ACTE II - SCENE VIII



(Sur ces dernières répliques, POCHE, venant des étages inférieurs, a apparu, son crochet chargé de bois sur le dos. Arrivé sur le palier, une des bûches de son chargement tombe à terre.)

POCHE (à EUGENIE qui descend précisément des étages supérieurs. )
Tenez, Eugénie, remettez-moi donc cette bûche qui vient de tomber.

EUGENIE
Volontiers.
(Elle ramasse la bûche en question et va la remettre sur le crochet dont elle consolide le chargement pendant ce qui suit; POCHE, dos au public, est sur la première marche de l'escalier montant.)

RAYMONDE (refermant la fenêtre. )
Ah ! çà ! voyons ! mais qu'est-ce qu'il fait, Tournel ? qu'est-ce qu'il fait ? (Allant au cabinet de toilette.)
Eh ! bien, cette eau ?
(Elle entre dans le cabinet de toilette.)

CAMILLE (gai et déluré, surgissant de l'escalier, en tenant ANTOINETTE par la main. Ils entrent carrément en scène. Lui parle clair et net, ayant son palais d'argent. )
Allez, viens bébé !… viens mon poulet ! C'est l'heure du crime !… Et qu'on va donc bien l'aimer,, son gros Camille !
Viens ! On a dû nous retenir une chambre !

POCHE (qui est descendu en les voyant entrer et surgissant entre eux. )
Vous demandez, monsieur ?

CAMILLE
Ce que je… (Bondissant en croyant reconnaître CHANDEBISE.)
Victor-
Emmanuel !
(Il pivote sur les jarrets et se précipite dans la chambre de droite, troisième plan.)

ANTOINETTE (même jeu et pour la même cause que CAMILLE. )
Monsieur !
(Affolée, elle se précipite chez RUGBY.)

POCHE (tout en remontant. )
Mais qu'est-ce qu'ils ont donc tous, aujourd'hui, à m'appeler
Victor-Emmanuel ?…
(Il s'engage dans l'escalier et gagne les étages supérieurs, tandis qu'EUGENIE sort de gauche. A ce moment RAYMONDE sort du cabinet de toilette suivie de TOURNEL qui emboîte le pas derrière elle.)

TOURNEL (à RAYMONDE.)
Eh ! bien, ça va mieux ?

RAYMONDE
Oui, non… Je ne sais pas… Ces émotions !… Je me sens faible, faible, comme si j'allais me trouver mal.

TOURNEL (se précipitant vers RAYMONDE. )
Ah ! non ! ne faites pas cela!

RAYMONDE
Qu'est-ce que vous voulez, mon ami, ce n'est pas pour mon plaisir.

TOURNEL
Non, évidemment ! Tenez, vous devriez vous étendre un peu, vous reposer un moment… Venez ! allongez-vous sur le lit…
(Doucement, à reculons et avec force ménagements il la conduit jusqu'au lit.)

RAYMONDE (très dolente, se laissant conduire. )
Ah ! oui, ce n'est pas de refus !
(Elle se laisse tomber sur le lit et pousse un cri en sentant sous elle le corps de BAPTISTIN.)

RAYMONDE et BAPTISTIN (poussant un même cri.)
Ah !
(RAYMONDE se relève d'un bond et gagne la droite.)

TOURNEL
Qu'est-ce qu'il y a ? (A BAPTISTIN.)
Hein !… C'est encore vous ! vous êtes donc toujours là ?

BAPTISTIN (se redressant sur son séant. )
Mais c'est vous qui m'avez fait venir.

RAYMONDE (nerveuse, revenant à proximité du lit. )
Non, c'est trop, vraiment. (Secouant TOURNEL)
Mais allez, mon ami, faites-le partir, vous n'allez pas discuter !

TOURNEL (à RAYMONDE. )
Mais oui ! (A BAPTISTIN.)
Allez ! retournez chez vous.
(Il presse sur le bouton gauche du lit.)

