ACTE III - SCENE VI


FINACHE (redescendant vers POCHE qui arpente la scène nerveusement. )
Eh ! bien, voyons, mon ami !

POCHE
Ah ! vous avez eu un blair de les faire sortir… parce que ça allait se gâter!…

FINACHE
Mais parbleu !… J'ai bien senti, voyons.

POCHE
Non, mais qu'est-ce que c'est que ces gens-là ?… Ils sont pas un peu marteau ?

FINACHE (par complaisance. )
Un peu marteau !… un peu marteau !…

POCHE (à ETIENNE qui est descendu . )
Qu'est-ce que je disais !… Un peu marteau !

ETIENNE (à l'exemple de FINACHE. )
Un peu marteau !… Un peu marteau !…

POCHE
Ah ! mais fallait me faire signe !… me glisser tout bas : "Ils sont louftingues !…" (A FINACHE qui a profité de ce qu'il tendait le bras pour lui saisir le poignet afin de lui tâter le pouls.)
Qu'est-ce que vous avez à me prendre la main ?

FINACHE (tirant sa montre de sa main droite restée libre. )
Rien, rien ! c'est par amitié.

POCHE (avec insouciance. )
Ah ! (Reprenant.)
Je ne me serais pas emballé !… (Riant.)
Je sais bien ce que c'est : avec les braques, il faut toujours dire comme eux.

FINACHE (remettant sa montre dans sa POCHE. )
C'est curieux ! vous n'avez presque pas de pouls.

POCHE
Quoi ?…

FINACHE
Je dis : vous n'avez presque pas… (A ETIENNE.)
Il n'a presque pas de pouls.

POCHE (jovial. )
Ben, évidemment ! Quoi, j'suis pas pouilleux !… (Avec un gros rire satisfait, il gagne la droite.)

FINACHE (riant par complaisance. )
Aha ! ha ! très drôle ! Aha ! Aha \ (Bas à ETIENNE, en lui donnant une tape sur le bras.)
Riez ! Riez donc !

ETIENNE
Moi ? bon. (Riant sans conviction.)
Ah ! ha ! ah ! ha ! aha !

POCHE (indiquant ETIENNE. )
Ça le fait rigoler, le larbin.

FINACHE (passant au 2. )
Oui ! oui, oui ! oui, oui ! (Redevenant sérieux.)
Là ! Eh ! bien, maintenant qu'on a bien ri, on va être bien raisonnable.

POCHE
Quoi ?

FINACHE
Voilà ! moi, je suis un ami… (Sur un ton qui ne souffre pas de doute.)
Vous me connaissez.

POCHE
Non !

FINACHE (un peu interloqué. )
Ah ! bon… bon ! bon. Eh ! bien, je suis le docteur, le bon docteur. C'est moi qui soigne !… bobos !… malades !… tisanes !… diète !… Le bon docteur !

POCHE
Eh ! bien, oui, quoi, je suis pas gâteux !… Vous êtes docteur.

FINACHE
Voilà.

POCHE (à part. )
Qu'est-ce qu'il a à faire l'idiot ?

FINACHE (d'un air profond. )
Eh ! bien, je sens… je sens, en vous regardant, que vous devez
(être fatigué.)

POCHE (surpris. )
Moi ?

FINACHE
Si, si, vous êtes fatigué !… (A ETIENNE.)
Il est fatigué !…

ETIENNE (abondant dans son sens. )
Il est fatigué.

POCHE
Fatigué ? Ah ! bien, dame !… dites donc ! on le serait à moins !… Levé à cinq heures, balayé l'hôtel, ciré les parquets, monté le bois…

FINACHE
Evidemment ! Evidemment !…

ETIENNE
Evidemment !

ETIENNE et FINACHE (échangeant un regard navré en hochant la tête.)
Oh !

FINACHE
Eh ! bien, savez-vous, vous allez vous déshabiller et vous coucher !…

POCHE
Moi ?… Ah ! non ! non, non !

FINACHE (toujours accommodant. )
Ah !… bon ! bon !… Eh ! bien, alors, au moins, vous allez retirer cette jaquette dans laquelle vous êtes mal… Etienne va vous apporter une robe de chambre… bien confortable !…

POCHE
Ah ! oui, mais… ma livrée ?

FINACHE
Mais oui, mais oui !… Mais c'est en attendant… (Faisant un signe à ETIENNE.)
Etienne !

ETIENNE
Oui, Monsieur le docteur.
(Il remonte, fait le tour de la table et entre dans la pièce de droite.)

FINACHE (profitant de ce que POCHE est tourné dans la direction de la chambre de droite pour se coller ventre à dos contre lui et la main gauche sur son épaule, l'avant-bras droit tendu au- dessous de l'épaule droite de POCHE de façon à lui indiquer la chambre en question. )
Là ! et maintenant ! (Tout en parlant imprimant à son corps un mouvement de va-et-vient d'avant en arrière et réciproquement, mouvement que POCHE est forcé de suivre.)
Il y a par là un excellent lit…

POCHE
Qu'est-ce qu'il a à faire la pompe comme ça ?

