ACTE III - SCENE XIV



LES MEMES, SOPHIE, puis COUSTOUILLU, puis HUBERTIN, puis AUGUSTE, puis PLANTELOUP

SOPHIE (sortant de gauche, deuxième plan, et descendant par l'extrême gauche.)
Mais qu'est- ce qu'il y a donc ? pourquoi cries-tu ?

MASSENAY (médusé séance tenante)(à part.)
Ma femme !

SOPHIE (apercevant CHANAL et sa femme.)
Oh ! pardon !
(CHANAL redescend un peu ; lui et sa femme s'inclinent. MASSENAY redoutant une gaffe enjambe les malles et redescend vivement.)

MASSENAY (présentant.)
Monsieur Chanal, ma femme ! (A FRANCINE. ')
Ma femme ! Madame Chanal ! (Echange de salutations. Souriant bêtement pour cacher son trouble.)
Voilà !… c'est ça ! c'est ça !

SOPHIE (une fois les présentations faites, indiquant les malles.)
Mais qu'est-ce que c'est que ces malles ?

MASSENAY (vivement.)
C'est pas des malles !

SOPHIE
Comment, c'est pas des malles ?

MASSENAY (se reprenant.)
Euh !… Si, si, c'est des malles !

CHANAL (mettant bien placidement les pieds dans le plat.)
Ce sont les malles de ma femme.

MASSENAY (à part, angoissé.)
Nom d'un chien !

SOPHIE (interloquée.)
Ses malles ?

MASSENAY (souriant d'un sourire forcé.)
Oui !… oui-oui !

CHANAL (bas à MASSENAY du ton le plus serviable.)
Dis donc ! veux-tu que je lui dise ?

MASSENAY (tressautant.)
Non-non !

CHANAL (id.)
Alors, dis-lui, que diable !

SOPHIE
Mais qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qui se passe ?

MASSENAY (très embarrassé, mais essayant de se donner l'air dégagé.)
Eh bien, voilà, c'est… Oh ! tu sais, c'est très peu de chose…

SOPHIE
Oui, eh ! bien, va !

MASSENAY
Eh ! bien, voilà… (Ne sachant que dire et tout en regardant CHANAL duquel il se rapproche en parlant…)
C'est… mon ami Chanal. (Lui serrant la main tout en ayant envie de le mordre.)
Mon vieil ami Chanal ! Mon vieux camarade de collège. (Tout en parlant il lui donne dans le dos une bonne tape comme on fait à un bon camarade, puis à part et entre les dents, en le quittant pour aller à sa femme.)
Salaud, va ! (Haut.)
Alors, il est venu passer quelques temps à Paris, avec… avec ses malles.

CHANAL
Mais non ! Qu'est-ce que tu dis ?

MASSENAY (rageant intérieurement.)
Mais si, mais si !

CHANAL
Mais pas du tout…

MASSENAY (le foudroyant du regard.)
Mais si, voyons ! Je te dis que si !

CHANAL (têtu.)
Mais non, mais non ! (A FRANCINE.)
Voici madame…

MASSENAY (avec violence.)
Ah ! et puis en voilà assez !

CHANAL
Qu'est-ce que tu dis?

MASSENAY
Il n'y a pas de "qu'est-ce que tu dis? " !

CHANAL
Ah ! mais pardon !

MASSENAY
Oh ! pardon toi-même.

SOPHIE
Messieurs ! messieurs !
(Les deux hommes n' écoutent rien, ils se disputent et s'invectivent parlant tous les deux à la fois, en dépit de SOPHIE qui mêle sa voix à la leur pour essayer de les calmer. FRANCINE seule reste complètement en dehors de la dispute. Au plus fort de la discussion, COUSTOUILLU sort de la chambre de gauche et descend entre SOPHIE et MASSENAY.)

COUSTOUILLU (sans tenir compte de la discussion, tombant à pic pour la faire dévier.)
Mais dites donc? on m'oublie.

MASSENAY (au comble de l'exaspération, retournant sa colère contre COUSTOUILLU.)
Ah ! non, toi, assez ! fiche-nous la paix ! Merci ! j'ai assez d'eux!… (Le poussant par les épaules, et le faisant pivoter chaque fois qu'il se retourne pour lui parler.)
Tiens! va par là! va par là.

COUSTOUILLU (au moment où poussé par MASSENAY il se trouve nez à nez avec FRANCINE, repris soudain de son émotion.)
Oh! Mad… euh!… Chan… Chan… al…

MASSENAY (le poussant dans la pièce de droite, premier plan, oubliant qu'il y a déjà HUBERTIN)
Oui, c'est bon! tiens, va par là! (Une fois COUSTOUILLU disparu, il traverse la scène, à grands pas.)
Ah ! non, non, on me rendra fou aujourd'hui.
(Il va s'effondrer sur le canapé. Il n'est pas plutôt assis que dans la pièce où MASSENAY vient de reléguer COUSTOUILLU, on entend se produire un violent tumulte, mélangé d'invectives, de cris, de bruits de meubles renversés, de verres brisés.)

