ACTE III - SCENE XI
LES MEMES, LA MARIOTTE, HUGUETTE
HUGUETTE
(en pleurs, poursuivie par LA MARIOTTE qui la harcèle.)
Mais laissez-moi, je vous dis, laissez-moi.
LA MARIOTTE
Mais enfin, qu'est-ce que vous avez, Mademoiselle ?
HUGUETTE
Mais rien, quoi ! je n'ai rien.
LA MARIOTTE
Comment, rien ! Je vous trouve là au fond du jardin pleurant à chaudes larmes.
HUGUETTE
(convulsivement.)
Oh !
LA MARIOTTE
Attendez, je vais un peu aller trouver votre papa pour qu'il voie clair dans tout ça.
HUGUETTE
Oh ! non, non ! Je vous le défends !
LA MARIOTTE
Si, si ! Je ne veux pas que vous ayez du chagrin, moi ! (Elle entre au presbytère.)
HUGUETTE
(s'effondrant sur le banc qui entoure l'arbre.)
Oh ! n'avoir même pas la liberté de pleurer en paix. (Elle pleure, la tête dans ses mains. MAURICE et ETIENNETTE ont écouté tout cela avec compassion.)
ETIENNETTE
(émue, à MAURICE à mi-voix.)
Dis-lui un mot, voyons ! console-la!
(MAURICE hésite un instant, puis se laissant persuader, va s'asseoir tout près d'HUGUETTE.)
MAURICE
(une fois assis.)
Tu pleures, Huguette ?
HUGUETTE
(1 sursautant.)
Hein ! Toi ! (Essuyant vivement ses yeux.)
Non ! non!
MAURICE
(2 affectueusement.)
Si, je le vois bien. Qu'est-ce que tu as ?
HUGUETTE
Rien !… c'est nerveux !
MAURICE
(id.)
Non, ça n'est pas nerveux ! Tu as du chagrin… Est-ce vrai ce qu'on m'a dit, que c'est à cause de moi ?
HUGUETTE
De toi? Oh! non !… non !
MAURICE
Ah ! n'est-ce pas que ce n'est pas exact (Avec un geste de la tête dans la direction d'ETIENNETTE qui, elle, assiste à cet entretien, dissimulée par l'arbre)
ce qu'on voudrait me persuader, que, soi-disant, tu m'aimerais ?
HUGUETTE
(vivement.)
Oh ! non ! non !
MAURICE
(sur un ton de triomphe à l'adresse d'ETIENNETTE.)
Ah ! (A HUGUETTE.)
Qu'au contraire, la vérité, c'est que plutôt, un peu d'antipathie…
HUGUETTE
(avec jeu.)
D'antipathie ! oh ! non… (Plus timidement.)
Non !
MAURICE
Non ?
HUGUETTE
(toute confuse.)
Oh ! Maurice ! Maurice, laisse-moi !
MAURICE
Tu me repousses ?
HUGUETTE
(se cachant la figure dans les mains.)
Oh ! que je suis malheureuse.
MAURICE
(affectueusement.)
Huguette !
ETIENNETTE
(s'avançant.)
Pourquoi avoir ainsi la pudeur de ses sentiments ?
HUGUETTE
(se dressant, haineuse.)
Vous !
ETIENNETTE
(avec beaucoup de douceur, tout en cherchant à cacher sa souffrance.)
Je dis, moi, qu'il y a une petite cousine qui adore son petit cousin, mais qui aimerait mieux mourir plutôt que de le lui dire et qui pourtant ne serait pas fâchée qu'il le sache !… Eh ! bien, il le sait, le petit cousin.
HUGUETTE
(les yeux pleins de larmes.)
Oh ! Madame, c'est mal de…
ETIENNETTE
Mais non, mais non, et l'on s'est dit que si un jour le petit cousin épousait la petite cousine…
HUGUETTE
(à travers ses larmes.)
Oh ! taisez-vous ! taisez-vous !
ETIENNETTE
… cela ferait un petit ménage très assorti…
HUGUETTE
(id.)
Madame, je vous en conjure !
ETIENNETTE
… et où chacun pourrait faire le bonheur de l'autre.
HUGUETTE
(id.)
Oh ! Madame…!
ETIENNETTE
Et maintenant la petite cousine se décidera-t-elle à avouer qu'elle aime bien son petit cousin ?
HUGUETTE
(id.)
Oh ! Madame, et moi qui vous ai parlé si durement tout à l'heure.
ETIENNETTE
(simulant l'étonnement.)
A moi ? Et qu'est-ce que vous m'avez dit ?
HUGUETTE
(id.)
Oh ! vous avez bien entendu. J'ai osé vous dire : "Vous, je vous déteste ! "
ETIENNETTE
Allons donc ! comme c'est curieux ! j'avais entendu tout autre chose.
HUGUETTE
(surprise.)
Et quoi donc ?
ETIENNETTE
J'avais entendu : "Oh, Madame, comme j'aime mon petit cousin Maurice. "
Vous articulez bien mal, Mademoiselle.
HUGUETTE
Oh ! comme vous vous vengez !
ETIENNETTE
Avouez que la vengeance est douce.
HUGUETTE
Je ne sais que répondre : oh ! j'ai trop honte !
ETIENNETTE
(lui prenant doucement la tête et l'appuyant contre la poitrine de MAURICE.)
Allons, jeune fiancée, appuyez là votre tête, vous y cacherez mieux votre honte.
HUGUETTE
Oh ! Madame.
MAURICE
(affectueusement.)
Petite Huguette. (Il l'embrasse dans les cheveux tandis qu'ETIENNETTE au-dessus d'eux, un genou sur le banc, les rapproche et les regarde avec une douloureuse émotion.)
ETIENNETTE
(en faisant un effort sur elle-même.)
A la bonne heure.