ACTE II - SCENE IV


FINACHE (une fois OLYMPE disparue. )
Une femme précieuse, hein ! Madame Ferraillon ?

FERRAILLON
Ah !… et si sérieuse !

FINACHE
C'est drôle, souvent je me suis demandé où je l'ai vue ?

FERRAILLON (hochant la tête. )
Ah ! çà !… (En gagnant légèrement la droite.)
Vous… vous n'avez pas connu… autrefois une demi-mondaine, la belle Castana… qu'on avait surnommée "Culotte de peau" ?

FINACHE (interrogeant sa mémoire. )
Castana ?… Attendez donc !

FERRAILLON
Si ! qui a été si longtemps la maîtresse du duc de Gennevilliers.

FINACHE
Ah ! oui, oui ! et qui s'est fait servir, un jour au Grand-Seize, toute nue sur un plat d'argent.

FERRAILLON
Vous y êtes ! (Avec une certaine satisfaction.)
Eh ! bien, c'est elle! c'est ma femme; je l'ai épousée.

FINACHE (un peu interloqué. )
Ah ?… ah ?… mes compliments !

FERRAILLON
Elle a eu un béguin pour moi lorsque j'étais sergent au 29e de ligne. (En manière de justification.)
J'étais beau gars !… l'uniforme !… Elle a toujours eu un pépin pour les militaires.

FINACHE
"Culotte de peau" !
(Il rit.)

FERRAILLON (riant. )
Voilà ! (Redevenant sérieux.)
Elle… elle a voulu m'entretenir.

FINACHE
Non ?

FERRAILLON
Oh ! mais… je ne mange pas de ce pain-là ! D'autre part, elle avait de l'argent de côté, du physique et… de la réputation; je puis le dire : c'était un parti. Alors, je lui ai proposé le mariage et… ça s'est fait comme ça.

FINACHE (s'asseyant sur la banquette. )
Mes compliments !

FERRAILLON
Mais avant, j'ai posé mes conditions… J'ai des principes, moi !… Je lui ai dit : à partir de maintenant, plus de noce, plus d'amants… (Penché vers FINACHE.)
Parce que je ne sais pas si vous êtes comme moi mais je trouve que du moment que vous prenez une femme, il ne faut plus qu'elle ait d'amants.

FINACHE (avec un sérieux ironique. )
Vous êtes absolument dans le vrai.

FERRAILLON
Avant tout, je tiens à la respectabilité !… Et alors, voilà ! on a ouvert cette maison.
(Il gagne un peu vers la gauche.)

FINACHE (se levant. )
Vous êtes un sage.

FERRAILLON
Et l'on vit comme ça, modestement, comme des bourgeois rangés… on
(économise pour les vieux jours. Et même, à ce propos, j'ai réfléchi à ce que vous m'aviez proposé l'autre jour… pour l'assurance sur la vie, vous savez !)

FINACHE
Ah ! ah ! vous y venez !

FERRAILLON
Bien oui, quoi ! J'ai quarante-quatre ans, ma femme… (Il tousse.)
Cinquante- deux… enfin, environ.

FINACHE (blaguant à froid. )
Eh ! ben ! mais c'est très bien, ça ! On dit qu'il faut toujours qu'il y ait sept ou huit ans de différence entre les époux.

FERRAILLON (sans conviction. )
Oui !… Il vaudrait peut-être mieux que ce fût plutôt la femme qui…

FINACHE
Je ne vous dis pas, mais enfin, quand on ne peut pas, il vaut encore mieux que ce soit le mari.

FERRAILLON
Evidemment ! Evidemment !… (Changeant de ton.)
Alors, si je pouvais la faire assurer, la pauvre chérie, de façon qu'à sa mort…

FINACHE
Elle ?… ah ! diable ! cinquante-deux ans !… si c'était vous, ce serait beaucoup moins cher.

FERRAILLON
Oh ! mais moi, si vous voulez ! pourvu qu'à sa mort…

FINACHE
Ah ! non ! non !… Alors, dans ce cas-là, c'est à la vôtre que…

FERRAILLON
A la mienne ? Ah ! mais non, alors, non ! comme ça, ça ne m'intéresse pas du tout.

FINACHE
Enfin, nous verrons à trouver une combinaison; venez toujours nous voir.

FERRAILLON
Quand ?

FINACHE
Tous les matins, vous me trouverez de dix à onze, chez le directeur pour la France de la Boston Life Company, 95, boulevard Malesherbes.

FERRAILLON (inscrivant sur sa manchette. )
Boulevard Malesherbes, bien !… et je n'ai qu'à demander ?…

FINACHE
Le directeur de la Compagnie. Je le préviendrai.

FERRAILLON
Parfait !… Merci de votre obligeance.

FINACHE
Mais comment donc !

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