ACTE II - SCENE V


OLYMPE (du haut de l'escalier. )
Si Monsieur le docteur veut venir voir la chambre.

FINACHE (s'élançant vers l'escalier et tout en grimpant quatre à quatre. )
Hein ! Mais je crois bien que je veux venir voir la chambre ! Je crois bien que je… (A FERRAILLON, du haut de l'escalier.)
Ah ! et si on vient me demander, prévenez-moi tout de suite, n'est-ce pas ?
(Il disparaît aux étages supérieurs.)

FERRAILLON (s'inclinant, puis le regardant partir. )
C'est beau, l'amour !

RUGBY (surgissant hors de sa chambre et dans le dos de FERRAILLON. )
Nobody called ?

FERRAILLON
Ah ! pas comme ça, par exemple.

RUGBY
Nobody called for me, I say ?

FERRAILLON (le sourire aux lèvres et à mi-voix. )
La barbe !

RUGBY (tendant l'oreille. )
What ?

FERRAILLON (id. )
La barbe !

RUGBY (qui ne comprend pas. )
Baabe ?

FERRAILLON (sur le ton le plus aimable. )
Oui, l'Englisch ! tu me regardes avec des yeux ronds, mais je ne suis pas fâché de profiter de ton ignorance de notre langue pour te dire ce que je pense : la barbe !

RUGBY (id. )
Baabe !… Aoh ! thanks.

FERRAILLON
A ton service.
(RUGBY est déjà arrivé au seuil de sa porte quand paraît RAYMONDE dans l'escalier, la figure cachée par une voilette épaisse.)

RUGBY (arrêté net par l'arrivée de RAYMONDE. )
Aoh !

FERRAILLON
Vous désirez, Madame ?

RAYMONDE
La chambre retenue par monsieur Chandebise.

FERRAILLON (passant devant elle pour aller ouvrir la porte de la chambre de droite. )
Ah ! par ici, Madame !
(RUGBY, qui n'a point quitté RAYMONDE du regard, ne pouvant pas distinguer ses traits, s'avance sans façon jusqu'à elle et se met à tourner autour d'elle comme autour d'un bec de gaz, ceci en la dévisageant effrontément et en chantonnant un air de gigue sur lequel son pas se rythme.)

RUGBY (tout en contournant RAYMONDE qui le regarde ahurie et pivote instinctivement sur elle-même. )
"Turning around town, Knocking people down, Kissing every girl you meet."(Constatant que RAYMONDE n'est pas celle qu'il cherche.)
No ! it's not that one !
(Il rentre dans sa chambre, les mains dans les poches, en sifflotant son air de gigue.)

RAYMONDE (ahurie de son aplomb. )
Eh ! bien, qu'est-ce qu'il a, celui-là ?

FERRAILLON
Ne faites pas attention, Madame, c'est un original d'outre-mer.

RAYMONDE (descendant un peu à gauche. )
Il ne manque pas de toupet ! (A FERRAILLON)
Il n'est encore venu personne demander la chambre ?
(Elle relève un peu son voile.)

FERRAILLON
Personne, non. (Descendant vers elle.)
Eh ! mais, ma parole, je ne me trompe pas ! c'est bien Madame qui est déjà venue ce matin.

RAYMONDE
Hein ?

FERRAILLON
Oui, oui, parfaitement. Ah ! Madame, je suis flatté ! Je comptais bien que ma discrétion m'assurerait, le cas échéant, la clientèle de Madame, mais vrai! je n'attendais pas si tôt !…

RAYMONDE (choquée et décontenancée. )
Mais, Monsieur, en voilà des façons ! Je ne vous permets pas de supposer…

FERRAILLON (s'inclinant aussitôt: )
Excusez-moi Madame. (Remontant jusqu'à la porte et s'effaçant pour laisser passer RAYMONDE.)
Si Madame veut prendre la peine…

RAYMONDE (passant devant lui, puis arrivée sur le pas de la porte, elle se retourne pour toiser FERRAILLON d'un air hautain.)
Sse !… (Elle gagne l'extrême droite de la chambre.)

FERRAILLON (qui est entré dans la pièce à sa suite. )
Voici la chambre. Madame voit, elle est très confortable. Le lit…

RAYMONDE (hautaine, lui coupant la parole. )
C'est bien, Monsieur !… je n'en ai que faire.
(L'air digne, elle passe au 1.)

FERRAILLON (interloqué. )
Ah ! (A part, tout en se dirigeant vers le cabinet de toilette.)
C'est une vicieuse !… (Haut.)
Voici le cabinet de toilette, avec eau chaude, eau froide, bain, douche…

RAYMONDE (agacée. )
Bon ! bon ! je n'ai pas l'intention d'habiter.

FERRAILLON
Oui, Madame. (Remontant au lit.)
Enfin, là très important à noter en cas de flagrant délit, j'appelle l'attention de Madame : de chaque côté du lit, un bouton…

RAYMONDE (passant à droite. )
Mais, enfin, c'est bien !… je m'assurerai moi-même… Veuillez me laisser, Monsieur.

FERRAILLON (interloqué. )
Mais, Madame…

RAYMONDE
Je n'ai plus besoin de vous.

FERRAILLON
Ah ?… bien, Madame. (Il gagne la porte et, au moment de sortir.)
Madame, votre serviteur.

RAYMONDE (nerveuse. )
Au revoir, monsieur, au revoir.

FERRAILLON (en refermant la porte sur lui. )
C'est une maîtresse à la grinche !

RAYMONDE
Cet homme est d'un manque de tact !

FERRAILLON (apercevant POCHE qui redescend avec son crochet vide. )
Eh ! Poche!

POCHE (le regard tendre, saluant militairement. )
Chef ?

FERRAILLON
C'est bientôt fini, ton trimballage de bois ?

POCHE (id. )
Encore un chargement, chef.

FERRAILLON (passant. )
Bien ! alors, au trot ! Et puis après, tu me feras le plaisir de passer ta livrée au lieu de la laisser traîner ici. Ce n'est pas sa place. (Tout en parlant, il a indiqué la veste de livrée qui est suspendue, ainsi que la casquette, à une des patères au-dessus de la console)
C'est l'heure où les clients arrivent, tu dois être en tenue.

POCHE
Oui, chef.
(Fausse sortie. Sonnerie.)

FERRAILLON
Tiens ! on sonne. (Consultant le tableau.)
C'est l'Anglais, va voir ce qu'il veut.

POCHE
Oui, chef.
(Il dépose son crochet contre la rampe de l'escalier et se dirige vers la chambre de gauche, sans cesser de fixer des yeux tendres sur FERRAILLON et frappe à la porte de RUGBY.)

VOIX DE RUGBY
Come in !
(POCHE entre chez RUGBY. RAYMONDE qui, pendant tout ce qui précède, a inspecté la chambre, ouvert la fenêtre, etc., à ce moment est entrée dans le cabinet de toilette.)

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