RAYMONDE (qui est montée sur la marche du lit, sans réfléchir à l'existence de la tournette, furieuse, à BAPTISTIN. )
C'est insensé d'envahir comme ça la chambre des gens. (Poussant un cri en se sentant emportée par la tournette.)
Ah !

TOURNEL (la rattrapant à la volée. )
Eh ! là ! Eh !

CAMILLE (acculé et cramponné au lit amené par la tournette. )
Ah ! là ! là ! Ah ! là ! là !(Reconnaissant RAYMONDE et TOURNEL.)
Ah !

TOURNEL et RAYMONDE (se retournant au cri et ne faisant qu'un saut en arrière.)
Camille !
(Ils se précipitent comme des fous hors de la chambre.)

CAMILLE (criant. )
Je vous demande pardon ! c'est le lit qui a tourné !

RAYMONDE (sans arrêter sa course. )
C'est pas lui ! Il parle !

TOURNEL (courant à la suite de RAYMONDE. )
Il parle ! c'est pas lui ! c'est pas lui !

CAMILLE (descendant du lit. )
C'est le lit qui a tourné !

RAYMONDE (arrivée à l'extrême gauche, rebroussant chemin et gagnant en courant l'escalier.)
Oh ! j'en ai assez, partons ! partons !

TOURNEL (id. )
Oh ! oui, partons !…
(Ils disparaissent dans l'escalier.)

CAMILLE
Tournel et Raymonde, ici ! Qu'est-ce que ça veut dire ? S'ils m'ont reconnu, je suis joli !… (Il a gagné le hall après avoir refermé la porte de la chambre derrière lui.)
Eh ! bien ! et Antoinette !… Qu'est-ce qu'elle fait par là ?… (Entrant carrément dans la chambre de RUGBY.)
Antoinette !… (Cri de surprise.)
Oh !
(On entend aussitôt un grand brouhaha dans la chambre de RUGBY, bruit de dispute où s'entre- mêlent les voix de CAMILLE, de RUGBY et d'ANTOINETTE, meubles renversés, verres cassés. Ce bruit ne discontinue pas pendant les répliques suivantes.)

RAYMONDE (reparaissant comme une folle, suivie toujours de TOURNEL. )
Etienne ! voilà
Etienne, à présent !

TOURNEL (courant à la suite de RAYMONDE. )
Votre valet de chambre. Ah ! quel aria, mon
Dieu ! quel aria !
(Ils se précipitent tous deux dans le couloir de gauche. Pendant ce temps, le brouhaha a grossi dans la chambre de RUGBY. Brusquement, la porte s'ouvre et, comme par un ressort, CAMILLE est projeté en scène. En même temps surgit RUGBY à ses trousses.)

RUGBY
Get away ! get away !

CAMILLE (revenant à lui. )
Mais, Monsieur !…

RUGBY (dos au public et face à CAMILLE, ce dernier un peu au-dessus. )
Ah ! God damn !
(Il lui envoie un coup de poing en pleine figure.)

CAMILLE
Oh ! (Nouveau coup de poing qui lui fait cracher son palais. Parlant dès lors comme au premier acte)
Oh ! mon palais ! J'ai perdu mon palais !
(Il veut redescendre pour le ramasser.)

RUGBY (le saisissant à bras-le-corps et l'emportant dans la pièce de droite, troisième plan. —)
But get away, I say !

CAMILLE (emporté par RUGBY. )
Mon palais ! je veux mon palais !

RUGBY (le jetant comme un paquet dans la pièce ou il disparaît. )
Hère you are ! (Traversant la scène dans la direction de sa chambre)
Hâve you ever seen somebody with such cheek ?(Entrant dans la chambre)
Aoh ! it's me, my darling !
(La porte se referme; à peine a-t-il disparu qu'ETIENNE surgit en scène, venant du fond.)

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