l'enterrement des Duchaumel ?

FRANCINE (avec une moue de mépris, et sans daigner regarder son mari.)
Mais oui.

MASSENAY (un temps de réflexion, puis.)
C'était aujourd'hui ?

FRANCINE (même jeu.)
Mais dame !

MASSENAY (un temps, puis.)
Diable ! Je l'ai complètement oublié.

FRANCINE (avec un accent persifleur.)
Ha !

MASSENAY (reste un instant soucieux, se mordant la lèvre, puis timidement.)
Tu… tu m'as inscrit?

FRANCINE (sur un ton de dédain, avec toute la conscience de sa supériorité.)
Naturellement, je t'ai inscrit !

MASSENAY (après un temps.)
C'est bête, ça!…

CHANAL (triomphant.)
Eh bien, tu vois… hein? (Allant à lui et le prenant par la manche de son veston)
Allons, lève-toi !

MASSENAY (ahuri.)
Comment!

CHANAL (impératif.)
Allons ! Allons !
(Il lui enlève son plateau des genoux.)

MASSENAY (défendant son plateau.)
Mais je n'ai pas fini !

CHANAL (le lui enlevant quand même.)
Allez hop ! (MASSENAY tout en ronchonnant obéit; CHANAL pose le plateau sur le piano, puis revenant à MASSENAY.)
Et maintenant vous allez faire la paix.

MASSENAY (se rebiffant.)
Ah ! non !

CHANAL
Veux-tu bien ! (Bon gré mal gré, il entraîne MASSENAY qui a conservé sa serviette dans la main gauche, jusqu'à proximité du canapé; là, il le lâche pour aller chercher FRANCINE. A FRANCINE.)
A toi, maintenant ! (FRANCINE fait un peu de résistance, tout en maugréant la bouche pleine.)
Allons, voyons !

FRANCINE (sa serviette dans la main droite se laissant emmener de mauvaise grâce, parlant la bouche pleine.)
Oui, oh! mais je l'en préviens : un jour ou l'autre ça lui jouera un mauvais tour.

CHANAL (affectant le ton bourru.)
Allons! fini, hein? (Il leur met la main dans la main.)
Là!(Les rapprochant l'un de l'autre en les prenant simultanément par la nuque.)
Embrassez-vous!
(MASSENAY dépose un baiser glacial sur la joue de FRANCINE.)

FRANCINE (ronchonnant pendant que MASSENAY l'embrasse.)
Quand il m'aura poussée à quelque coup de tête, il sera bien avancé!

MASSENAY (toujours hostile.)
Là, tu l'entends !
(Il gagne la droite.)

FRANCINE (allant poser sa serviette sur son plateau.)
Je le regretterai peut-être après, mais il sera trop tard.

CHANAL (cherchant à leur imposer silence.)
Allons, allons!

MASSENAY (tout en ronchonnant, enfonçant nerveusement sa serviette qu'il prend pour un mouchoir, dans la poche ad hoc de sa jaquette.)
Oui, oh ! mais je suis prévenu : j'aurai l'œil.
(S'apercevant de sa bévue, il rejette avec humeur sa serviette sur le plateau qui est sur la table.)

FRANCINE (se rapprochant de CHANAL, qui tourné du côté de MASSENAY, le considère avec des hochements de tète de découragement.)
Oui, oh! "tu auras l'œil" : juste assez pour n'y voir que du feu!… comme tous les maris! Il n'y a qu'à voir quand ça arrive : c'est toujours celui-là qu'ils soupçonnent le moins… (Touchant CHANAL pour en appeler à lui.)
N'est-ce pas, Alcide?

CHANAL (que cette apostrophe arrache brusquement à son absorbement.)
Oh! non, je vous en prie, laissez-moi en dehors!

FRANCINE (gagnant vers le piano.)
Ah! la, la, la, la!

MASSENAY
Oh! oui! Ah! la, la, la, la.
(Tout en parlant il gagne la droite tandis que CHANAL remonte en levant les bras au ciel. A ce moment, par la porte de gauche, arrive MADELEINE apportant une robe en tissu clair. Cette robe doit être faite de telle sorte que la jupe soit indépendante du corsage et se passe avant ce dernier.)

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