TOUS
Qu'est-ce que c'est que ça?

MASSENAY (se relevant d'un bond.)
Ah ! mon Dieu, je l'ai fourré avec Hubertin!
(Tout le monde instinctivement s'est écarté, SOPHIE, CHANAL, FRANCINE sont au-dessus de la table, MASSENAY n'a pas bougé de place. A ce moment la porte cède violemment, et COUSTOUILLU littéralement projeté, surgit le chapeau défoncé, les vêtements en désordre, poussé à coups de poings, à coups de pieds par HUBERTIN complètement rhabillé.)

TOUS
Ah !

COUSTOUILLU (bourré de coups de poings, parant à l'aveuglette, impuissant à se défendre.)
Ah ! la la la ! Assez ! Au secours !

HUBERTIN
Chameau! Canaille! Vendu! (L'envoyant d'un coup de poing s'effondrer sur la chaise gauche de la table.)
Député ! (Il lui enfonce d'un dernier coup de poing son chapeau jusqu'aux yeux, tandis que COUSTOUILLU n'a cessé de crier "assez! ")
Vous m'en rendrez raison !
(Il sort vivement par le fond.)

SOPHIE (descendant à sa gauche.)
Ah ! mon pauvre Coustouillu !

COUSTOUILLU (à bout de forces.)
Ah! mes amis!… mes amis!… Qu'est-ce que c'est que cet énergumène?

SOPHIE
Calmez-vous! Calmez-vous!

COUSTOUILLU
Ah! c'est pis qu'à la Chambre!

AUGUSTE (annonçant au fond.)
Monsieur Planteloup !

SOPHIE (allant jusqu'au canapé.)
Encore lui!

MASSENAY (inquiet.)
Qu'est-ce qu'il vient faire?

PLANTELOUP (entrant en coup de vent.)
Monsieur Massenay ! vous vous êtes moqué de moi… !

TOUS
Hein?

PLANTELOUP (avec autorité et chaleur.)
Votre voyage à Calais n'est qu'une balançoire!… Vous avez été bel et bien surpris cette nuit, rue du Colisée, en flagrant délit d'adultère avec l'épouse d'un monsieur Chanal…!

COUSTOUILLU (qui s'est dressé à ce mot.)
Hein! C'était lui!

SOPHIE (bondissant.)
Qu'est-ce que vous dites ?

CHANAL (qui pendant ce qui précède est descendu par l'extrême droite, suivi de sa femme de façon à occuper le 4 et FRANCINE le 5.)
Eh bien, oui, quoi ? tout le monde le sait !

SOPHIE (qui s'est retournée indignée vers son mari tout piteux.)
Tu as été surpris, toi ! Ah ! misérable !
(Du revers de la main elle lui applique sur la joue droite un soufflet qui l'envoie s'effondrer sur le canapé, et passe au n° 1.)

MASSENAY (se tenant la joue.)
Oh !

SOPHIE (aussitôt passée, se retournant sur place, et aussi calme et nette, qu'elle vient d'avoir de violence.)
C'est bien, monsieur ! n'attendez de moi ni colère ni violence…! tout est fini entre nous…
(Elle remonte par l'extrême droite.)

MASSENAY (se retournant sur le canapé sans se lever complètement et l'implorant par-dessus le dossier.)
Sophie !

SOPHIE (digne et tranchante.)
Tout ! (A PLANTELOUP.)
Suivez-moi ! monsieur le commissaire.

PLANTELOUP
Je suis à vos ordres.
(Il va la rejoindre au-dessus du canapé et tous deux sortent par la porte de gauche, deuxième plan.)

MASSENAY (navré.)
Oh ! (Allant à COUSTOUILLU, comme pour en appeler à lui.)
Enfin, voyons… !

COUSTOUILLU (qui s'est contenu jusque-là mais n'a cessé de le dévorer du regard, éclatant subitement.)
L'amant, c'était vous !

MASSENAY (interloqué.)
Quoi ?

COUSTOUILLU (prenant du champ et avec un bel élan, lui appliquant de la main droite une maîtresse gifle sur la joue gauche.)
Tiens !

MASSENAY (abruti par cette agression inopinée.)
Oh ! (Se rebiffant aussitôt)
Ah ! toi par exemple… !
(Il lui applique à son tour un magistral soufflet de la main droite sur la joue gauche.)

COUSTOUILLU (remontant et au moment de sortir.)
Vous recevrez mes témoins !

MASSENAY
Et vous les miens !
(COUSTOUILLU sort. MASSENAY se frotte la face.)

CHANAL (avec une philosophie narquoise.)
Eh bien, tu vois, mon vieux… la main passe !

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