ACTE IV - SCENE IX
MASSENAY CHANAL
CHANAL (arrivant et descendant à sa suite.)
Quoi ?
MASSENAY (se retournant au son de sa voix et avec transport.)
Ah ! mon ami, tu vois un homme éperdument amoureux de sa femme !
CHANAL (étonné.)
De Francine?
MASSENAY (envoyant promener ses bras en l'air.)
Eh! non, pas de Francine! Qu'est-ce que tu me chantes avec Francine? (Avec ardeur.)
Non, de Sophie, de ma première femme.
CHANAL (ahuri de ce qu'il entend.)
Hein?
MASSENAY
Ah! non, merci, Francine! celle-là, quand je pourrai divorcer… !
CHANAL
Ah! bien, du train dont vont les choses…!
MASSENAY
Quoi, "du train", quel train?
CHANAL
Quel train? (Le prenant par la main et le faisant descendre.)
Pas plus tard qu'il y a dix minutes, ta femme… là!… avec Coustouillu !
MASSENAY
Ah! là!… Qu'est-ce que tu chantes? "Coustouillu"?
CHANAL
Parfaitement! Il l'étreignait dans ses bras, il la couvrait de baisers.
MASSENAY
Coustouillu? (Riant.)
Ah! tiens tu me fais rire.
CHANAL
Oui, ris, ris, nous verrons bien.
MASSENAY
Ah! et puis tant mieux après tout si cela est. Qu'est-ce que je cherche? Le divorce : Eh bien, comme ça, ça fera le bonheur de tout le monde. Francine regrettait son Coustouillu, elle pourra l'épouser. (Avec amour.)
Et moi, je répouse ma femme.
CHANAL
Hein!… mais tu n'en as pas le droit.
MASSENAY
Parce que?
CHANAL
Parce qu'on ne peut pas épouser sa première femme du vivant de la seconde.
MASSENAY (dans un bel élan oratoire.)
Eh bien, tant pis pour la loi, si la loi le défend ! C'est elle qui commet une monstruosité en empêchant deux égarés d'un moment de réparer leur erreur! Au-dessus des lois sociales, il y a les lois de la nature ! et foin de ceux qui s'en choqueront! nous nous aimerons quand même! nous serons des époux illégitimes, et voilà tout! (Apercevant FRANCINE qui arrive de gauche, à mi-voix à CHANAL.)
Oh! ma femme! chut!
(Il se sépare de CHANAL et gagne un peu à gauche.)