ACTE III - SCENE VI



L'ABBE, JEAN-LOU, puis MAURICE

L'ABBE
(redescendant vers JEAN-LOU.)
Là ! si tu veux prévenir monsieur l'abbé que je suis à sa disposition.

JEAN-LOU
(gagnant la droite.)
Ça ne sera pas long ! Il attend dans la ruelle.

L'ABBE
Bon ! va !

JEAN-LOU (appelant du pas de la porte.)
Eh ! monsieur l'abbé.

VOIX DE MAURICE
Voilà !

JEAN-LOU
(à L'ABBE.)
Le v'là !
(MAURICE est en civil : blouse de chasse à trois plis et ceinture; knickerbockers, le tout en étoffe anglaise. Leggins et feutre mou.)

MAURICE
(le pas déluré, l'air gamin, entrant vivement et, en passant pour aller à L'ABBE, donnant une tape amicale sur la joue de JEAN-LOU.)
Merci, Jean-Lou. (Se précipitant dans les bras de L'ABBE.)
Bonjour, monsieur le Curé.
(Ils s'embrassent pendant que JEAN-LOU sort.)

L'ABBE
(1)
Mon cher enfant ! ça me fait plaisir de vous voir.

MAURICE
(2)
Et à moi donc ! (Passant au 1; tout ce qui suit très chaud, très vibrant, très jeune.)
Ah ! monsieur le Curé, les joies que je viens d'éprouver en me retrouvant ici…! Tous ces lieux que je connais depuis mon enfance, il me semble que je les vois avec d'autres yeux ! Comme c'est beau, notre cher patelin.

L'ABBE
(tout près de lui.)
C'est aujourd'hui que vous vous en apercevez ?

MAURICE
(se retournant vers lui.)
Oui ! c'est à croire que je n'ai jamais regardé !… J'ai toujours eu les yeux trop tournés à l'intérieur; alors, je ne voyais pas au dehors ! (Bien gosse.)
C'est bien, la nature, vous savez.

L'ABBE
Si c'est bien !

MAURICE
(sans lui laisser le temps de placer sa réponse.)
C'est ça qui vous prouve l'existence de Dieu.

L'ABBE
Tiens !

MAURICE
(sautant d'une idée à l'autre.)
Et à part ça, ça va bien ? la santé, oui ?

L'ABBE
(s'asseyant sur le banc circulaire de l'arbre de façon à être de profil au public et face au presbytère, parlant, face à MAURICE.)
Ma parole, je ne vous reconnais pas; cette exubérance ! cette gaîté !… C'est le service militaire qui vous a transformé ainsi ?

MAURICE
Mais oui ! le service militaire, et aussi…

L'ABBE
Quoi ?

MAURICE
(sur un ton plein de sous-entendu.)
Je ne sais pas,… un tas de choses. (Brusquement, changeant de ton.)
Où est ma famille?

L'ABBE
Vous aviez à me parler, je l'ai éloignée… (Toussotant.)
habilement.

MAURICE
Bien !

L'ABBE
Qu'avez-vous à me dire ?

MAURICE
(se penchant vers lui.)
Votre sentiment à vous demander sur un cas de conscience.

L'ABBE
Et quoi donc ?

MAURICE
(bien précis comme pour l'énoncé d'un problème.)
Un homme a aimé une femme, ils sont tombés dans le péché; cet homme estime cette femme. Quel est son devoir ?

L'ABBE
(bien nettement.)
Mais cela ne souffre aucun doute ! Il doit réparer la faute par le mariage.

MAURICE
(lui serrant vigoureusement les mains.)
Merci ! C'est la réponse que j'attendais.

L'ABBE
(un peu interloqué, avec une pointe d'inquiétude.)
Mais pour qui me demandez- vous…?

MAURICE
Chut !… chut !… je vous le dirai plus tard. (Changeant de ton.)
Et maintenant, Monsieur le Curé, (Avec pompe.)
introduisez la famille.

L'ABBE
(un peu ahuri.)
L'introduire ? Mais… elle n'est pas là ! Il faut que j'aille la chercher.

MAURICE
Elle n'est pas là ?

L'ABBE
Mais c'est l'affaire de dix minutes. Attendez-moi, je vous la ramène. (L'ABBE se lève et va prendre le casier à bouteilles qui est derrière l'arbre sur le même banc que lui.)

MAURICE
Oh ! monsieur le Curé, non, s'il en est ainsi : je…

L'ABBE
Laissez donc ! laissez donc ! Là où sont les vôtres, j'avais justement à aller.

MAURICE
Oh ! vraiment, je suis confus.

L'ABBE
Dix minutes !
(Il sort par le fond droit.)

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