ACTE I - SCENE VI


CHANDEBISE (le chapeau sur la tête, à ETIENNE. )
Et le docteur vous a dit qu'il repasserait ?

ETIENNE
Oui, Monsieur.

CHANDEBISE
Bon ! ça va bien !… (A TOURNEL qui, lui, a son chapeau à la main.)
Entre, mon vieux. (Il le fait passer devant lui. TOURNEL descend à droite de la table de droite.)
Je te demande un moment, j'ai mon courrier à signer…

RAYMONDE (qu'ils n'ont pas aperçue. )
Oui, même Camille t'attend comme le Messie.

CHANDEBISE (à gauche de la table de droite et un peu au-dessus.)
Tiens ! tu es là, toi ?

TOURNEL (de sa place. )
Oh ! bonjour, chère Madame.

RAYMONDE
Bonjour, Tournel. (A son mari.)
Oui, je suis là.

CHANDEBISE
J'ai rencontré Tournel dans l'escalier, alors nous sommes montés ensemble…

RAYMONDE (indifférente. )
Ah !…

TOURNEL (prenant des papiers dans la serviette qu'il a apportée et qu'il dépose sur la table. —)
Oui, j'apporte la liste de quelques nouveaux clients à assurer,

CHANDEBISE
Parfait ! Tu me donneras ça tout à l'heure.
(En parlant il relève son pantalon comme quelqu'un qui est gêné par sa bretelle.)

RAYMONDE (à qui ce geste n'a pas échappé. )
Qu'est-ce que tu as à tirer ton pantalon ? C'est tes bretelles qui te gênent ?

CHANDEBISE
Oui.

RAYMONDE
Ce n'est donc pas celles que je t'ai achetées ?

CHANDEBISE
Hein ? Si, si.

RAYMONDE
Elles ne te gênaient pas avant.

CHANDEBISE
C'est parce que je les ai trop tirées.

RAYMONDE (faisant mine d'aller à lui.)
C'est facile, je vais te les desserrer.

CHANDEBISE (reculant instinctivement.)
Mais non… non ! ce n'est pas la peine, je les desserrerai bien moi-même.

RAYMONDE (pincée. )
Ah ?… Bon ! Comme tu voudras !

CHANDEBISE (à TOURNEL. )
Tu permets ? Je suis à toi dans un instant.

TOURNEL
Va donc ! Va donc !
(CHANDEBISE ouvre la porte de la pièce de droite.)

VOIX DE CAMILLE (accueillant l'entrée de CHANDEBISE.)
Ah !

CHANDEBISE (vexé de cette exclamation dont le ton équivaut à quelque chose comme : toi ! oh ! c'est pas trop tôt ! )
Ah ! bien, oui, quoi !… Ah! tu es bon ! j'ai eu à faire.
(Il sort et referme la porte sur lui.)

TOURNEL (aussitôt la disparition de CHANDEBISE, se précipitant vers RAYMONDE qui est au fond de la scène, un peu à gauche. )
Ah ! Raymonde, Raymonde, j'ai rêvé de vous cette nuit.

RAYMONDE (lui coupant son élan. )
Oh ! non, mon ami, non ! Merci ! ce n'est pas quand mon mari me trompe que je vais songer à en faire autant.

TOURNEL (ahuri. )
Hein ?

RAYMONDE
C'est bon quand on n'a rien d'autre à penser, ces choses-là !

TOURNEL
Mais Raymonde, Raymonde !… Vous m'aviez dit !… vous m'aviez fait espérer !…

RAYMONDE
Oui ? Eh ! bien, c'est possible… Mais il n'y avait pas eu les bretelles! mais maintenant qu'il y a les bretelles !… bonsoir !
(Elle sort à gauche.)

TOURNEL (reste un moment abruti, puis. )
Eh bien ! elle est forte, celle-là ! Quoi, "les bretelles" ? qu'est-ce que ça veut dire, "les bretelles" ?
(En parlant il a gagné jusqu'à la gauche de la table de droite.)

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