FINACHE
…Vous allez vous y étendre…

POCHE
Il va me foute le mal de mer.

FINACHE
…Et faire une bonne dodote !

POCHE (se retournant. )
Moi ?… Oh ! mais, voyons !… Vous n'y pensez pas ! Eh ! ben, et M.
Chandebise ?

FINACHE
M. Chandebise ? (A part, levant les bras au ciel.)
Ah ! mon Dieu ! (A POCHE.)
Eh ! bien, s'il vous dit quelque chose, vous viendrez me le dire !

POCHE (conciliant. )
Ah ! bon.

ETIENNE (apportant la robe de chambre. )
Voilà la robe de chambre !

FINACHE
Là ! Retirez votre jaquette.

POCHE (se laissant retirer sa jaquette par ETIENNE et FINACHE. )
Ah ! bien ! c'est pas pour dire…, vous faites de moi ce que vous voulez !…

FINACHE
Vous êtes une pâte !… (On lui passe sa robe de chambre.)
Hein !… Dites que vous n'êtes pas bien là-dedans ?

POCHE (nouant la cordelière autour de sa taille. )
Oh ! c'est-à-dire que j'ai l'air du cocher du
Lord-Maire !

FINACHE (pendant qu'ETIENNE va déposer la jaquette sur le siège à droite de la table. )
Là ! vous voyez !

POCHE
C'est vrai que c'est plus douillet que la livrée.

FINACHE
Mais, parbleu ! Ah ! Et maintenant, j'ai un petit doigt qui me dit que vous devez avoir soif.

POCHE (jovial. )
Ah !… il est malin, votre petit doigt.

FINACHE (riant. )
N'est-ce pas ?… Eh ! bien, je vais vous faire donner quelque chose à boire…
Ça ne vous semblera peut-être pas très bon, mais il faudra avaler tout de même.

POCHE
Ah ! du raide ?

FINACHE
Hein !… Oui, plutôt !… plutôt !

POCHE (gagnant la droite. )
Allez ! Allez ! je crains pas !

FINACHE
A merveille ! (Bas à ETIENNE qui, après avoir déposé la jaquette, est redescendu.)
Vous avez de l'ammoniaque par là ?

ETIENNE
Oui, monsieur.

POCHE (qui n'entend pas ce qu'ils disent. )
Pour une aubaine, ça, c'est une aubaine !
(Il va s'asseoir à gauche de la table.)

FINACHE
Eh ! bien, nous allons lui en préparer dix gouttes dans un verre d'eau.

ETIENNE
Bien, Monsieur.

FINACHE
Et puis, quand il sera dégrisé, vous lui ferez prendre… (Passant devant ETIENNE.)
Attendez, je vais vous faire faire une ordonnance.

ETIENNE (le suivant. )
Oui, Monsieur.

FINACHE (gagnant la droite. )
Où y a-t-il de quoi écrire ?

ETIENNE (désignant l'écritoire qui est devant la fenêtre. )
Là, dans ce petit meuble!

FINACHE (se dirigeant vers le meuble indiqué. )
Bien ! Ah ! mais d'abord, emmenez-le !…
Emmenez-le coucher…

ETIENNE
Bien, Monsieur le docteur. (Bien affectueux, à POCHE.)
Allez, Monsieur. Si Monsieur veut venir ? Tenez, Monsieur, prenez mon bras.

POCHE (touché, tout en se levant et lui prenant le bras. )
Ah ! vous avez bon cœur, vous.

ETIENNE (tout en l'emmenant à son bras dans la direction de la chambre de droite. )
Oh !
Monsieur m'honore…

POCHE
Si, si !… Ça m'embête, tenez, que vous soyez cocu !

ETIENNE
Moi ?

POCHE
Dame ! C'est vous qui me l'avez dit.

ETIENNE (faisant passer POCHE le premier. )
Hein ?… Ah ! mais je ne le suis plus! elle prenait la soupe chez le concierge !

POCHE (au moment de sortir.)
Ah ?… Oh ! ben ! si elle ne prenait que ça !
(Ils sortent.)
(Aussitôt sorti de scène, l'artiste dépouillera son costume de POCHE pantalon et gilet pour sa transformation en CHANDEBISE qu'il n'aurait pas le temps de faire après sa scène prochaine. Une fois le pantalon et le gilet enlevés, il enfilera la veste de livrée, repassera par-dessus sa robe de chambre et remettra son foulard autour du cou. Le pantalon de CHANDEBISE ne devant pas être de couleur voyante, l'attention du public n'est pas attirée par le peu qu'on en voit.)

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