ACTE II - SCENE IX


ETIENNE (tout en descendant en scène. )
Eh ! bien, il n'y a donc personne dans cet hôtel ?…(Son œil à ce moment tombe sur le le palais de CAMILLE qui est à terre près de lui, il le regarde, puis le pousse du pied.)
Tiens ! de l'argenterie !… (Le ramassant.)
Oh ! c'est mouillé !

EUGENIE (qui arrive du couloir de gauche, se dirigeant vers l'escalier pour gagner les étages supérieurs. S'arrêtant sur la première marche. )
Vous demandez, Monsieur ?

ETIENNE
Ah ! Mademoiselle !… (EUGENIE descend n° 1.)
D'abord, voici un objet d'art dont je ne m'explique pas bien l'usage et que je viens de trouver à terre.
(Il lui remet le palais.)

EUGENIE (l'examinant. )
Tiens ! c'est drôle !… Ça doit être un bijou ancien.
(Elle en montre l'effet à ETIENNE en s'appliquant le palais contre le col, tel une broche. Sur ces entrefaites, CAMILLE est sorti de sa chambre, le dos courbé, les yeux à terre, il avance, cherchant son palais.)

CAMILLE
Je voudrais bien retrouver mon palais. (Il arrive ainsi presque contre ETIENNE. Il relève la tête et reconnaît le valet de chambre, aussitôt, sans se redresser, il pivote sur les jarrets et, à grandes enjambées, en pliant les genoux, de façon à se faire aussi petit que possible, il file au plus vite.)
Dieu ! Etienne ! (Il s'éclipse dans la chambre de droite, troisième plan.)

EUGENIE (qui, ainsi qu'ETIENNE, n'a pas vu le jeu de scène. )
Quelque client qui l'aura laissé tomber, je le déposerai au bureau.

ETIENNE
C'est ça !… Et maintenant, dites-moi, il n'est pas venu une dame demander la chambre de M. Chandebise ?…

EUGENIE
Si !…

ETIENNE
Et où est-elle, cette dame ?…

EUGENIE
Ah ! mais Monsieur, je n'ai pas le droit !

ETIENNE
Allez ! Allez ! il faut que je la voie ! Son mari peut surgir d'un moment à l'autre !
C'est un bougre qui la tuerait !…

EUGENIE (effrayée. )
Ah ! mon Dieu !…

ETIENNE
Il faut absolument que je la prévienne.

EUGENIE
Oh ! alors, à ce compte-là !… Tenez, Monsieur, je l'ai vue entrer là !…
(Elle indique la chambre de RUGBY.)

ETIENNE (passant devant elle et allant jusqu'à la porte de la chambre indiquée.)
C'est bien !
(Il frappe à la porte.)

VOIX DE RUGBY
Come in !

ETIENNE (pénétrant dans la chambre. )
Je vous demande pardon. Monsieur !…
(Cri simultané d'ANTOINETTE et de RUGBY dans la chambre.)

ANTOINETTE et RUGBY
Ah !

VOIX D'ETIENNE
Ma femme !
(Immédiatement on entend un boucan d'enfer dans la chambre. Bruit de dispute, cris, bousculades, etc.)

EUGENIE (qui avait déjà regagné l'escalier, revenant au bruit. )
Qu'est-ce qu'il y a?
(A ce moment, hors de la chambre, affolée, surgit ANTOINETTE, les cheveux en désordre, épaules et bras nus et tenant à la main son chapeau et son corsage qu'elle n'a pas eu le temps de remettre.)

ANTOINETTE (éperdue, se précipitant vers l'escalier. )
Etienne ! Etienne ici !… Au secours !
Au secours !
(Un quart de seconde pendant lequel le boucan n'a pas cessé et ETIENNE a bondi à la poursuite de sa femme qui, déjà, dégringole l'escalier.)

ETIENNE
Arrêtez-la ! Arrêtez-la !

RUGBY (qui s'est élancé aussitôt à ses trousses, le rattrapant de la main droite par le bras gauche et le faisant pirouetter autour de lui, de façon à le coller contre le cadre de la scène. —)
Ah ! you bloody fool !

ETIENNE (au choc du mur. )
Oh !

EUGENIE (par répercussion. )
Ah !

RUGBY
I'm going to kill you ! (Le prenant par les deux épaules et lui cognant le dos chaque fois contre le mur.)
Here you are !

ETIENNE (de douleur. )
Oh !

RUGBY (id. )
Here you are !

ETIENNE
Oh ! mais c'est ma femme.

RUGBY (id. )
Here you are !

ETIENNE
Oh !… Voulez-vous me lâcher !

RUGBY (le lâchant et regagnant sa chambre. )
And now get away !
(Il rentre.)

ETIENNE
C'est trop fort ! C'est moi qu'on fait cornard et c'est moi qui reçois les coups !…

EUGENIE
Ah ! bien ! si vous m'aviez dit que c'était vous, le mari !…

ETIENNE
Non, mais est-ce que vous vous imaginez que je le savais ?… (EUGENIE hausse les épaules et remonte vers l'escalier, tandis que des étages supérieurs descend POCHE, son crochet vide à la main.)
Ah ! non, moi ! moi ! cornard !… un valet de chambre !… Ah ! la coquine!… Attends un peu ! attends un peu!… (Il s'élance vers l'escalier près duquel causent EUGENIE et POCHE s'arrêtant ahuri à la vue de POCHE.)
Ah !… Monsieur !

POCHE (interloqué. )
Comment ?

ETIENNE
Monsieur ! avec un crochet à la main.

POCHE
Eh ! bien, oui ! j'ai un crochet; pourquoi pas ?…

ETIENNE
Ah ! Monsieur !… Monsieur !… Je suis cocu, Monsieur !…

POCHE (jovial. )
Oui-da ?

ETIENNE (indiquant la chambre de RUGBY. )
Oui, Monsieur !… Là, par un Anglais!…

POCHE (id. )
Ah ! Nobodécoll !

ETIENNE
Je ne sais pas, il ne m'a pas dit son nom. Oh ! mais, puisque Monsieur est là, puisque Monsieur n'a plus besoin de moi, Monsieur peut me permettre… Je veux courir après la scélérate, la rattraper, et alors !… Monsieur permet ?

POCHE (bon enfant. )
Mais allez donc ! allez donc !

ETIENNE
Merci, Monsieur. Ah ! la gueuse ! la gueuse !
(Il se précipite dans l'escalier à la poursuite de sa femme.)

POCHE (descendant un peu en scène, ainsi qu'EUGENIE. )
Je ne sais pas ce qu'il y a dans l'air aujourd'hui, mais ils me font tous l'effet d'avoir un hanneton dans le coco !

VOIX DE LUCIENNE (dans les dessous.)
Oh !… mais faites donc attention !
(On entend une sonnerie.)

EUGENIE (regardant au tableau. )
Tenez, on sonne dans le couloir; voyez donc, c'est pour vous.

POCHE (passant devant EUGENIE pour gagner le couloir. )
Oui !… voilà !… voilà !
(Il disparaît.)

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